Les RCB, rencontres cinématographiques de Béjaïa, ont officiellement démarré hier. Petite semaine autour de ces trois mots, rencontres, cinéma et Béjaïa.
En face la mer, derrière la montagne, en haut le soleil. C’est de l’alchimie, voire de la chimie et si le chlorure de sodium du sel de mer était du chlorure d’argent, composé insoluble dans l’eau et photosensible, on aurait eu grâce au soleil des photographies empilées dans cette mer des différentes époques qu’a vécues Béjaïa, Bgayet, Saldae, au cours de sa longue histoire.
Mais c’est du sodium et de toute façon, la photographie argentique est passée au numérique, tout comme le cinéma, tout comme Bougie est passé à l’éclairage moderne. Place du 1er Novembre 54, soit la place Gueydon que tout le monde s’évertue à appeler encore par son ancien nom, c’est ici que les passionnés du cinéma attendent les RCB, comme on attend la pluie après un été desséchant. Réunis sous les arbres entre une banque, un hôtel et une balustrade pour les suicidés, c’est tout autour de la Cinémathèque que tout va se faire, 33 films algériens et 14 étrangers entre longs métrages, courts et documentaires. Smaïl Ghabriou, opérateur en chef de la salle depuis 13 ans, annonce qu’il n’y a pas tension et que «côté technique tout est OK à 100%, les films en DCP [format numérique THD] arrivent au fur et à mesure et certains viennent avec les réalisateurs».
Bref, des rencontres qui finalement ne coûtent pas si cher quand on pense aux frais d’hébergement, de restauration et billets d’avion, 7 millions de dinars là où d’autres festivals algériens comptent en milliards, et une partie est prise en charge par les sponsors locaux de Béjaïa, comme quoi le privé peut aussi soutenir le cinéma. Jusqu’au 28 septembre donc, projections, cafés-cinés et ateliers pour la 18e édition de cet évènement phare, grande fête du cinéma après trois ans d’arrêt. Une alchimie en cours, où il ne s’agit pas de transformer le plomb en or mais un assemblage de pixels en magie.
LES FILMS ATTENDUS QUI VOUS ATTENDENT
Pas d’hypertendus, donc du sel partout, et pour le menu, une entrée d’abord, chaude «La maison brûle, autant se réchauffer» de Mouloud Aït Lotna est le court métrage qui fait l’ouverture, seul film présent au dernier Festival de Cannes (voir El Watan du 4/06). Pour le plat de résistance, le choix est large comme une pizza carré XXL, beaucoup attendent Amir Bensaïfi avec son Teftafa ou l meqnine primé au Festival de Medghassen et en compétition dans plusieurs festivals à l’étranger, Karim Aïnouz, l’Algéro-Brésilien qui aime à qualifier ses deux pays «d’amour, de révolution et d’échec» en piste pour son Marin des montagnes, Rabah Ameur Zaïmeche et son denier polar Gang du bois des temples où il explique que «filmer une bande, c’est comme observer les grands fauves dans la savane» ou encore Le Chant de la sirène de l’artiste peintre et réalisateur Arezki Larbi, film poétique tiré de sa propre nouvelle, enchanté de revoir les RCB : «J’aime ces rencontres car j’ai pu assister à leur naissance.»
On attend bien sûr aussi Amar Si Fodil pour la première sortie en Algérie après Saïda où il a reçu le prix du meilleur court métrage pour Bent el houma (La fille de mon quartier) : «Mon film est passé à Genève pour le FIFOG et je suis très heureux de ma participation à ces festivals, à Saïda la salle était pleine avec une projection de haute qualité (DCP) et un public nombreux qui posait des questions pertinentes, tout comme aux conférences qui ont aussi fait le plein.»
Ce qui ne semblait pas évident pour lui, Amar Si Fodil, réalisateur et scénariste est repassé après plusieurs longs métrages, Jours de cendres et Le sang des loups, à un format bref : «J’avais envie de revenir au court, qui n’est pas facile contrairement à ce que les gens croient.»
Enfin, on attend aussi Imène Salah pour son premier film Tassaloul (Hors-jeu), où elle raconte le quotidien d’une mythique salle de cinéma d’Alger qui passe des matchs de football, remplaçant peu à peu les films qui ont fait sa gloire, «j’ai été bénévole aux 8e RCB et je suis trop heureuse d’y retourner 13 ans plus tard pour mon premier film», et bien sûr La Dernière Reine pour les derniers spectateurs qui ne l’ont pas encore vu. Mais comment se fait le choix des films ? Y a-t-il censure ou pas ? L’organisation et choix des films se fait naturellement, explique le comité des RCB, Nabil Djedouani, qui fait partie de l’équipe de programmation avec Hakim Abdelfettah et Latifa Lafer est catégorique, «il n’y a pas de censure, pas de commission de visionnage mais à nous trois, nous choisissons les films chacun de notre côté et on en débat jusqu’à la liste finale des sélectionnés».
C’est encore de la chimie, atomes qui s’accrochent, molécules qui s’attirent, macromolécules qui s’emboîtent dans la boîte. L’analogique est mort, gloire au numérique, et au fond, qu’est-ce qu’un film, sinon une suite de 0 et de 1 ? Avec du sel.