lors que des inspections sont menées sur terrain depuis quelques jours pour enquêter sur la filière avicole en Algérie, dans le but de faire baisser les prix du poulet, connaissant une hausse vertigineuse, aviculteurs et commerçants n’ont pas manqué de réagir aux récentes mesures prises par le ministère de l’Agriculture. Ils sont nombreux à estimer que la décision d’inonder le marché en viandes blanches pour faire baisser les prix est une fuite en avant, alors qu’il fallait régler le problème dans le fond.
Une grande partie des aviculteurs déclarent avoir subi des pertes importantes, sans oublier les énormes problèmes dans lesquels ils sont embourbés. «J’ai perdu plus de 700 millions de centimes ; ceci est insignifiant par rapport à d’autres aviculteurs ayant perdu des sommes colossales, en raison notamment du fort taux de décès des poussins ; si cette situation perdure, beaucoup d’aviculteurs vont cesser cette activité», a témoigné à El Watan un aviculteur de la commune de Hamma Bouziane, à 10 km de Constantine. Une région qui a toujours été l’une des principales sources d’approvisionnement en volaille dans la wilaya.
Des aviculteurs que nous avons interrogés soulignent également que si le cheminement de l’information sur cette filière est faux, tout sera faux par la suite. «Certes, les prix sont exorbitants mais il faut prendre en considération le fait que le marché de la volaille est versatile depuis des années, suite à de nombreux facteurs», a révélé un aviculteur dans la wilaya de Constantine, vétérinaire de formation, accouveur, multiplicateur et fabricant d’aliments.
Pour évaluer le coût d’un kilogramme de poulet, notre interlocuteur, calculatrice à la main, a commencé par le prix du poussin estimé actuellement à 200 DA, auquel il ajoute les charges durant le cycle d’élevage, notamment le paiement des employés, la préparation du bâtiment, le chauffage, le chaulage, la litière, la médication, le matériel tel que l’abreuvoir et surtout l’aliment. Un poulet consomme durant son cycle entre 5 à 5,5 kg d’aliments pour atteindre un poids de 2,8 jusqu’à 3kg sur pied et vivant.
Au final, un kg du poulet revient entre 290 et 300 DA. «Il faut tenir compte également du taux de mortalité de 10% qui est la norme. Mais si ce taux dépasse 30%, l’aviculteur est dans la perte certaine. Sachant qu’il doit vendre son poulet juste après son cycle et il ne peut le garder plus longtemps», a-t-il souligné.
Avant d’arriver au consommateur, ce poulet traverse d’autres phases, comme le transport à l’abattoir, pour la saignée, le plumage, le vidage et le découpage. Sans la marge bénéficiaire, notre interlocuteur nous montre la calculatrice affichant le prix de 377 DA pour 1 kg de poulet.
Avec une marge bénéficiaire de 30% et les changements des frais, vu que le propriétaire de l’abattoir a également des charges à payer, le kg atteint entre 455 DA et 500 DA. Ainsi, le kg du poulet au détail au marché ne peut être affiché à moins de 555 DA.
Problème des reproducteurs de chair
Des aviculteurs affirment qu’ils ont aussi des crédits bancaires à payer et des charges pour pouvoir produire. Ils ont fait savoir aussi que le prix du soja local a atteint 9700 DA/quintal et les autres aliments additifs 40 000 DA/quintal. «Pourtant, à une certaine époque, le quintal de soja et de maïs importés coûtait respectivement 4500 DA et 4550 DA», rappellent-ils sous forme d’une mise au point aux déclarations faites sur «une hausse injustifiée» qui les incrimine.
«Le problème principal est lié à la disponibilité des reproducteurs de chair (le poulet qui produit des poussins destinés à l’élevage), où l’importation a été réduite de 50%. Donc il y a un manque de disponibilité, accentué par le manque des barrières sanitaires conduisant à la hausse de la mortalité qui atteint chez certains aviculteurs entre 40 et 50%», a expliqué un aviculteur.
Les acteurs de la filière ont appelé à la création de cellules de base pour étudier sur le terrain les causes de la hausse des prix et l’efficacité ainsi que les retombées des alternatives adoptées durant des années par le ministère de tutelle. Dans les marchés, la viande blanche est devenue un luxe pour le consommateur.
Le kilo du poulet se vend entre 560 et 580 DA. Les cuisses sont proposées entre 440 et 480 DA, l’escalope entre 870 et 950 DA, le foie 1300 DA, les ailes coûtent entre 370 DA et 390 DA, alors que le cou est cédé entre 170 et 230 DA. «Le consommateur s’est orienté vers l’achat des ailes et du cou du poulet.
C’est pourquoi nous avons décidé d’opter pour la vente de l’escalope à son prix de gros dans certains cas, ou la vente par pièce. C’est-à-dire, une cuisse à 240 DA, un seul poulet entre 560 et 850 DA. Et avec ça, on ne trouve jamais preneur», a regretté un commerçant au marché Boumezzou, de Constantine.
De son côté, Ahmed Gueraiche, représentant des commerçants du même marché, tire la sonnette d’alarme, qualifiant la situation de catastrophique, où leur marge bénéficiaire n’est qu’à 10 DA par kg de poulet. «La bourse mondiale des devises est plus stable que le marché de la volaille en Algérie. Il ne faut pas oublier que nous avons des charges à payer : le loyer, les impôts et autres. Le commerçant d’aujourd’hui n’a plus de bénéficies», a-t-il martelé. Et de demander au ministre de faire appel «aux gens du terrain», surtout que cette situation perdure depuis des années.
M. Gueraiche explique que seul le travail de coordination entre commerçants, aviculteurs, chambre de l’agriculture, DSA pourra cerner le problème en profondeur et trouver des solutions. «C’est un problème de gestion et non pas d’enquête. Nous ne cherchons pas des voleurs.
Le problème ne sera jamais résolu par des enquêtes menées par des administrateurs, sans impliquer les gens du terrain qui ont des solutions à proposer», indique M. Gueraiche.
Pour sa part, Abdelaziz Bouguerne, membre du bureau de la wilaya de Constantine de l'UGCAA, confirme que certains commerçants de volaille n’ont même pas de quoi payer le loyer. Il a jouté que des abattoirs ont même fermé dans la wilaya de Constantine. «Si le commerçant d’aujourd’hui ne vend pas un poulet entier, nous pouvons dire que sa journée est perdue», regrette M. Bouguerne, même s’il se dit optimiste vis-à-vis des nouvelles mesures prises par le ministère, dont les enquêtes diligentées sur le terrain.