Mekka Saïdani avait le trac en cette chaude journée du mois de juillet. Elle qui expose pour la première fois en public dans la belle salle de l’Institut français d’Algérie à Constantine.
Un événement pour cette jeune artiste-peintre, qui a vécu pleinement cette rencontre avec de nombreux curieux venus, malgré la canicule, pour faire sa connaissance et découvrir ses œuvres. Il faut dire que cette expérience demeure inédite dans la carrière de Mekka, quand on sent cet intérêt dans les discussions avec des jeunes voulant déchiffrer les idées et les messages de ses travaux artistiques.
Des tableaux qui reflètent aussi un talent «abondant» chez elle, révélateur de pleines d’idées qui se bousculent dans sa tête, avant de trouver un terrain riche et fertile pour éclore. «Je suis très heureuse d’exposer dans cet espace pour échanger avec vous les sujets et les idées qui sont à l’origine de mes travaux», a-t-elle confié lors du vernissage, marqué par la présence de Charlotte Aillet, directrice de l’Institut français de Constantine, qui a tenu à donner cette chance à Mekka Saïdani.
Cette dernière n’a pas manqué aussi de remercier les membres du service culturel qui l’ont beaucoup aidée pour faire ce premier pas dans sa carrière. Mekka avait bien l’intention de partager plein de choses avec les autres, surtout que la passion pour le dessin et la peinture l’a accompagnée depuis sa tendre enfance. «J’aime depuis toute petite le dessin et la peinture et j’en pratiquais dans mes temps libres ; plus tard les études m’ont absorbée au point d’abandonner cette passion, mais je me souviens des dessins à la fin de mes cahiers où je dessinais des personnages de mangas, des yeux et souvent des femmes. Donc, je suis restée quand même fidèle à cet art mais, ce n’est qu’après mes études que je me suis réellement lancée dans la peinture», a-t-elle révélé.
Un jeu de mots
Titulaire d’une licence en lettres et littérature française et d’un master en traduction littéraire, Mekka a exercé comme enseignante dans des écoles et à l’université. Ayant divers centres d’intérêt, elle s’est essayée dans plusieurs arts, mais c’est dans la peinture qu’elle a trouvé un vrai terrain d’expression. «En tant qu’artisane, j’utilise la peinture sur tissu pour fabriquer des accessoires et des vêtements fait-main, c’est là que j’ai eu ce fameux déclic en désirant de faire de grandes pièces peintes puis des peintures personnelles à travers lesquelles je m’exprime ; tout cela m’a initiée à la peinture en tant que moyen d’expression», a-t-elle indiqué.
Pour cette première exposition dans sa carrière, intitulée N’sana, Mekka a choisi d’explorer le monde de la femme, dans toute sa diversité, en invoquant ses expressions, ses spécificités et ses richesses. Mais pourquoi ce titre N’sana ? «Parce que l’exposition est dédiée tout simplement à la femme algérienne. N’sana, qui veut dire d’abord Nos femmes fait allusion à la sororité ou même à la possessivité masculine, peut être interprété aussi de différentes manières, dont le verbe «n’sana» en dialecte algérien qui se traduit par «il nous a oubliés» et «il» dans ce cas c’est le masculin ou plus précisément la société patriarcale, qui oublie et néglige souvent la femme en la limitant à des taches spécifiques. Le titre est un jeu de mots avec plusieurs acceptions», a-t-elle expliqué.
Tous ceux qui ont tenté de lire les tableaux de Mekka à l’occasion de cette exposition auront décelé divers sujets et thématiques à travers lesquels, on retrouve les images de ces femmes victimes d’abus, des traditions désuètes, d’incompréhension, mais aussi de clichés, de préjugés et d’injustices. «La situation de la femme dans le monde entier et précisément dans le monde arabe me révolte tant qu’elle subit encore et encore toutes les formes de discrimination, directement ou indirectement. Je veux montrer que la condition de la femme n’est pas un sujet consommé ou une simple position mais une cause à défendre jusqu’à ce que l’on atteigne un monde égalitaire car l’égalité protège les femmes et les hommes», a-t-elle argumenté.
Et de poursuivre : «J’ai envie que l’on comprenne le but de ce combat, que l’on arrête de croire qu’il y a un désir de dépasser l’homme. Je rêve que l’on considère les femmes comme des êtres égaux et pas inférieurs aux hommes. Il y a beaucoup de raisons qui font que ce combat doit continuer et c’est donc mon devoir en étant femme de dénoncer les injustices sociales et sociétales à l’égard des femmes et de discréditer aussi les discoures misogynes qui contribuent au lavage de cerveau que nous avons subi et que nous subissons toujours.»
Dénoncer le discours misogyne
Dans les œuvres de Mekka, on retrouve également un poignant hommage à ces femmes rurales et autres qui triment durement au quotidien pour ramener des jarres d’eau, des fagots de bois, souffrant en silence. «La condition de la femme me préoccupe toujours et c’est un sujet qui me tient à cœur parce qu’il y a beaucoup de clichés et d’idées reçues là-dessus que je veux dénoncer.
En effet, ma série parle beaucoup plus de la femme algérienne même si les femmes du monde arabe vivent presque dans les mêmes conditions mais là je m’adresse à elle », dira-t-elle.
Une manière d’exprimer haut et fort son indignation : «A travers ces tableaux je veux discréditer certaines idées nourrissant le discours misogyne, que la femme n’a pas la même aptitude physique que l’homme et qu’elle ne peut pas exercer certains métiers considérés comme masculins. J’ai envie de rappeler celles et ceux, qui ne le savent pas, que ces femmes rurales (ou pas) portant chaque jour des charges lourdes et faisant des tâches ‘’masculines’’ existent bel et bien et que la force physique n’est pas une excuse pour opprimer la femme et lui arracher ses droits.»
Interrogée sur l’ambiance qu’elle a vécue à l’occasion de cet événement dans sa vie et ce qu’elle a ressenti lors de sa rencontre avec un public qui s’est montré aussi curieux en essayant de comprendre, tout ce qui touche aux œuvres exposées, Mekka répond : «J’étais très heureuse de voir mes peintures exposées pour la première à l’institut français qui me semble être un endroit très familier. J’ai été surprise qu’il y ait eu autant de personnes s’intéressant à la peinture en tant qu’art mais plus particulièrement au sujet de mon exposition. J’ai beaucoup apprécié les réactions et les interactions et l’intérêt qu’ils portaient à toutes les peintures.
Les questions qui m’ont été posées étaient très pertinentes et émanaient d’un réel intérêt pour le thème de chaque peinture, ce qui a créé à un moment donné des petits débats avec certains», a-t-elle noté.
Au sujet de ses projets, elle révèle : «Pour le moment je veux me focaliser sur la série N’sana et l’exposer où que je puisse et de partager ces messages et ces pensées avec le maximum d’Algériens et pourquoi pas aller au-delà des frontières algériennes et représenter la femme algérienne comme elle le mérite.»
Avant de terminer : «J’espère que ces idées provoqueront une prise de conscience, surtout chez les plus jeunes étant l’avenir du pays et j’espère que les gens s’intéressent de plus en plus à la peinture qui ne peut être remplacée par n’importe quel autre art. Merci beaucoup à vous pour cette interview.» Rappelons à l’intention de ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir les œuvres de Mekka Saïdani, qu’ils pourront les découvrir durant la première quinzaine du mois de septembre après la reprise des activités de l’Institut français de Constantine.