Il est amer et terreux : dans la hiérarchie des cafés, le robusta peut avoir mauvaise réputation. Au Vietnam, un groupe d’agriculteurs s’est mis en tête de lui donner ses lettres de noblesse, à la faveur d’un changement climatique qui pourrait redistribuer les cartes.
Architecte d’intérieur, Tran Thi Bich Ngoc s’est reconvertie dans la production de café, un produit dont elle ne connaissait rien il y a dix ans lorsqu’elle travaillait à Ho Chi Minh-Ville. A 42 ans, elle dirige aujourd’hui sa propre exploitation - «Mori» - sur les hauts plateaux du pays. Elle y cultive un robusta qu’elle espère un jour voir égaler la star des grains, l’arabica, en matière de saveur et de qualité.
«Mes grains ont une odeur fruitée et fleurie, et leur goût est fort, mais d’une manière douce», explique Ngoc à l’AFP dans sa ferme près de Pleiku (centre). «Les agriculteurs vietnamiens doivent savoir qu’il est possible de donner un bon goût à ces grains.»
Longtemps méprisé de géants, tels que Starbucks, le robusta, qui contient presque deux fois plus de caféine que l’arabica, est présent dans la plupart des cafés instantanés, ainsi que dans certains expressos. Mais le robusta est pris dans un «cercle vicieux de mauvaise qualité», selon Mario Fernandez, de la Specialty Coffee Association.
Il est courant que les grains de robusta ordinaires soient moisis, pas mûrs ou gravement abîmés par les insectes : bu pur, il n’a donc pas bon goût, et «personne ne veut payer plus cher, et il n’y a aucune motivation pour améliorer la qualité», explique-t-il à l’AFP. Le robusta présente toutefois des avantages par rapport à son concurrent : les rendements sont plus élevés et il supporte mieux les températures plus élevées.
Le changement climatique constitue une grave préoccupation pour l’industrie du café qui pèse plusieurs milliards de dollars, les scientifiques prévoyant une baisse des rendements et une diminution des zones propices à la culture.
L’arabica, qui représente environ 60% de la production mondiale de café, est originaire des hauts plateaux d’Éthiopie et du Sud-Soudan et préfère des températures annuelles moyennes d’environ 19 degrés Celsius. Le robusta, lui, bien qu’il ne soit en rien insensible au réchauffement de la planète, peut supporter des températures atteignant jusqu’à 23 degrés.
Si la production d’arabica devait diminuer sur le long terme, «les gens devront trouver une autre source d’approvisionnement», estime Pham Thi Diep Giang, directrice générale adjointe de Trung Nguyen, l’une des plus grandes marques de café du Vietnam.
Dans un rapport récent, le gouvernement vietnamien a affirmé que le café a rapporté 4 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros) en 2022, en hausse de 32% sur un an, en raison du manque d’arabica du Brésil, aux prises avec des conditions météo extrêmes.
«C’est vraiment une boisson étonnante», «fruitée et élégante», décrit pour l’AFP l’agriculteur Hoang Manh Hung, qui fait goûter son robusta pour la première fois sur une foire au café de Buon Ma Thuot. La clé du changement, selon Hung, 53 ans, est que les cerises de café sont désormais cueillies à la main et seulement lorsqu’elles sont bien mûres. «Et elles sont entièrement bio», ajoute-t-il.
Introduit au Vietnam par les Français à la fin du XIXe siècle, le robusta vietnamien n’a été exporté qu’à partir des années 1990. D’abord de 100 000 tonnes, les exportations annuelles sont passées à pratiquement 2 millions de tonnes en 2022.
Le Vietnam est le deuxième producteur mondial de café après le Brésil, et le premier pour le robusta. Les produits de Nguyen Coffee Supply, qui importe le café vietnamien aux Etats-Unis, sont désormais vendus dans les supermarchés haut de gamme Whole Foods.
L’entreprise de prévision des tendances WGSN affirme qu’un changement d’attitude envers le robusta s’est déjà amorcé, tandis que Volcafe, géant mondial du négoce, affirme que le robusta a représenté 48% de la demande mondiale en 2022. Dans leurs exploitations vallonnées des hauts plateaux du centre du Vietnam, Hung et Ngoc commencent à voir leur dur labeur porter ses fruits.
Leurs produits sont de plus en plus reconnus au niveau national et sont également vendus par des torréfacteurs en ligne en Allemagne, aux Etats-Unis et dans d’autres pays d’Asie. «C’est le moment idéal pour que les grains fins vietnamiens trouvent leur place dans le monde», observe Ngoc.