Place Gueydon, du nom de la place du 1er Novembre, Gueydon étant le nom de l’ancien gouverneur de l’Algérie française qui résumait en 1872 après la révolte d’El Mokrani : «Ce que veulent les colons, c’est la souveraineté de la population française et l’écrasement, le servage de la population indigène.»
C’était pour l’intro historique et le cinéma n’a pas pour vocation à être une mémoire, il est un fait. Sur la Place, il y a des arbres, des gens, de l’ombre et la mer tout en face.
Sauf que contrairement à Alger, Oran ou Annaba où l’on a en face l’autre côté de la Méditerranée, le Nord et l’Europe, de la place Gueydon, on voit bien la mer mais c’est toujours l’Algérie de l’autre côté de la baie, les montagnes des Babors au pied desquelles s’étalent Tichy, Aokas et Jijel. C’est l’Est, l’Orient, le mot duquel est d’ailleurs tiré le verbe «orienter». Mais vers où ? Car si l’exil est un thème classique, redondant et revisité, il a fait l’ouverture des RCB qui ont présenté pour le premier jour trois films franco-algériens dont Rentrons, réalisé par Nasser Bensalah qui explique après-projection que beaucoup en France pensent à rentrer. Mais où ? En Algérie.
En fait c’est inversé dans son film où il s’agit du contraire, non pas de rentrer en Algérie mais en France, du point de vue de deux jeunes venus de France en Algérie. La maison brûle, autant se réchauffer, présenté aussi en ouverture, est plus fin, trois personnages sont en proie à des questions existentielles, l’un va dans le désert (algérien), le deuxième meurt, une forme d’exil, et le troisième part en France, Mouloud Aït Liotna, le réalisateur, lui-même parti en France, expliquant que «la question n’est pas où partir, on est lucides sur ce qui nous attend», tout comme pour Mehdi Ramdani, l’un des trois comédiens principaux du film : «Non, l’exil est traité d’une manière différente, plutôt subtile, donc ça m’a séduit.»
Bien sûr, ajoute-t-il, «comme tout le monde, il y a des fois où je suis tenté par l’exil». Faut-il partir ou aller au cinéma ? La question est-elle générationnelle ?
La comédienne Meriem Medjkane, remarquable dans Nya de Imène Ayadi, règle la question : « J’ai eu envie de partir, à 24 ans, ensuite à 30 et puis j’ai décidé de rester et je ne me pose plus la question», alors qu’une jeune intervenante aux débats d’après-films, bénévole des RCB, est catégorique : «La question ne se pose plus, tout le monde veut partir, on étouffe.»
Du coup, en suivant le film Rentrons, on ne sait plus dans quel sens partir. La réponse ne viendra pas du film Déboussolés de Youcef Mansour, projeté le deuxième jour, où deux jeunes planifient leur exil et hésitent à la dernière minute, évidemment déboussolés. Mais l’exil continuera ensuite avec Belghiat Reda qui retrace dans La kaza blanche le parcours d’un autre exilé du chaâbi, Cheikh El Hasnaoui et Omar Bouldouira qui revisite les vacances des émigrés français au Maroc dans Un été à Boujad.
Tous en France, visites en été ? Non, le Marin des montagnes de Karim Aïnouz brouille les pistes, vivant au Brésil pour revenir sur les traces de ses ancêtres en Kabylie, il présente un film intimiste en première mondiale à Béjaïa quand Imene Salah sort du jeu dans Tassaloul où elle observe une salle de cinéma algérienne qui diffuse des matchs de foot étrangers, reprenant finalement une forme d’exil sportif.
Et donc ? Amina Castaing, productrice exécutive dans La maison brûle, autant se réchauffer et coproductrice de Achewiq, le chant des femmes-courage qui a réussi à faire d’un sujet déprimant une forme de tendre comédie musicale, hésite : «Oui, l’exil est un sujet qui me fatigue, j’aimerais voir des comédies d’autant qu’on a un sens de l’autodérision particulier, mais après c’est un sujet central qui obsède la jeunesse, autant en parler.» Elle-même l’avoue : «Je suis partie, revenue et là je suis entre les deux.» Position idéale, pour le spectateur des RCB, trop près de l’écran, c’est trop grand, et quand on est assis au fond, on ne voit pas très bien. Séquence suivante.
IL EST PLUS FACILE DE FILMER LA MAL VIE…
Sur la place Gueydon toujours, le cinéma est sorti dans la rue, un écran a été placé à l’extérieur de la Cinémathèque, celle-ci ne pouvant contenir le nombreux public venu voir les films. Le cinéma rassemble, attire et s’étire, il ne faut pas se tromper, au milieu de films assez moyens, voire mauvais, il y en avait de très bons, Amir Bensaifi et sa Teftafa ou Raï rayi de Walid Cheikh, autant que d’acteurs prometteurs, Ali Namous ou Raouf Dahmani par exemple. Mais pour en finir avec l’exil, les films projetés montrent aussi qu’en Algérie, on peut s’embrasser, même difficilement comme dans le film Boussa de Azedine Kasri, on peut voyager à l’intérieur, Teftafa oua el meqnine encore, chanter comme Hasna El Becharia dans La rockeuse du désert de Sara Nacer, séduire comme dans La fille de mon quartier de Amar Si Fodil, se défoncer comme Mehdi dans Raï rayi de Walid Cheikh ou danser comme dans Un peu pour mon cœur un peu pour mon Dieu de la suédoise Brita Landoff qui filme avec attachement les meddahate d’Oran.
Il y a donc des raisons de vivre ici et on peut même y rêver comme dans Le chant de la sirène de Arezki Larbi qui montre que les sirènes peuvent avoir des pieds et qu’une lampe, même petite, peut rester allumée, opérant un parallèle avec le seul personnage réel de l’œuvre qui explique que «le monde que je connais n’est pas beau, il est traître, laid et faux», d’où la nécessité de rêver.
Faut-il jouer avec le flou de la profondeur de champ ? Meriem Medjkane pour sa première fois à Béjaïa parle de la ville et de «douceur de vivre et de lumière incroyable», Amina Castaing précise que «les gens sont trop gentils» alors que Mehdi Ramdani en rigole : «Béjaïa, c’est cool et de toutes façons il est interdit de dire le contraire.» A l’intérieur ou à l’extérieur, au cinéma ou dans la réalité, c’est finalement Mukhurdi Yehya avec son film Dans dehors où il s’agit surtout de marcher, qui résume bien l’équation, «il suffit de dire je peux pour que je sois partout chez moi».
Oui, mais fait-il bon vivre ou mal vivre ? C’est le débat du siècle et le cinéma n’est pas là pour apporter toutes les réponses, il y aura toujours des mécontents.
A la Cinémathèque de Béjaïa, dernier jour, dos au mur, assis à l’arrière dans l’obscurité de la salle, un spectateur s’est levé et est sorti de la salle. Il a trouvé les films courts trop courts, les films longs trop longs et les documentaires pas assez documentés. Le cinéma ne peut rien pour lui. Mais pour beaucoup de gens aux RCB et amoureux du 7e art, le cinéma peut.