Me Mohamed Baghdadi, Président du Conseil de l’Ordre des avocats d’Alger : «Nous devons mettre l’accent sur la formation»

11/12/2024 mis à jour: 06:30
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Photo : D. R.

Bâtonnier d’Alger, Me Mohamed Baghdadi revient sur l’ouverture de l’année judiciaire, la surcharge au niveau des juridictions, le nombre de plus en plus important des recours auprès de la Cour suprême, mais aussi sur la numérisation «extraordinaire» de l’administration pénitentiaire. Dans cet entretien, il parle aussi de l’affaire de détention de l’écrivain Mohamed Sansal, en affirmant avoir «du mal à trouver une explication au déferlement médiatique et à l’exploitation d’un dossier, à des fins autres que juridiques». Pour l’avocat, «les principales règles du droit à la défense ont été respectées».

  • Lors de la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire, aussi bien le président de la République que le ministre de la Justice ont insisté sur la formation ont évoqué la formation des magistrats, la numérisation de l’administration judiciaire, la lutte contre la corruption et les erreurs de gestion des affaires judiciaires, sans évoquer l’institution de la défense. Qu’en pensez-vous ? 

En tant que partie prenante, en principe , l’année judiciaire, ou l’institution judiciaire est un service public. Les juristes en droit public  vous diront que le pariétaire du droit public est son usager. Lorsque Sonelgaz assure le service public, c’est pour le consommateur et la justice c’est pour le justiciable. Lorsqu’on fait une ouverture de l’année justiciable, en principe, c’est pour le justiciable qui est représenté par son mandataire qui est, au vu de la loi, son avocat. Si on veut préserver le côté solennelle de l’ouverture de l’année judiciaire, on doit faire en sorte que le justiciable soit présent à travers son représentant qui est l’avocat. Il y a quelques temps, nous avons vu les représentants des avocats, la symbolique de la défense, c’est-à-dire, les bâtonniers, relégués au fond d’une salle comme s’ils ne devaient même pas y être.

  • C’était lors de la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire de 2023-2024 ?

Cette année, nous avons frôlé l’incident. Nous étions installés au dernier carré, mais il y a eu un geste d’un fonctionnaire du protocole pour installer les bâtonniers dans les premiers carrés.  L’année passée, nous étions obligés à aller dans un hôtel. Les locaux de l’Union se trouvent à l’intérieur de la Cour suprême où justement la cérémonie se déroulait. Nous avions pris attache avec les confrères pour les informer que nous n’étions pas là où nous devrions être. Symboliquement, nous avons fait notre cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire. Cela n’a pas plu.

  • Lors de son discours, le président de la République a abordé la question de la pénalisation des actes de gestion, alors que le tout nouveau ministre de la Justice a beaucoup parlé de la numérisation, modernisation et de formation dans son secteur. Quelle lecture faites-vous de ces messages ?

Pour moi, ce sont des messages très forts. Je retiens que le nouveau ministre, par exemple, qui est un homme de terrain, n’hésitera pas à concrétiser ses engagements et s’attellera à mettre à exécution le programme du Président. Le discours de ce dernier a été plutôt politique et a touché des axes qu’on espérait entendre. Le plus important pour nous en tant que défense est que toutes ces annonces ou dispositions soient mises réellement en œuvre. Mais je m’attarderai un peu sur un point précis.

Avant de parler de numérisation, il faut d’abord aborder la formation des juges mais aussi des avocats, les deux catégories qui font la justice. Nous ne pouvons pas concevoir qu’une justice soit rendue sans la présence de la défense. Bien sûr qu’il y a le juge qui doit avoir un niveau acceptable pour rendre la justice correctement, conformément à la loi et de la manière la plus juste possible.

Si cette formation est relativement bien dispensée pour le magistrat, je dois constater qu’elle est inexistante pour l’avocat. Ce dernier sort tout frais de l’université, il intègre directement la profession. Nous faisons semblant de faire une formation avec ce certificat d’aptitude de la profession d’avocat, parce qu’il n’y a pas de véritable encadrement ni une organisation spécifique pour cette formation. Nous avons des avocats qui arrivent dans la vie active, sans disposer de ce qui leur permet d’assurer leur mandat conformément à leur mission.

  • Ce souhait n’a-t-il pas été exaucé avec la mise à la disposition de la profession d’avocats de l’école de Sidi Aissa, à M’sila ?

Le souhait de tous les avocats est d’avoir une école pour dispenser cette formation conformément au souhait de la défense et non pas à ceux qui n’en font pas partie. L’Ecole nationale des magistrats de Koléa est, faut-il le reconnaitre, l’une des meilleures réalisations du secteur de la justice dont je suis fier. Elle dispense une excellente formation, mais je regrette qu’elle soit réservée à une seule partie. Peut-être qu’on estime qu’il n’est pas nécessaire que l’avocat ne soit pas bien formé, ce qui constitue un grave défaut de la gouvernance. Rien n’interdit une école mixte avocat-magistrat. Il ne faut pas oublier que le magistrat et l’avocat étaient étudiants en droit et partageaient les mêmes bancs de l’université. Ce clivage vient de certains qui ont tendance à croire qu’il faut séparer les deux professions.

  • Croyez-vous que l’Ecole nationale des magistrats de Koléa a les capacités, en termes de places pédagogiques, d’assurer la formation aussi bien des juges que des avocats ?

Oui bien sûr. Nous disposons d’une très belle école à Koléa pour la formation des magistrats, mais elle est surdimensionnée par rapport aux promotions qu’elle a formées. Elle est prévue, si je ne me trompe pas, à 1000 étudiants, alors que de mémoire, depuis sa création, je n’ai jamais assisté à une promotion qui dépasse les 400-500  magistrats. Il y a un déficit quelque part, qui aurait pu être jugulé par une autre catégorie. Celle des avocats, même s’il y a lieu de concevoir un enseignement un peu spécifique pour les uns et  les autres afin de rentabiliser  les locaux.

  • Pourquoi cette nouvelle école d’avocats de Sidi Aissia ne semble-t-elle pas susciter l’engouement de la profession ? Serait-ce son emplacement qui pose problème ?

Sidi Aissa se trouve en Algérie. Cette école aurait pu être dans n’importe qu’elle autre région du pays, pour peu que les conditions nécessaires  à l’enseignement soient remplies. La formation d’avocat n’est pas la même que celle d’un pâtissier. Une école d’avocat nécessite forcement un pôle universitaire et une proximité judiciaire. Pourquoi ? Parce que les enseignants qui assurent la formation exercent généralement dans les universités, et les avocats qui bénéficient de cette formation, pratiquent leur profession dans les juridictions.

La proximité universitaire e judiciaire est importante. Si Nous voulons une formation complète et diversifiée avec des formateurs compétents, il faudra se rapprocher des grandes cours qui ont beaucoup de capacités  et des centres universitaires. Le centre universitaire le plus proche est à 300 km. A moins de résider sur place, est-il possible pour un enseignant de faire le trajet tous les jours ?  J’insiste beaucoup sur la formation.

Pour certains milieux officiels à l’étranger, la justice algérienne n’est pas crédible et je pense essentiellement aux décisions qui nous concernent à l’étranger. J’ai eu à connaitre certains dossiers où par exemple, des avocats de deux parties se mettent en face pour rédiger un contrat et choisir une juridiction d’arbitrage. Ils n’écartaient pas automatiquement les juridictions de l’Etat, parce que cela économise de l’argent et du temps. Malheureusement, ce n’est pas le cas chez nous.

Dans une relation commerciale à l’internationale, systématiquement la partie étrangère, introduit une clause compromissoire, pour choisir l’arbitrage international.  Il y a  un problème de crédibilité et de confiance à l’égard de la justice algérienne. Cela se traduit par un nombre important de contentieux et malheureusement très peu de confrères maitrisent l’arbitrage. La formation est, à ce titre, très importante.

  • Avec toutes les réformes qu’elle a connues durant les dernières décennies, la justice algérienne, dont vous faites partie en tant qu’institution de défense, continue d’être critiquée, pour sa partialité pour certains, pour ses lenteurs et ses erreurs pour d’autres. Quel est votre avis ?

En tant qu’avocat, je vais vous parler de la justice rendue de manière générale. Je ne vais pas focaliser sur une catégorie particulière. Ce qui m’intéresse en tant que bâtonnier, c’est comment est-ce que la justice est rendue. C’est vrai qu’il y a des dossiers phares qui retiennent l’attention.

La justice ne se résume pas à quelques dossiers qui ont tendance à être mis en avant et auxquels on donne une particularité. De manière générale,  lorsque les magistrats sont bien formés et pour peu qu’ils aient les conditions de rendre une bonne justice, ils la rendent convenablement et souverainement. Cependant, dans les juridictions que je connais, et avec lesquelles j’exerce, les juges sont obligés de rendre au minimum plus d’une dizaine de décisions par semaine et dans des dossiers parfois très complexes, ce qui est énorme.

  • Comment expliquer la persistance de ce problème de surcharge ?

Il n’y a pas que la surcharge, mais aussi le problème des moyens insuffisants. Juste un exemple qu’il me plait de citer à chaque fois. La cour d’Alger, de construction récente, que je pratique régulièrement, ne dispose que de six salles d’audience, alors que le tribunal d’Alger, construit comme tel, il y a plus d’un siècle, a neuf salles d’audience. Je pense que la surcharge et les conditions de travail des magistrats constituent des éléments importants à mettre en exergue avant de parler des conditions de travail de l’avocat. Je préfère plaider devant un juge qui me donne toute son attention et est concentré sur mon dossier plutôt que devant un magistrat qui durant toute l’audience garde le regard figé sur la pile de dossiers qui lui fait face en pensant au temps qui lui reste pour terminer. 

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