Il est clairement établi que les changements climatiques imposent désormais leur marque et leur symptomatologie dans notre environnement quotidien. La société, le cadre de vie et l’économie commencent à être affectés à l’échelle de presque toute la planète.
En d’autres termes, le concept de changement climatique n’est plus l’apanage des membres du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui font des rapports périodiques sur leurs activités de suivi et de recherche, ni le monopole des différentes Conférences des parties (COP) sur les changements climatiques qui se sont tenues au cours de ces dernières années.
Ce vocable a investi tous les médias classiques et numériques ainsi que les réseaux sociaux. Mieux, le terme commence à avoir sa place dans l’administration publique, les agences de développement et les bureaux d’études dans un grand nombre de pays.
En Algérie, ce concept a fait son entrée dans le lexique dans plusieurs départements ministériels (Environnement et Energies renouvelables, Energie et Mines, Ressources en eau, et Agriculture et Développement rural) et, de ce fait, commence à être intégré, même si, parfois, de manière fort modeste, dans certains axes des politiques publiques du gouvernement.
En tout état de cause, la prise en compte de cette donnée fondamentale prendra, dans les années à venir, des proportions de plus en plus importantes à la mesure des défis qu’un tel bouleversement peut entraîner sur notre cadre de vie, notre économie, voire sur la survie même de l’être humain sur la planète Terre.
Parmi les départements ministériels qui ont intégré la donne climatique dans la conception des programmes de développement, ceux de l’Hydraulique et de l’Agriculture semblent sans doute être les plus avancés.
Le premier, par l’installation de stations de dessalement de l’eau de mer et de projet de réutilisation des eaux usées, sans que l’on enregistre encore des niveaux optimum d’exploitation de ce dernier segment ; le second, par les efforts dirigés vers les techniques de l’économie de l’eau dans l’irrigation, le soutien aux agriculteurs pour une arboriculture rustique résistante à la sécheresse, la relance du Barrage vert et le programme de plantation, étendu sur 520 000 ha sur une période de 10 ans, qui sera financé par Sonatrach.
A eux seuls, ces deux projets, mégaprojets devrait-on dire, pilotés par la Direction générale des forêts, constituent une des réponses que l’Algérie compte réserver aux défis climatiques qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Le Barrage vert, ancien projet réalisé sur le terrain par les éléments de l’ANP, est appelé à bénéficier de travaux de réhabilitation, d’extension et de développement. Les travaux ont commencé au début de l’année 2013 sur 13 wilaya qui couvrent le couloir steppe/hauts plateaux de Naâma jusqu’à Tébessa.
Le projet de plantation de grande envergure qui sera financé par Sonatrach s’articule autour de trois axes majeurs : reboisement/boisement (300 000ha), réhabilitation et restauration des paysages forestiers dégradés (200 000 ha) et, enfin, le développement de l’agroforesterie (20 000 ha). La grande caractéristique, la marque sigillée même de ce projet, est que, conçu dans la perspective d’atténuer les effets des changements climatiques et de contribuer à la séquestration de carbone, un suivi lui sera réservé par les experts pour évaluer et quantifier cet apport de l’Algérie à l’effort mondial de la séquestration du carbone à travers l’installation d’un couvert végétal de grande étendue.
De la désertification aux changements climatiques
Avant que le concept de changements climatiques n’impose sa présence dans les services techniques et administratifs, et même dans les cercles politiques, le concept usité depuis les années 70’ du siècle dernier était celui de désertification, un phénomène qui touchait un certain nombre de pays du Sud, particulièrement en Afrique. Outre des causes climatiques locales – sécheresses, inondations, dérèglement des précipitations –, se greffaient des facteurs humains liés aux systèmes de production, aux politiques publiques et à la mal-gouvernance.
Ce qu’il importe de souligner dans les efforts de la communauté internationale pour lutter contre la désertification, c’est bien cette avancée des techniciens et hommes de terrain algériens qui, dès la fin des années 60’, conçurent cette idée de Barrage vert destiné à protéger les sols de la dégradation au niveau le plus sensible du territoire national, à savoir ce couloir géographique situé entre le Nord et le Sahara, à savoir la région steppique/Hauts-Plateaux, qui intègrent les monts de l’Atlas saharien. Ce couloir subit une forte dégradation due à une trop forte pression pastorale, à de mauvaises pratiques culturales, dans un environnement écologique déjà défavorisé par la pluviométrie (200 à 300 mm/an) et par les amplitudes thermiques. Le projet algérien a suscité un intérêt à l’échelle africaine. Son idée a été à l’origine de l’actuel projet de la Muraille verte allant de Djbouti à Dakar, à travers les pays du Sahel.
Selon les Nations unies, «le terme désertification désigne la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les activités humaines et les variations climatiques».
La désertification n’est pas l’avancée des dunes de sable vers le Nord, même si, localement, ce phénomène existe. D’après la définition donnée par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), adoptée en 1994 et ratifiée par notre pays, ce dernier phénomène se produit «du fait de l’extrême vulnérabilité des écosystèmes des zones sèches à la surexploitation et à l’utilisation inappropriée des terres. La pauvreté, l’instabilité politique, la déforestation, le surpâturage et des pratiques d’irrigation inappropriées peuvent entraver la productivité des terres».
L’Algérie, à travers les programmes de lutte contre la désertification, entend «renouveler l’engagement collectif à rétablir la productivité de terres dégradées à l’échelle nationale et améliorer les moyens de subsistance des populations vivant dans les milieux ruraux», selon les termes du communiqué de la Direction générale des forêts, produit à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la lutte contre la désertification, célébrée à l’Ecole nationale des forêts de Batna en 2019. En plus du bilan des efforts réalisés par l’Algérie dans ce domaine au cours de ces dernières décennies, il a été question des perspectives tracées pour parvenir, dans les vingt prochaines années, à la neutralité en matière de dégradation des terres.
Le Barrage vert, une idée novatrice
Malgré les efforts colossaux fournis par l’Algérie pour juguler le phénomène de désertification, qui décline sa menace sous différentes facettes, la dégradation des écosystèmes ne cesse de connaître de nouveaux développements. Rien qu’à considérer l’amenuisement du couvert végétal, tel qu’il est observé au cours de ces dernières années dans la partie nord du pays, l’inquiétude ne manque pas de saisir les défenseurs de la nature, les spécialistes en environnement et les pouvoirs publics. L’alerte a été donnée depuis les années 70’ du siècle dernier sur la fragilité du patrimoine biologique et l’avancée irrésistible du désert qui en arrive à «phagocyter» des milliers d’hectares de terres arables et fertiles chaque année.
Au centre du pays, les signes du recul du couvert végétal et de la diversité biologique sont manifestes déjà à la latitude des régions de Ksar El Bokhari-Berrouaghia et de Sour El Ghozlane, respectivement dans les wilayas de Médéa et Bouira. Ces zones pré-steppiques de l’Algérois rejoignent inexorablement le domaine de la steppe, avant-dernière étape d’un épuisement général qui, s’il se produisait, en ferait un espace complètement aride, à l’image des zones sahariennes. Cette régression, visible à l’échelle d’une génération, s’est produite en l’espace de trois décennies. Entre-temps, cette zone et ses prolongements oriental et occidental jusqu’aux frontières ont fait l’objet d’une attention soutenue des techniciens algériens et des pouvoirs publics.
C’est ainsi que ce corridor a été prévu à devenir Ceinture verte à partir du début des années 1970, ouvrage confié aux jeunes soldats de l’ANP, puis aux services des forêts à la fin des années 1980. Plus de vingt ans après la fin des travaux, l’évaluation de l’expérience algérienne en matière de lutte contre la désertification n’est pas encore effectuée d’une manière exhaustive.
Outre la Barrage vert – avec son programme de travaux ayant porté cet intitulé –, l’espace en question a bénéficié de programmes de développement rural (PER, PPDRI,…) depuis le début des années 2000, dont une partie répond parfaitement à l’objectif du Barrage vert en termes de verdissement et de fixation du sol. Cela, en plus des objectifs et des bénéfices «collatéraux», dont on peut noter essentiellement : la stabilisation des populations et le retour des ménages ayant subi l’exode dans les années 90’, la diversification des activités et l’amélioration des revenus, l’amélioration générale du cadre de vie (AEP, électrification, mobilisation de l’eau, scolarisation, développement des services de santé).
Ce qui est à souligner d’un gros trait, c’est surtout le début d’un processus de reconversion des systèmes de culture, faisant que de nombreux ménages semi-nomades, vivant quasi exclusivement d’élevage ovin, ont commencé à reconvertir une partie de l’ancienne activité en arboriculture fruitière, principalement en olivier.
C’est là une avancée qui a coûté des efforts de sensibilisation, de la mobilisation permanente des agents de l’administration, des échecs assumés à partir desquels il fallait rebondir. Notons que la surcharge de la pression pastorale est l’une des causes majeures de la dénudation des sols et de la non-régénération des fourrages naturels, déjà épuisés par plusieurs années de sécheresse.
Une dégradation des sols en continuelle expansion
Si la lutte contre la désertification avait ciblé en priorité, depuis les années 70’, les zones dégradées du couloir de la steppe : Hauts-Plateaux et monts de l’Atlas saharien, aujourd’hui la dégradation des sols touche l’ensemble des régions nord du pays, celles qui portaient un couvert forestier et qui abritent les grands ouvrages hydrauliques (barrages). En effet, les incendies de forêt de ces dernières années, prenant les dimensions de méga-feux, ont réduit en cendre des milliers d’hectares de verdure, forestière fruitière, et ont favorisé le phénomène d’érosion dans les bassins versants de barrage, d’où l’envasement de ces derniers (à des proportions différentes).
A elle seule, la disparition du couvert végétal, particulièrement ligneux, entraîne, comme par un effet domino, d’autres conséquences destructrices de l’écosystème : perte de la couche fertile du sol, anéantissement des niches d’animaux sauvages, particulièrement ceux qui sont en voie de disparition et protégés par la loi, recul des rendements des productions agricoles, paupérisation des communautés humaines et, enfin, exode rural vers les villes et même vers les autres continents (ce dernier phénomène est aujourd’hui connu à sous le nom de «migration climatique»).
Le constat établi, aussi bien par les gestionnaires des territoires que par les spécialistes en sociologie rurale, est que les actions destructrices que l’homme est amené à commettre dans la nature sont presque toujours dictées par ce qu’on appelle la «stratégie de survie», celle par laquelle, dans une situation de misère sociale, l’homme exploite les ressources naturelles de manière inconsidérée, c’est-à-dire jusqu’à leur total épuisement.
Dans ce genre de situation, rehausser le niveau de vie des populations, c’est contribuer indéniablement à la préservation de l’environnement (sol, eau, couvert végétal, patrimoine cynégétique, faune sauvage…) contre les menaces anthropiques.
Par Amar Naït Messaoud , Expert forestier