Mahmoud Boudarène. Psychiatre et auteur : «Le phénomène nécessite des solutions éducatives et préventives»

24/12/2024 mis à jour: 14:57
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Photo : D. R.
  • Le caillassage des trains est un acte de vandalisme aux multiples conséquences. Il met en danger la sécurité des usagers et cause des dommages matériels importants. Ce phénomène, souvent attribué aux jeunes, nécessite-t-il une analyse approfondie pour en comprendre les racines psychologiques et sociales ?

Il y a un demi-siècle, j’ai vécu de telles scènes. A proximité de chaque gare, entre Alger et Tizi Ouzou, les enfants jetaient déjà des cailloux sur les trains. Cela les amusait. Ils ne se rendaient pas compte des dégâts matériels qu’ils pouvaient occasionner et n’avaient pas conscience que des conducteurs de trains ou des voyageurs pouvaient être blessés.

Ce phénomène est toujours là et il semble s’être amplifié. Selon les informations que j’ai pu recueillir, l’Algérie est en tête de peloton, avec l’Egypte, le Pakistan et l’Inde. L’oisiveté pousse les individus à commettre ce genre de forfaits.

Chez les adolescents, il s’agit d’une distraction dangereuse motivée par un besoin de transgression et d’excès et le désir d’éprouver de fortes émotions, en particulier quand s’y ajoute une consommation de substances psychotropes.

Ces actes sont amplifiés par la dynamique de groupe. Parce qu’ils viennent souvent de quartiers défavorisés, de zones rurales ou périurbaines exposées au passage de trains, les sujets expriment de cette façon leur ressentiment envers une société qu’ils perçoivent comme injuste et les rejetant.

L’absence d’infrastructures de loisirs dans ces endroits les conduit devant les rails - l’occasion crée le larron. Les jets de pierres prennent alors l’allure de rituels et deviennent ordinaires, notamment du fait de l’impunité, de l’absence de sensibilisation et de contrôle social. Le geste est transmis aux générations suivantes comme une «tradition» à perpétuer.

  • Quels sont les mécanismes psychologiques qui poussent les individus à s’engager dans des actes de caillassage des trains ?

Les comportements violents sont le reflet d’une souffrance psychique en relation avec une existence pénible. Les jets de pierres contre les trains sont la traduction d’une colère latente à l’endroit d’un système vécu comme injuste et éloigné des préoccupations des individus.

Pour les jeunes, notamment, ces comportements constituent une tentative d’affirmer leur existence. Ils disent ainsi leur sentiment d’exclusion, formulent des revendications sociales. Il est important de souligner que le faible niveau culturel et d’éducation civique de ces populations fait le lit de tels comportements et les facilitent.

L’absence du sentiment citoyen et le désintérêt pour le bien commun, la faible sensibilisation aux dangers et aux conséquences de ces actes, les problèmes sociaux nombreux, l’impunité et dans certains cas l’absence de sanctions ou de surveillance des biens constituent le cocktail qui encourage ces actes à se perpétue pendant qu’ils alimentent le désir constant de la révolte contre l’Etat et ses institutions.

  • Quel rôle jouent les facteurs sociaux, comme le sentiment d’exclusion, la pauvreté ou l’absence de repères, dans l’émergence de ces actes de violence ?

Pour mieux comprendre ses racines et identifier des solutions durables, ce phénomène doit être examiner sous un angle systémique. Il n’est pas limité à un pays ou une région spécifique, il existe dans de nombreux pays en développement mais est également présent dans des zones précaires des pays développés.

Cela souligne l’existence d’un lien direct entre cette forme de violence et les problèmes sociaux. Il faut rappeler que ces actes surviennent souvent dans des territoires délaissés par les autorités. L’absence d’investissements dans l’aménagement des abords des voies ferrées participe de cet abandon et pointe du doigt le manque de prise en compte des besoins de ces populations.

Le train peut être perçu comme un symbole de modernité ou de pouvoir et en être la cible pour ceux qui se considèrent exclus de l’une et de l’autre. Mais il y a aussi l’effet de groupe avec la contagion qui s’y produit et l’exonération subséquente de la responsabilité de l’auteur du passage à l’acte, celui-ci étant inscrit à l’actif de tout le groupe.

  • Quelles stratégies psychologiques et sociales pourraient être mises en place pour prévenir ces comportements destructeurs et encourager un changement positif ?

Ce phénomène est le symptôme d’une fracture sociale. Les réparations des trains et les soins aux blessés alourdissent les coûts pour la communauté en particulier quand les usagers ou les conducteurs de train, victimes des jets de pierres, développent un état de stress post-traumatique, une affection mentale redoutable.

Les solutions à ce phénomène doivent renforcer la justice sociale et réduire les inégalités, en créant notamment des opportunités d’inclusion de ces populations dans l’accès au travail, au logement, à l’éducation, etc. Une mise en place de programmes d’échanges, durant lesquels seront expliqués les conséquences de tels comportements, tant pour les victimes que pour les auteurs, est indispensable.

Ce phénomène, qui illustre un problème de désengagement social, nécessite des réponses adaptées. C’est pourquoi il faut des campagnes de sensibilisation et d’éducation des individus à l’engagement pour le destin commun et pour le respect et la préservation des biens de la communauté.

Ces campagnes doivent être étendues aux écoles et concerner également les populations proches des voies ferrées. Il est nécessaire de renforcer les mesures de sécurité aux abords, d’exercer une surveillance accrue et de dresser des clôtures le long des voies sensibles. Enfin, il est intéressant d’associer les habitants aux projets d’amélioration des infrastructures ferroviaires ou de sécurisation des voies, afin de faire émerger le sentiment de responsabilité collective.

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