Trente-deux rue des Tables Claudines. C’est là à Lyon, que le groupe Carte de séjour, créé en 1980 dans la banlieue, à Rillieux-la-Pape, trouva un lieu de répétition qu’il louait. Pour payer le loyer, il organisait des fêtes devenues «cultes» dans le souvenir de ceux qui y ont assisté.
Pour Jérôme Savy, l’un des deux derniers membres vivants avec Mokhtar Amini, «les gens ne citaient plus le nom de la rue que par ‘‘la rue de Carte’’», selon des propos recueillis par France 3 Grand Lyon.
C’est son frère, Mohamed (décédé le 27 novembre 2019), qui avait eu l’idée de monter ce groupe, aux sonorités surtout électriques rock et punk, un genre en vogue à cette époque, beaucoup de jeunes, d’origine algérienne et maghrébine d’une manière générale, se sont lancés sans arrière-pensée dans cette musique, avec un succès tout relatif, hormis Carte de séjour qui explosa le curseur de la notoriété.
Le quatrième membre était Djamel Dif, aujourd’hui fatigué et qui n’a pas pu se rendre à Lyon pour assister au dévoilement de la plaque hommage, mardi 16 mai, à l’initiative de la mairie du 1er arrondissement sur les pentes de la Croix-Rousse, en l’honneur du groupe légendaire franco-algérien dont le porte-voix est le regretté Rachid Taha (décédé le 12 septembre 2018), cinquième membre dont l’apport fut décisif.
Il fut le sel et le sucre d’un cocktail détonnant dans la France encore frileuse de l’époque vis-à-vis de cultures exogènes. Il ajouta l’ossature qui manquait au groupe en distillant la dimension arabe, laquelle donna naissance à un style inimitable, inégalé et intemporel. «Ils sont inscrits dans un courant protestataire à la fois sur un plan musical et politique», confie la maire, Yasmine Bouagga, au journaliste de France 3.
Il est vrai que la reprise punk de Douce France de Charles Trenet vaut mille tracts en faveur de l’intégration, alors que la Marche des beurs de 1983 s’ébranlait pour réclamer égalité et justice pour les enfants de l’immigration. Il n’est d’ailleurs pas douteux que cet air de Trenet tournait déjà dans la tête des milliers de jeunes nés en France, bien avant que Taha ait eu l’idée de l’adapter, avec la réussite qu’on lui connaît. Le groupe, rappelle Yasmine Bouagga, se faisait le révélateur de «voix qui n’étaient pas entendues sur la scène publique : celles des immigrés et de leurs enfants… Ils étaient des silhouettes invisibles…»
«UN GROUPE COSMOPOLITE, EMBLÉMATIQUE DU MÉLANGE DES MUSIQUES»
La plaque indique que le groupe Carte de séjour répétait ici, «au rez-de-chaussée de cet immeuble, véritable laboratoire de créativité. (…) Emblématique du mélange des musiques et groupe cosmopolite… (le groupe) a revendiqué l’égalité des droits et l’antiracisme, des scènes françaises jusqu’aux festivals internationaux».
La maire, en annonçant à la presse la pose de la plaque, a indiqué : «On voulait trouver une manière festive pour célébrer l'identité métissée des pentes, la mobilisation, les combats qui ont fait l'histoire du quartier.
Le groupe Carte de séjour était la bonne entrée pour représenter tout cela», en ce «quartier de métissage, un quartier de mobilisations, un quartier de revendications». La municipalité lyonnaise s’engage ainsi à «poursuivre la défense des valeurs que le groupe a portées : la fraternité, la tolérance, la lutte contre les injustices et les discriminations».
Il est vrai que par la suite, Rachid Taha, après la dissolution du groupe, vécut une carrière en solo. Il frappa les imaginations en rappelant ses origines pour lui essentielles, internationalisant le chant déchirant du mirage trompeur de l’exil dans une reprise de Ya rayah de Dahmane El Harrachi, avec ces vers en particulier : «Ô toi l'émigré, tu ne cesses de courir dans le pays des autres/ Le destin et le temps suivent leur course mais toi tu l'ignores.»
En tout cas désormais le groupe fait partie du patrimoine lyonnais. Qui l'aurait prédit il y a 40 ans ?
Paris
De notre correspondant Walid Mebarek