Longs métrages / Mémoire. Mais où sont les archives du cinéma ?

08/10/2023 mis à jour: 16:15
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Inversion de tendance, dans le monde, on supprime les tablettes des écoles et on revient au papier, tout comme certaines bibliothèques reviennent à l’archivage papier à cause de la non-fiabilité des supports numériques, comme les disques durs. Pour le cinéma, retour aux bobines ?

C’était mieux avant. Une phrase que l’on entend souvent à propos de tout et de rien, les légumes étaient meilleurs, l’air plus pur, les femmes plus gentilles, Bouteflika était plus juste et dans le domaine du cinéma, il y avait plein de salles et de films.  

D’ailleurs, les puristes jurent encore par la qualité, le grain et le tramé de l’argentique contre le numérique, même si un film tourné au format 35 mm sur pellicule doit ensuite être développé dans un laboratoire pour ensuite en tirer des copies en positif (bobines de plusieurs kilomètres à assembler par le projectionniste) afin de les visionner dans une salle de cinéma. 

Le numérique règle une partie des problèmes, pas de laboratoire, mais un fichier à traiter (étalonnage), prêt à être diffusé, et si, aujourd’hui, des films sont encore tournés en 8 mm (cinéma expérimental) en 35 mm ou même en 70 mm équivalent au format Cinémascope (Les 8 salopards de Tarantino), ils reviennent 10 fois plus cher qu’en numérique, ce qui explique que ce dernier tend à devenir le standard, alors que des réalisateurs comme Steven Spielberg militent pour une cinéma hybride, fait de photochimique et de numérique. 

Enfin, si l’argentique occasionne souvent des pertes liées au transfert entre le négatif et le positif, il se conserve à très long terme, contrairement au numérique qui peut souffrir de son support, pas très fiable, chacun aura remarqué qu’un flash disk USB, acheté à 1000 DA, ne tient pas plus de 6 mois, et c’est pourtant du numérique. Bref, le débat n’est pas réglé, rechta ou spaghettis, Mouloudia ou Usma, FLN ou RND, dans tous les cas, l’argentique, développement et conservation, demande du savoir-faire, et c’est pour cette raison que tous les anciens films algériens sont dans des laboratoires étrangers, car il faut savoir les stocker, ce que l’Algérie ne sait pas encore faire, ce qui engendre des coûts annuels en devises fortes. 

Mais y a-t-il des films en Algérie ? Oui, 6000 copies positives et 28  000 bobines (569 films) selon un recensement de 2018, avec une bonne partie détériorée qui a dû être détruite, à la Cinémathèque, à Béjaïa, dans un appartement rue Debussy, à Bab El Oued, à la Bibliothèque nationale, au CADC et ailleurs, posant le problème de la conservation en absence d’une politique depuis 40 ans. Point positif, des réunions ont lieu pour les inventorier (combien de films depuis 1962 ?), les récupérer et les restaurer, du moins leurs copies, comme l’explique Mourad Chouihi, directeur du CNCA, Centre national du cinéma et de l’audiovisuel : «Il y a confusion entre négatifs et copies d’exploitation, ces dernières sont tirées des premiers et sont toutes en Algérie, et on négocie actuellement pour le reste des négatifs, soit pour les rapatrier, soit pour les laisser sur place en attendant le centre en projet à Aïn Defla (il devait dans un premier temps être établi à Tipasa) pour l’archivage, le stockage et la conservation, la restauration et la numérisation.» Il y a donc évidemment des problèmes de technologie ainsi qu’un élément humain, le projet du centre d’archivage prévoyant aussi l’arrivée de formateurs étrangers. 

Le CADC, Centre algérien de développement du cinéma, en a récupéré certains, 16 précisément, restaurés à partir de copies positives, comme Omar Gatlato, L’aube des damnés ou Les vacances de l’Inspecteur Tahar, «mais il n’y a pas que des films», précise encore M. Chouihi du CNCA, «on oublie les actualités filmées, documentaires et reportages, qui se faisaient à l’époque aussi en argentique». Toute une mémoire à récupérer et qui est encore en partie dans la main de l’étranger, en théorie douce, précautionneuse et qualifiée. 
 

LE POSITIF N’EST PAS LE NÉGATIF DU NÉGATIF

Pour les spécialistes, il faut d’abord régler cette question, en quelle résolution numériser les archives bobines, si c’est en 2K (résolution de 2048 pixels sur 1080 lignes), une somme d’informations risque d’être perdue, et selon les experts, il faudrait du 4K numérique, voire du 6K, pour retrouver l’équivalent du 35 mm. C’est l’un des sujets traités au CAC, Centre algérien de la cinétographie, alias la Cinémathèque, qui devrait entamer, selon son directeur Adel Makhalfia, «une opération de restauration et de numérisation d’œuvres qui constituent une valeur mémorielle et identitaire». 

Le chantier est conséquent, la Cinémathèque, l’une des plus importantes archives filmiques d’Afrique et du monde arabe, possède 60  000 films et documents, des copies positives d’exploitation, faut-il les numériser ou les redévelopper d’abord à partir des négatifs entreposées en Europe ? C’est complexe, et comme il s’agit de mémoire collective, le privé s’y met aussi, du 15 au 30 octobre, le site internet Les Archives numériques du cinéma algérien, de Nabil Djedouani, lance une opération de collecte et de numérisation des films algériens. Mais combien de films depuis 62 ? 

En réalité, on ne le sait pas vraiment, et pour l’anecdote, alors que Ahmed Bejaoui, le Monsieur Cinéma algérien, mettait l’accent en décembre 2022 sur «la priorité de rapatrier les négatifs de l’étranger et de les restaurer pour retrouver la qualité originelle de l’œuvre», on oublie qu’il a aussi réalisé un film, Le Grand détour en 1968, fiction néo-réaliste autoproduite en 35 mm, qui a disparu pendant près de 50 ans jusqu’au jour où la Cinémathèque de Berlin ne retrouve l’unique copie dans ses archives, la restaure, la sous-titre et la projette en ouverture de son festival en 2015. 

Synopsis ? Un jeune père de deux enfants émigre en France (déjà à l’époque), trouve un emploi qu’il perd après une rafle et embarque avec d’autres chômeurs pour un travail dans des plantations à Madagascar, sauf que le bateau qui les emmène accoste finalement à Alger. 

Un thème très à propos sur le retour des films algériens et la sauvegarde de la mémoire. Les Allemands ont sauvé son film, et c’est assez paradoxal puisque Alzheimer est aussi allemand.

 

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