M. Kaoubi analyse les actions du gouvernement à la lumière des dernières décisions qui l’ont amené à renoncer à ses premiers choix de politique économique, formulés dans le cadre de la loi de finances 2022, afin d’atténuer l’effet d’une forte inflation qui a mis à rude épreuve le pouvoir d’achat des Algériens.
- La chute drastique du pouvoir d’achat des Algériens a contraint l’Exécutif à revoir sa copie telle qu’énoncée dans la LF-2022. Pensez-vous que cela aurait été possible sans la remontée des cours du pétrole ?
Le gel temporaire de certaines taxes et impôts grevant des produits de première nécessité et le retour à la subvention des céréales servant à la fabrication des pâtes alimentaires constituent la troisième famille de mesures prises par les pouvoirs publics pour soutenir un pouvoir d’achat en continuelle dégradation, et ce, après la révision du SMIG et le réaménagement du barème de l’IRG.
Sincèrement, vu l’ampleur de la tension inflationniste observée depuis plus d’une année et son impact sur le pouvoir d’achat, et considérant les revendications des citoyens et des représentations syndicales, nous pensons que le gouvernement aurait adopté ces mesures même si les prix du pétrole n’avaient pas été à leur niveau actuel. Par ces mesures, l’objectif est d’apporter un soutien aux petites bourses et éviter une dégradation du climat social.
- Croyez-vous qu’il s’agit là de la réponse du gouvernement à l’inflation qui a explosé ces derniers mois ? Et dans l’affirmative, les mesures prises sont-elles suffisantes, selon vous ?
Le gouverneur de la Banque d’Algérie annonçait en novembre 2021 déjà un taux d’inflation de 9,2%, attestant d’une accélération du rythme du processus inflationniste. Les mesures prises par le gouvernement ont porté principalement sur le soutien du pouvoir d’achat, considérant que l’inflation est principalement importée et due à l’augmentation des prix des produits et des services du fret sur le marché mondial.
Ce soutien a concerné un des déterminants du pouvoir d’achat, celui du revenu, occultant d’agir significativement sur la relance de l’appareil de production et celui de l’organisation des circuits de distribution (même si une loi sur la criminalisation de la spéculation fut promulguée). Dans ce contexte, les mesures d’ordre administratif n’ont pas eu l’effet escompté.
La rigidité de l’appareil de production national, la vulnérabilité de la production agricole aux contraintes liées à la pluviométrie et enfin à la désorganisation des circuits de distribution ont été les facteurs les plus déterminants dans le maintien d’un rythme accéléré de l’inflation.
Il faut noter que l’opération de réorganisation du secteur du commerce extérieur et de maîtrise des importations, telle qu’elle a été menée, a aussi contribué à la création d’un environnement favorable aux comportements spéculatifs.
Dans ce sens, l’action du gouvernement aurait dû concerner ces trois déterminants pour une meilleure maîtrise de l’inflation. Nous soulignons aussi que le recours au financement monétaire du déficit du Trésor (environ 2700 milliards de dinars pour 2021) est un autre facteur qui a contribué à l’accélération du taux d’inflation et qui risquerait de le porter à des niveaux encore plus élevés si des réformes plus profondes n’étaient pas mises en place.
- A quoi peut-on imputer, selon vous, ce recul du gouvernement par rapport à la LF-2022 signée un mois et demi avant ?
Dans le contexte actuel, les arbitrages sont extrêmement difficiles. Ceci traduit la vulnérabilité de l’économie algérienne aussi bien en matière de revenu qu’en approvisionnement en produits finis et en intrants pour les secteurs industriel et agricole. Entre l’objectif de maîtrise des déficits publics et les contraintes liées à la nécessité de maintenir une certaine «paix sociale», le gouvernement fait appel encore une fois à la subvention et à la défiscalisation de certains produits.
Ces mesures quand bien même nécessaires ne pourraient qu’accentuer les déficits et nourrir encore plus l’inflation. Leur effet ne serait que temporaire si les ajustements profonds visant à relancer l’appareil de production, rétablir les marchés et les mettre à niveau aux exigences d’une économie concurrentielle ne sont pas convenablement pensés et rapidement mis en exécution.