Maamar Addad. Ingénieur en aménagement du territoire à Chlef : «La prévention sismique doit être permanente et soutenue, surtout dans la phase réalisation»

19/02/2023 mis à jour: 00:05
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Maamar Addad. Ingénieur en aménagement du territoire à Chlef

Maamar Addad est expert en aménagement du territoire, il a été directeur de l’Agence nationale d’aménagement du territoire (ANAT)  de Chlef de 1981 à 2008. Il était donc au cœur de la reconstruction de la ville après le violent tremblement de terre du 10 octobre 1980. 

C’est pourquoi, nous l’avons sollicité pour nous donner un éclairage sur des questions liées à la prévention et la réduction des risques sismiques dans les régions exposées à ce phénomène naturel.

  • De violents séismes ont ébranlé récemment la Turquie et la Syrie ? Qu’est-ce que cela évoque pour vous en tant qu’ancien responsable de l’ANAT à Chlef ?

Tout d’abord, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer une fois de plus sur le sujet lié aux catastrophes naturelles, particulièrement les séismes que les sismologues ont toujours avertis de leur survenue incontrôlable dans les zones dites vulnérables (zones de failles actives).

Les conséquences des séismes violents qui ont frappé récemment la Turquie et la Syrie, nous interpellent sur la façon de nous comporter face à de telles catastrophes, notamment en ce qui concerne les techniques de construction et les choix urbanistiques, entre autres.

En Algérie, les tremblements de terre aussi violents qui ont frappé la région de Chlef en 1980 et celle de Boumerdès en 2003, causant des milliers de morts et de blessés, en plus des bâtiments détruits, ont été des facteurs déclenchant ayant conduit les autorités centrales et les services compétents en matière de construction et de contrôle technique à développer des normes parasismiques qui doivent s’appliquer à tout le pays pour atténuer la gravité des risques en cas de sinistre provoqué par le séisme. De même, une urbanisation de forte densité n’est pas de nature à faciliter les interventions en cas de violent séisme pour les secours et la prise en charge des populations sans abri et exposées aux aléas climatiques et autres dans pareille situation. Donc, le coût de la prévention globale demeure moindre face aux conséquences graves de destruction de bâtiments et de pertes en vies humaines.

  • Cela nous amène forcément à parler de la prévention sismique et du contrôle technique dans les régions exposées aux risques sismiques dans notre pays, notamment la ville de Chlef qui a connu un séisme ravageur en 1980. Quel est votre commentaire à ce propos ?

Des séminaires, tenus régulièrement pour évaluer la gestion des catastrophes naturelles, ont permis toujours de tirer les leçons des expériences passées pour améliorer les paramètres des choix de terrain et des techniques de construction avec insistance sur la qualité et les compétences des entreprises de réalisation.Le choix des sites constructibles doit être aussi rigoureux, comme développé et fermement recommandé dans les études de microzonation sismique faites après le séisme de 1980, lesquelles ont également abouti à une cartographie précise et complète de la ville de Chlef à l’époque.Aussi, les structures en charge des contrôles de construction doivent être sévères et rigoureuses dans les étapes de construction en faisant respecter les techniques et règles de construction requises dans la région exposée aux risques sismiques, surtout que les bâtiments R+5 et plus sont désormais autorisés dans la région. La sensibilisation et la formation des maçons, par exemple, ne doivent pas être non plus négligées. C’est souvent à ce niveau que le talon d’Achille se manifeste.

Ne dit-on pas que ce sont les constructions qui tuent et non le séisme. Il est tout aussi nécessaire d’associer dans toute opération d’urbanisation dans les zones concernées, la Protection civile, le contrôle technique, les architectes, les ingénieurs en génie civil et autres pour mettre en avant la prise en charge du risque sismique. A propos de la ville de Chlef, nous constatons un développement urbain conséquent, mais la densification faite au niveau de certains quartiers nouveaux doit nous interpeller énormément.

  • Il est donc primordial d’intégrer de manière permanente et soutenue la prévention sismique dans toute la chaîne de conception et de construction des projets. N’est-ce pas ?

Comme vous l’avez signalé dans cette question, il s’agit bien d’une chaîne de conception et de construction qui doit être constamment en place et bien articulée entre tous les intervenants.La prévention sismique est l’affaire de plusieurs intervenants qui commence d’abord par les études que doivent mener de pair les architectes et ingénieurs du bâtiment en associant la Protection civile. Ces derniers doivent être également associés dans les choix de terrain où ils ont leur mot à dire sur les sites des projets programmés.

C’est surtout dans la phase réalisation où le contrôle doit être permanent et rigoureux avec le détachement d’ingénieurs sur les chantiers jusqu’à la réception de constructions, et ce, quel que soit le type de projets (privés ou publics).

  • On assiste à une prolifération de constructions en brique rouge le long des principaux axes routiers autour de la ville. Comment expliquer ce phénomène inquiétant ?

Ce que nous constatons sur les axes routiers comme paysage urbain majoritairement constitué de briques rouges relève de l’absence de suivi dans la conception et le traitement des façades de nos tissus urbains.

Les entreprises de fabrication de ce genre de briques doivent être associées dans la conception et la fabrication de nouveaux matériaux adaptés à la spécificité de la région pour assurer confort aux habitants (isolation phonique et thermique) et assurer une plus grande résistance aux secousses tout en prescrivant des traitements des façades des constructions dans le permis de construire.

  • Beaucoup de citoyens estiment que l’urbanisme est fortement défiguré dans la ville de Chlef. Comment y mettre fin ?

La question est pertinente et mérite une grande réflexion comme nous l’avions déjà dit par le passé.Certes, l’urbanisation de Chlef est déséquilibrée entre les composantes formées par les quartiers anciens, les zones en préfabriqué et les nouvelles entités urbaines, mais urbaniser dans la région sismique, c’est développer une chaîne de conception – construction, avec l’objectif premier d’atténuer les effets dévastateurs des constructions, tout en répondant aux besoins qui s’expriment en termes architecturaux, socio-économiques et environnementaux.

Les exemples de séisme très violents dans les pays comme le Japon ou la Chine révèlent, une fois de plus, que les constructions sont généralement conçues pour   résister aux catastrophes naturelles, même si le coût est un peu plus élevé dans la  réalisation. 

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