Mémoires du moudjahid Mohamed Kadid publiés à titre posthume : Révélations et corrections de certains faits historiques

11/02/2024 mis à jour: 04:13
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La bibliothèque des ouvrages consacrés à la Guerre de libération (1954-1962) vient d’être enrichie par la récente parution à titre posthume des mémoires du moudjahid Mohamed Kadid, ancien compagnon de Didouche Mourad dans la zone 2 devenue la Wilaya II historique, et décédé en 2021. 

Edités par la maison El Watan El Yaoum, ces mémoires, révélant de nombreuses vérités, ont été rédigés en langue arabe par Mohamed Kadid lui-même. Ils ont été vus et corrigés durant plus de quatre ans afin d’être préfacés par deux chercheurs en histoire, Riad Cherouana et Allaoua Amara. C’est cet intérêt de percer certains secrets et non-dits de l’histoire de la révolution algérienne dans la région du Nord constantinois qui a réuni ce trio dans les années 2000. Cela est survenu, exactement, suite à la mise au point de Mohamed Kadid concernant certains passages des mémoires de Ali Kafi. Cette relation s’est renforcée entre 2014 et 2015 après la publication du premier ouvrage de Allaoua Amara sur Mohamed Salah Belmihoub, un adjoint militaire et politique de Zighoud Youcef. 

D’ailleurs, Mohamed Kadid, qui faisait partie du premier commandement dans le Nord constantinois, a occupé un important espace dans la deuxième édition du livre sur Belmihoub. Cet intérêt commun porté à l’histoire de l’Algérie a abouti à une série de rencontres au domicile de Mohamed Kadid dans la wilaya de Skikda, afin de corroborer avec ses témoignages dans les travaux publiés sur Belmihoub, Boudersa, Zighoud Youcef et sur certains aspects de la guerre de libération. 

«Depuis, nous sommes restés en contact avec Mohamed Kadid, même durant la Covid, particulièrement quand il était en pleine rédaction de ces mémoires », a révélé à El Watan Allaoua Amara, en parlant de la genèse de ces mémoires. Riad Cherouana ajoute que Kadid s’est intéressé à leurs recherches fondées sur des documents d’archives, les qualifiant de travaux sérieux. C’est à partir de leurs échanges que ce trio a eu le déclic de soutenir les mémoires du moudjahid avec des documents d’archives. 

«La différence entre un travail académique historique et un récit de mémoires est que le premier repose sur des documents constants en facteur de temps et de lieu. Il est objectif, contrairement aux mémoires qui se caractérisent par une certaine subjectivité, où l’auteur raconte un vécu selon son point de vue. Il peut ne pas dire certaines choses qui le gênent ou gênent d’autres personnes, contrairement aux documents», a expliqué Riad Cherouana.

Pour sa part, Allaoua Amara a souligné que les documents existants dans ce récit autobiographique attestent de l’authenticité des témoignages de Mohamed Kadid loin de toute exagération sur la révolution algérienne. C’est la particularité de son ouvrage qui se veut un travail de mémoire et académique à la fois. 

Parmi les documents fournis par les deux chercheurs, notons ceux affirmant les activités de Mohamed Kadid en tant que responsable de la cellule des étudiants du PPA -MTLD (Parti du peuple algérien/ Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) de la medersa El Kettania à Constantine, puis quand il a été membre du bureau de la Kasma du PPA-MTLD à El Harrouche en 1953. Il y a également des documents sur ses activités avec Didouche Mourad notamment dans le cadre de la mise en place de l’organisation révolutionnaire, que ce soit à Skikda ou à Constantine. 

Doubles mémoires  

L’œuvre de Mohamed Kadid, qui compte 14 chapitres, se veut comme doubles mémoires. Non seulement ce récit relate le vécu de Kadid ainsi que des faits de la période de 1942 jusqu’à l’organisation du référendum sur l’autodétermination et la crise de l’été 1962, mais il offre au lecteur des détails sur les activités de son compagnon Didouche Mourad. Sachant que jusqu’à ce jour, il n’y a pas un travail académique et pointilleux concernant Didouche Mourad, dit Si Abdelkader. 

Les premiers chapitres des mémoires ont été consacrés à l’enfance et la vie personnelle de Kadid dans la région d’El Harrouche (dans l’actuelle wilaya de Skikda), jusqu’à son arrivée à Constantine en 1946, afin de poursuivre ses études à la zaouia Rahmania (Abderrahmane Bachtarzi), puis à la Medersa de Sidi El Kettani (connue par El Kettania). Cette dernière était dirigée à l’époque par la zaouia El Hamlaouia et dont la majorité des étudiants était affiliée au PPA MTLD. Mohamed Kadid a évoqué sa lutte et ses activités dans le cadre de l’organisation estudiantine du PPA-MTLD à Constantine, y compris l’organisation des élections municipales de 1947. 

L’auteur citera les principaux militants à cette phase d’histoire, jusqu’à 1953 lors de son retour à El Harrouche devenant un membre de la Kasma du bureau politique du PPA MTLD. En 1954 survint la crise du PPA-MTLD avec la naissance du courant neutraliste et l’affrontement avec les centralistes. 

C’est là que les principales figures de ce courant activant dans le Constantinois surgissent dans les mémoires de Kadid, à savoir Mohamed Boudiaf et un peu plus tard Didouche Mourad en juin 1954. Dans cet enchaînement des évènements durant cette période, l’auteur dévoile des détails sur l’organisation au sein de la Kasma du PPA-MTLD de Constantine, d’El Harrouche, Skikda, Azzaba, Oued Zenati et autres, ainsi que sur la préparation du 1er Novembre avec la mise en place des premiers groupes militants pour le déclenchement des attentats. 

Compatibilité avec les documents d’archives

Le plus important dans ces mémoires se perçoit à travers les précisions citées sur les réunions organisées sous la direction de Didouche Mourad à Smendou (actuelle commune de Zighoud Youcef- wilaya de Constantine), El Harrouche et les douars dépendant à l’époque de Azzaba, et surtout ses activités après le 1er Novembre 1954, où Mohamed Kadid devient son principal collaborateur. 

Leur originalité, selon les deux chercheurs en histoire, réside dans le fait que Mohamed Kadid donne des renseignements notables, fiables et détaillés sur l’activité de Didouche Mourad, ses déplacements, comment il a utilisé de fausses cartes d’identité, comment il a été contrôlé 4 fois et autres. Des informations qui n’ont jamais été révélées auparavant. «Il y a eu la publication d’un livre consacré à Didouche Mourad par un passionné de l’histoire. Quand on lit le livre, on remarque que l’auteur nous éloigne de plus en plus de Didouche Mourad, contrairement à Kadid», renchérit M. Cherouana. 

Les préfaciers de ces mémoires affirment qu’il y a une compatibilité, continuité et complémentarité entre les documents d’archives et les témoignages de Mohamed Kadid. Mais, ajoutent-ils, il y a des rectifications et des corrections des faits historiques racontés auparavant surtout en ce qui concerne le parcours de Didouche Mourad. «Travaillant et se déplaçant ensemble, Kadid et Didouche Mourad entrent en contact avec des messalistes et des centralistes afin de les convaincre d’intégrer l’ALN à travers des rencontres organisées à Constantine, Skikda et surtout Azzaba.

 Il y a dans l’œuvre de Kadid toute une présentation chronologique des évènements, dont des détails sur l’organisation des activités sous la direction de Messaoud Boudjeriou, Salah Boubnider plus connu par Saout El Arab à Oued Zenati, et Mohammed Harbi à Skikda. Le 26 décembre 1954, Mohamed Kadid fut arrêté au moment où il devait prendre le train vers Bouira pour la 1ère réunion des chefs de zone», s’est étalé Allaoua Amara. Et de poursuivre : «A travers les mémoires de Mohamed Kadid, on constate que la plupart des militants n’étaient pas à l’époque concernés par le déclenchement du 1er Novembre tout simplement, parce que le courant neutraliste à Smendou, à El Harrouche et à Mila n’était pas encore majoritaire». 

Ce qui est révélateur aussi, concernant la position des messalistes pour le passage à l’action armée. Ils étaient pour cette action, et leur position s’est traduite par le premier attentat organisé dans la nuit du 25 décembre 1954 à Skikda. Cet attentat n’était jamais perpétré par l’ALN, comme cela a été évoqué par Lakhdar Bentobal et Ali Kafi. 

Témoin et narrateur 

Les documents d’archives ainsi que les mémoires de Mohamed Kadid confirment qu’il s’agissait d’un acte organisé et exécuté par les messalistes. D’ailleurs, l’enquête menée par la Police des renseignements généraux (PRG) a abouti au démantèlement de l’organisation messaliste à Skikda dirigée à l’époque par Hamadi Krouma. Malheureusement, cette importante strate de mémoire a été occultée depuis des années. Selon Riad Cherouana, Kadid se transforme après 1954 d’un témoin à un narrateur en relatant les faits durant la période de 1955, à l’instar des évènements du 20 Août et l’exécution du chef de la nahia de Constantine Smaïn Zighed. 

Etant en prison et ne pouvant sauter cette période, Mohamed Kadid a exploité des témoignages d’autres moudjahidine qu’il a cités et des archives. Ce qui fait du livre de Kadid un travail complet fondé sur des témoignages personnels, des mémoires d’autres moudjahidine et surtout des documents d’archives. 

En plus de ce qui a été avancé par nos interlocuteurs, Allaoua Amara indique que l’auteur a révélé des informations fort intéressantes et bien détaillées sur l’organisation de l’ALN dans la région de Skikda, l’organisation des assemblées populaires et les opérations menées, et ce, après sa libération le 30 janvier 1959 et surtout après son installation en tant que chef de région le 19 mars 1962. En dépit de l’importance du contenu et les corrections historiques apportées par Mohamed Kadid et argumentées par des documents d’archives, ces mémoires publiées en 2023 et présentées lors du SILA n’ont pas été prises en considération. 

D’ailleurs, une seule maison d’édition, El Watan El Yaoum,  a accepté de les éditer. «Le seul auteur de ces mémoires est Mohamed Kadid et leur publication était son testament avant de mourir. Il les a achevées avant son décès, et nous a réunis, moi et Amara, à l’hôpital avec le neveu de Didouche Mourad et Mohamed-Seghir Hamrouchi pour nous demander de publier son livre que nous avons préfacé. 

La publication a eu lieu avec l’accord de sa fille et une procuration de sa femme», a conclu Riad Cherouana. Né en 1930 dans la région de Toumiate, commune d’El Harrouche, wilaya de Skikda, le moudjahid Mohamed Kadid est décédé en septembre 2021 à l›âge de 91 ans.  
 

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