Mahfoud Kaoubi. Economiste : «La guerre commerciale va déstabiliser toute la chaîne des valeurs du commerce international»

14/04/2025 mis à jour: 12:37
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Mahfoud Kaoubi

Analysant les interventions spectaculaires de ces derniers jours sur la scène économique mondiale, Mahfoud Kaoubi décortique les enjeux qui sont derrière l’offensive de l’administration Trump sur le front du commerce international, où il impose à tout-va des droits de douane  supplémentaires, parfois même très élevés, aux exportations de biens arrivant sur le marché américain. L’impact sur le marché mondial du pétrole ne s’est pas fait attendre, puisque les cours du brut ont déjà bien commencé à évoluer à la baisse. Éclairage.

 

Entretien réalisé par Ali Benyahia

 

Les cours de pétrole commencent à être sérieusement impactés par les mesures protectionnistes initiées par le président américain, Donald Trump.  Jusqu’où pourra évoluer, selon vous, cette psychose qui s’est emparée des marchés boursiers et fait redouter le pire sur l’état de l’économie mondiale.

La tendance baissière des cours du pétrole est enregistrée depuis le quatrième trimestre 2023 déjà. Ce serait faux de la lier uniquement aux mesures protectionnistes annoncées seulement il y a une dizaine de jours par l’administration américaine. Le relèvement du droit de douane sur les partenaires commerciaux des Etats-unis a, par contre, accéléré le processus de baisse des prix produisant une chute de plus de 15% des cours en une semaine seulement et presque 20% depuis le début de l’année, ramenant le niveau des prix de l’or noir à celui observé en 2021 .

Se remettant difficilement des effets de la pandémie de la Covid-19 et de la guerre entre la Russe et l’Ukraine, l’économie mondiale risque de rentrer dans une situation encore plus compliquée qui se traduira par un ralentissement de la croissance (déjà très môle) et une compression importante du commerce mondial. Prévue à 3,6%, la croissance mondiale risque de perdre un point à 1,5% sous l’effet de ces nouvelles mesures, de même que le commerce mondial risque aussi une compression de 2 à 5%.

L’annonce de la suspension provisoire pour 90 jours de l’application des droits de douane réciproques a permis aux cours des différentes places boursières une certaine reprise après une baisse significative qui annonçait un véritable crash boursier aux répercussions lourdes sur les plans économique et financier. Le pire a été certainement évité, mais l’incertitude continue à planer encore. Ce qui est certain, c’est que la croissance économique va être révisée à la baisse avec comme conséquence un prix du pétrole qui, sauf tensions géostratégiques nouvelles, devrait se situer entre 60 et 65 dollars en moyenne cette année.
 

Cette guerre commerciale d’ampleur que vient de décider l’administration Trump risque de déstabiliser l’économie mondiale, tant au niveau de la croissance qu’au plan de l’inflation. Qu’en pensez-vous ?

Cette nouvelle guerre commerciale dont l’ampleur et l’étendue dépassent celle connue lors du premier mandat de Trump déstabilisera toute la chaîne de valeur du commerce international et aura pour conséquences, si des solutions négociées ne sont pas trouvées rapidement, de réduire des volumes de biens et des services échangés sur les marchés mondiaux. Le renchérissement des prix de bien et des services suits à l’application des nouveaux taux de droits de douanes entraînera certainement des poussées inflationnistes plus au moins aigues, notamment sur les courts termes, le temps que les chaîne de valeur s’adaptent à la nouvelle configuration qui se met en place.

Le président américain semble ne pas vouloir se déjuger sur sa politique économique en dépit des appels incessants de ses partenaires économiques et commerciaux. Quels en sont les enjeux, selon vous ?

Plaçant la ré-industrialisation des Etats-Unis comme objectif principal, permettant de rétablir l’avantage concurrentiel largement en faveur des USA par rapport aux autres Etats du monde, le Président américain pense pouvoir renforcer l’économie réelle du pays après une financiarisation de plus en plus grandissante, source de déséquilibres touchant aussi bien la sphère budgétaire que monétaire. 

Les droits de douanes sont considérés par le président et ses conseillers économiques comme un des leviers les mieux à même d’opérer les réajustements nécessaires. Notamment de réduire des importations des biens, attirer l’investissement et les capitaux étrangers et par là même, réduire des déséquilibres de la balance des paiements et augmenter des recettes fiscales. Cette vision est construite sur une doctrine économique protectionniste et une manière de faire politique propre au président américain. Bien que décriée par tous ses partenaires commerciaux et une grande partie d’économistes mondialiste, sa stratégie reste cohérente et surtout ambitieuse et courageuse.

L’Algérie devrait-elle se préparer à un scénario catastrophe au cas où les prix de pétrole devraient évoluer loin des niveaux escomptés pour l’élaboration d’une loi des finances dont le budget de l’Etat devrait être sinon équilibrée du moins pas très déficitaire ?

Comme précisé plus haut, la tendance des cours du pétrole est baissière depuis le quatrième trimestre 2023. Le ralentissement du rythme de la croissance mondiale, le dénouement de la crise russo-ukrainienne et éventuellement une levée des sanctions sur l’Iran et le Venezuela, le tout conjugué à la volonté de l’Administration américaine de stabiliser les prix du baril pétrole autour de 60 USD, renseignent sur la poursuite de la baisse des cours pour les années 2025 et 2026 pour se stabiliser autour d’un prix moyen de 60 dollars US. Un prix qui arrange en réalité en bonne partie des grands producteurs et surtout les consommateurs. 

Cette situation n’est pas faite pour arranger nos finances publiques, quand bien même les prévisions de budget 2025 sont établies sur la base d’un prix de référence de 60 USD et un prix de marché de 70 USD. Les marges de manœuvres vont certainement rétrécir après une période d’embellie des prix du pétrole qui a été en faveur du pays, évitant, durant les trois dernière années, à la dette publique d’exploser suite à une augmentation significative du niveau de la dépense publique et par-là du poids du déficit budgétaire (+ 45% du budget pour 2025). Le rétablissement de l’équilibre ne serait pas facile sur le court terme, notamment avec la structure actuelle du budget de l’Etat et la part des dépenses obligatoires ou incompressibles dans ce budget. 

La réduction des déficits passe par des ajustements aussi nécessaires qu’indispensables qui devraient émaner de réformes structurelles. Ces réformes devraient toucher aussi bien la sphère budgétaire, monétaire, cambiaire que celle de l’économie réelle par le rétablissement des prix réels et la mise en œuvre d’outils de régulation plus performants permettant de libérer l’investissement de production et de contribuer à l’édification d’une économie de marché concurrentielle.. 
 
 

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