Maleyka Fredj. Auteure : «Je devais me prendre en charge et ne pas être le fruit d’une Histoire»

22/02/2024 mis à jour: 07:04
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Maleyka Frefj vient de signer aux éditions Frantz Fanon sa première publication intitulée La Décoloniale. Rencontrée lors de l’une de ses ventes dédicaces à la librairie Kalimet à Alger, l’auteure livre les clés de son essai et dévoile quelques secrets d’écriture.

 

Propos recueillis par Nacima Chabani

 

 

-Votre premier essai La Décoloniale se présente d’emblée sous la forme d’une autobiographie. Pourquoi avoir écrit un livre de témoignage ?
 

La Décoloniale est un livre autobiographique. C’est un témoignage. Dans mon essai, j’explique mon parcours qui débute dès ma première année primaire où j’ai ressenti, très tôt, le regard du Français sur moi Française d’origine, Algérienne émigrée. Donc ce regard, je l’ai ressenti tout au long de ma scolarité à un tel point, à un moment donné, on se pose la question. Si je suis différente, où est ma différence ? Dans cet essai, je parle de mon enfance et de mon adolescence. Je fais aussi des retours jusqu’à la guerre d’Algérie car après, il y a des fragments de pensées d’histoire que mes parents m’ont racontés. Je fais, en fait, des collages avec les histoires du passé durant la colonisation parce que tout cela était soulevé. Les Français avaient un regard très particulier sur moi en tant que Française d’origine algérienne.

 

-Vous mêlez admirablement la petite histoire à la grande Histoire en faisant des va-et-vient entre le présent et le passé...

Complètement. Parce que c’est indéniablement lié. Je dirai que ce qui est paradoxal, ce n’est pas moi qui ai recherché l’Histoire de l’Algérie, mais c’est la France qui m’a obligée à fouiller dans la guerre d’Algérie à travers ma mémoire et même mes cellules. Ce n’est pas moi ni mes parents qui m’ont amenée à ce que je vive en Algérie, ce sont plutôt les Français qui m’ont poussée à choisir l’Algérie. Je suis installée en Algérie depuis quatre ans. Je n’aime pas le mot retour car j’ai déjà vécu en Algérie. Je suis née en France avec une culture et un milieu totalement français. Et à un moment donné, quand on vous sort du cercle, vous vous posez des questions du genre : si je ne suis pas comme Catherine et Françoise, mais qui suis-je ? Pour répondre à cette question, je suis obligée de remonter l’histoire de mes parents et de mes grands-parents. Je pars jusqu’en 1830. Pour solutionner une réponse à une question, c’est regarder forcément vers l’Histoire.
 

-Justement, pourquoi avoir écrit cet essai aujourd’hui ?

L’effet déclencheur, c’est sans doute le décès de ma regrettée mère. J’écris depuis toujours. Pour la petite confidence, j’ai plusieurs écrits dans mes tiroirs. La Décoloniale est mon premier livre, édité par les éditions algériennes privées Frantz Fanon qui m’ont fait confiance et j’en suis ravie de l’avoir édité en Algérie. Le décès de ma défunte mère a été un cataclysme pour moi ainsi que pour toute ma famille. Elle était un maillon très important dans mon identité. Ainsi, je me suis posé la question de manière plus cruciale parce que je pensais que ma mère allait me rattacher et me raccorder à toutes ses interrogations. J’ai dû les faire toute seule ces réponses à ces interrogations.
 

-Pourquoi avez-vous opté pour le choix du titre La Décoloniale ?

Il allait s’appeler au début transfuge, puisque moi, je me considère comme une déportée de l’Histoire. Je n’ai jamais demandé de vivre en France. Je suis la suite de l’agression de 1830. En tous les cas, je le ressens comme cela. Etant donné qu’aujourd’hui, on parle beaucoup de la problématique des enfants d’émigrés en France et leur intégration etc. Décoloniale est un terme nouveau qui, aujourd’hui, soulève pas mal de polémique. Je m’étais dit que la décoloniale dans mon esprit, c’est de me décoloniser. Je me décolonise en revenant là où le mal fût fait. Je voudrais ajouter que dans mon essai, je rends un vibrant hommage à ma défunte mère mais également à mes grands-parents.
 

-Le regard des autres envers vous était très fastidieux, mais vous avez pu tout de même contourner ce malaise quelques années plus tard à travers la résilience ? 

Il est tout à fait juste que je me suis rendu compte plus tard que le regard des autres était très fastidieux. Plus exactement, le regard français vis-à-vis de cette population dont je fais partie. Petit à petit, forcément, la question reste en suspens. Qui suis-je ? Puisqu’on me dit que je ne suis pas comme les autres. On va chercher très loin, et à un moment donné, on ne peut pas faire le grand écart. 

En tout cas, pour être tranquille psychologiquement, il faut faire malheureusement un choix, parce qu’on veut nous mettre absolument dans un tiroir, nous donner une identité préétablie par la France. Or, nous sommes un mélange entre la culture française et la culture algérienne. Mais on ne nous accorde pas de la transformer et de la construire telle qu’on voudrait. Donc, à un moment donné, il faut faire un choix. Soit on reste et on est le boulet d’une histoire, soit on revient dans son pays natal. Je n’aime pas utiliser le mot revenir car soit on part du pays des origines de nos parents, on n’a plus d’attache quelque part si les codes sont différents. C’est un peu difficile. En tous les cas, je suis en paix avec moi-même et avec mes valeurs quand je suis en Algérie.
 

-La question de la femme revient avec insistance… 

C’est ce qu’on m’a dit. Je reconnais que j’ai une figure maternelle très forte. C’est pour cela que j’ai eu la force de quitter la France pour venir en Algérie. La figure de ma mère est très importante dans la famille, et en venant ici, en Algérie, je pense que je continue effectivement à lui rendre hommage.
 

-La langue maternelle semble quelque peu ambiguë, voire mal comprise chez vous…

Je dis malheureusement que je n’ai jamais su quelle était ma langue maternelle car je parle une langue que mes parents ne comprennent pas et vice-versa. Ils parlent une langue qui n’est pas la même que la mienne. Plus j’ai grandi et plus j’ai eu des difficultés parce que, du coup, le langage était plus évolué avec les parents. Quand ils voulaient me parler de certaines choses, j’avais du mal à comprendre. Ma regrettée mère employait des mots savants. Même si elle était illettrée, elle était instruite. Je voyais que j’avais perdu tout ce savoir. Que je ne pouvais même pas transmettre, n’ayant pas compris moi-même cette langue.
 

-Dans votre essai La Décoloniale, vous conviez le lecteur à plusieurs escales intimistes où vous vous dévoilez en quelque sorte…

Il est tout à fait juste que les parties de mon essai La Décoloniale sont différentes. Je fais appel à différentes histoires et souvenirs. Puis à chaque fois, j’évoque une problématique. C’est peut-être mon côté scolaire qui réapparaît. Il me semblait important de souligner des éléments qui étaient appréciables, de les mettre au-delà de mes histoires. Je tiens à souligner que ce qui était important dans La Décoloniale, ce ne sont pas mes histoires mais mon cheminement intellectuel. Comment je suis arrivée à cette conclusion que je ne pouvais pas plus rester en France alors que j’occupe toujours un poste important. Je pense que c’est encore plus douloureux pour certaines personnes qui ont vécu dans les «cités-ghettos» ou qui  avaient un faciès plus marqué. Me concernant, ce n’est pas le cas. J’ai, sans prétention aucune, un faciès dit européen, et j’ai vécu dans un endroit uniquement français. J’ai été chef d’entreprise et je le suis d’ailleurs encore. Malgré quelques privilèges et une situation à niveau social intéressante, j’en suis arrivée à ces conclusions, puisqu’on me catégorise et qu’on n’accepte pas la personne que je suis dans ma totalité. Eh bien, je devais moi-même me prendre en charge et ne pas être le fruit d’une histoire.
 

-Est-ce que vous ressentez une forme d’apaisement en ayant écrit votre essai ?

J’ai envie de dire qu’il y a un apaisement parce que je suis arrivée vers cette solution, c’est-à-dire que je me sens moins tiraillée puisque je suis ici en Algérie. Mais en même temps, je pense que cela a soulevé et remué beaucoup de choses en moi, même si je ne veux pas le reconnaître. Je suis tombée un petit peu malade et je pense que c’est un lien avec La Décoloniale, le fait de remuer ces choses-là. Je suis la décoloniale. Ce n’est pas un roman historique. Je suis le résultat du coup d’éventail, même si aujourd’hui, on comprend les choses de la vie et de l’histoire. 

C’est essentiel. On est le fruit de tout un cheminement. Soit on se laisse ballotter par l’histoire et on souffre, soit on se pose les bonnes questions et puis on se prend en charge. Moi, je me suis prise en charge très tôt. Je me suis dit qu’il faut que je me définisse moi-même. Et puis savoir qui je suis exactement. On me dit que je suis différente et je finis par voir cette différence avec la difficulté que cela a pu entraîner. Le fait de ne pas pouvoir parler arabe alors que mes parents le parlaient. Le regard négatif qu’on peut avoir sur l’histoire de l’Algérie. La conclusion : on m’a dit que j’étais différente. Je le suis effectivement. Par contre, je suis comme ceux qui sont en Algérie. Je vais partir vivre là-bas et j’aurai mes pieds bien ancrés dans la terre algérienne. Je ne regrette pas mon choix. Cela ne concerne pas seulement les Algériens, cela concerne tous les enfants d’émigrés de colonies françaises car quand je parle à des Congolais, des Sénégalais, ils ont tous le même problème.
 

-Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Bien sûr, il y a la suite de La Décoloniale. Cette Maleyka est en Algérie et on verra comment elle va vivre sa nouvelle vie dans son pays natal. Dans un pays qui n’est pas celui où elle a vécu. C’est mon regard de femme dans une culture occidentale, dans une Algérie qui n’est pas toujours facile. Il me semble que le deuxième tome sera plus intéressant que le premier. Il y a une grande partie qui est déjà écrite. Sinon, je serai présente pour présenter mon essai La Décoloniale le 24 février à la librairie Point Virgule à partir de 14h et le jeudi 29 à partir de 14h à la librairie du Tiers Monde.

 

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