Mahfoud Aoufi. Auteur, ancien trésorier général de l’Algérie : «En 1963, il n’y avait pas une dizaine d’Algériens au fait des problèmes financiers du pays»

11/04/2022 mis à jour: 07:10
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Mahfoud Aoufi

L’auteur Mahfoud Aoufi a signé aux éditions ANEP son premier ouvrage intitulé « Indépendance et souveraineté financière, Algérie 1962 ». Rencontré, dernièrement à l’occasion du 25e Salon international du livre d’Alger, cet ancien responsable financier du GPRA Ouest et ancien trésorier général de l’Algérie évoque dans cet entretien, notamment les problèmes rencontrés par les cadres algériens au lendemain de l’indépendance de l’Algérie pour prendre la succession du trésor français afin d’asseoir une souveraineté financière de l’Algérie.

Propos recueillis par Nacima Chabani

  • De part votre parcours des plus brillants, vous avez occupé plusieurs postes importants dans la finance et la trésorerie algérienne. Pourquoi avoir mis plus de vingt ans pour publier votre premier ouvrage ?

Il est tout à fait exact que j’ai mis un peu plus de vingt pour écrire mon ouvrage. C’est un travail de recherche. Vingt ans pour avancer quelque chose, il faut avoir une preuve. Tout ce que j’avance, même des fois, des choses assez techniques, c’est prouvé. Sinon, j’ai été de tout temps dans les finances. J’ai pris ma retraite le 31 octobre 1982. Et depuis cette date, je voulais écrire sur comment nous avons pris la succession du trésor français. C’est tout le problème et ce, à partir du décret exécutif, ensuite la prise en main de ce qu’on appelait dans le temps la trésorerie générale de l’Algérie. Celle-ci était le véritable ministère des finances pendant l’occupation de l’Algérie. C’est toute cette période-là que j’ai vécue avec beaucoup de difficultés que je relate en partie dans mon ouvrage. Il est à noter que j’ai été trésorier général de l’Algérie, directeur du trésor, secrétaire général du ministère des finances, ensuite gouverneur de la banque centrale. Il faut avouer que j’ai vécu avec les finances dès le départ. Mais avant l’indépendance, j’étais le trésorier du GPRA de l’Etat major général de l’ouest.

  • Est-il permis de dire que vous détenez financièrement tous les secrets de la succession du trésor français ?

Je dirais que financièrement oui. Qu’on le veille ou non, lorsque nous avons pris la succession des français le 1er janvier 1963, il n’y avait pas une dizaine d’Algériens en mesure d’avoir une connaissance quelconque des problèmes financiers du pays. Mais dans le cadre des différents accords d’Evain qui avaient été signés soit avec l’exécutif provisoire, soit pour la poursuite des relations entre le trésor français et le trésor algérien, nous rencontrions tous les vendredis soir pour tirer le bilan en recettes et en dépenses des deux côtés. Pendant tout cette période-là, nous n’avions pas cessé de poser des questions parce qu’on nous présentait un chèque à payer. Or, on nous a appris pour payer un chèque, il faut avoir une justification.

  • Justement, comment expliquez-vous ces questions sans réponses ?

Dans mon livre, j’aborde ce problème là. En effet, j’évoque le problème de l’exécutif provisoire en détail. Mais ensuite si nous voulons comprendre la situation de la succession, c’est le fameux accord du 23 décembre 1966. En deux mots pour arriver à cet accord du 23 décembre 1966, nous avions négocié un peu plus d’un an et demi. Les premières négociations avaient commencé en juillet 1965. Il a fallu attendre décembre 1966 pour arriver à un accord dont nous étions les maîtres. C’est tout le problème, par exemple, des fameux comptes spéciaux qu’on reprend et qu’on trouve dans la législation algérienne maintenant.

Pour dire que pendant les négociations, nous posions, constamment, des questions. Par exemple, le compte 349, représente quoi ? A force de poser ces questions, ils se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient nous donner aucune justification. C’est ainsi qu’avec des revendications qui étaient astronomiques, nous avons fini le 23 décembre 1966 à un accord où on ne reprenait que le marché financier parce qu’il était en mesure d’être justifié. Par ailleurs, ce qui nous a mis un petit peu dans le secret, c’est que nous avions enregistré en décembre 1963 une lettre du ministère des finances français qui disait à la mission qui était chargée de tirer le bilan de 1962 : Faite attention, un certain nombre de comptes pourraient ne pas être acceptés par les autorités algériennes, tel le compte 349 où il y avait pas mal de dépenses concernant la guerre d’Algérie.

  • Vous soutenez dans votre ouvrage qu’il n’y avait pas uniquement un seul compte spécial mais quatorze autres ?

Comme je l’ai dit plus haut, pour avancer quelque chose, il faut avoir une preuve. Quand je dis que Giscard d’Estaing a soutenu que le compte 349, on l’efface, nous, nous avions dit à l’époque, comment avez-vous fait pour l’effacer. A ce moment-là, il n’y avait pas un seul compte spécial, mais il y avait quatorze comptes. A ce moment-là, nous avions posé la question pour l’ensemble des comptes. Comme ils n’étaient pas en mesure de donner des justifications, le dernier jour des négociations à la villa Aziza, nous avons vu arriver le 22 décembre 1966, Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la banque de France, Georges Plescoff, directeur de la caisse des dépôts et Adéodat Boissard, gouverneur du Crédit foncier. Ces derniers avaient dit aux deux chefs de la délégation, on efface tout et on ne laisse que le marché financier. 

Ainsi, à l’issue de la réunion avec les deux chefs de délégation, nous apprenions que les gouvernements algériens et français, désireux de régler certaines questions financières nées de l’existence de créances et réclamations, tant algériennes que françaises, sont convenus de s’interdirent toute revendication ultérieure au titre des créances et réclamations présentées tant du côté algérien que du côté français et énumérées dans l’annexe I. De même que le gouvernement algérien s’engage à honorer à bonne, à partir du 1er janvier 1966, les échéances ou les sommes dues au titre des emprunts, des bonifications et des commissions, énumérées à l’annexe II du présent accord. En somme, c’est l’accord du 23 décembre 1966 qui mettait un point final à une série de contestations et d’interprétations divergentes.

  • Vous revenez également sur les relations avec la Banque mondiale qui n’on pas été de tout repos ?

La première visite de la Banque mondiale en Algérie s’est déroulée en 1958. Pour rappel, au lendemain des assises de 1958, du FMI et de la BIRD qui s’étaient tenues du 6 au 11 octobre 1958 à New-Delhi, Eugène Balck, qui présidait aux destinées de cette institution depuis 1949, s’était rendu deux années plutôt en 1956 en Algérie pour visiter Hassi-Messaoud. Les Français pensaient, qu’avec la découverte du pétrole, elle allait faire des économies à coup de millions. 

Ensuite, quand on a voulu prendre les choses en main, la banque mondiale, nous a discuté notre façon de mener les choses pendant cinq ou six ans. Le premier accord que nous avons signé avec la banque mondiale est le 19 juin 1973.Pourquoi ? D’une part, ils ont fini par dire, vous avez une façon de penser, libre à vous. Mais entre temps, on a eu le problème avec le France et les indemnisations. Là aussi, on a eu des discussions avec Giscard d’Estaing d’une manière très violente et on a fini à ce moment-là les négociations. Ils avaient accepté notre façon de penser la finance. Il fallait que nous réglions le problème des indéfinités et des rapatriés. Mc Namara, qui était à la tête de la banque mondiale, nous a fait confiance. En définitive, notre accord avec la banque mondiale qui date du 19 juin 1973, c’est moi qui ai eu l’honneur de le signer le premier. Et à ce moment-là, en 1976, on avait réglé avec les Français le problème des indemnisations.

  • Votre livre s’adresse au large public en général et à la jeunesse algérienne en particulier.

Je rappelle que quand nous avions pris la succession financière du pays, il n’y avait pas plus de sept personnes en mesure de suivre les discussions. Or, aujourd’hui, pour la prochaine rentrée scolaire, il y a dix millions d’enfants algériens qui rentreront à l’école. Pour dire comment les anciens qui ne savaient rien parce qu’on ne leur pas permis de savoir. A la trésorerie générale, par exemple, sur 1703 agents, il n’y avait pas un seul Algérien de cadre A. Il y avait à peu près 77 ou 97 de cadres B. Il y avait 40 de cadre C. En tout et pour tout, sur approximativement 1000, nous n’avions moins d’une centaine dont la plupart était des cadres C. Or quand on a fait le parcours qu’on a fait, quand on ne connaissait absolument rien et qu’on n’accepte pas qu’on nous dise n’importe quoi. C’est pour cela que je dis aux jeunes, prenez les choses en main. C’est un pays qui peut, grâce à sa jeunesse, de remonter énormément. C’est un message que je lance aux jeunes. Attention, vous voulez que ce pays devienne valable et solide, vous avez des capacités. Nous avons les moyens. Prenez la relève et retroussez-vous les manches.

  • Quel regard portez-vous sur l’actuelle finance algérienne ?

Je dirai que nous avons énormément de possibilité. Il y a eu une avancée certaine mais les analyses sont inexactes.

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