L’industrie algérienne : Historique et diagnostic d’un mal profond

16/07/2022 mis à jour: 03:40
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El Hadjar était le fleuron de l’industrie sidérurgique algérienne

En analysant l’histoire de l’industrie en Algérie depuis son apparition il y a presque deux siècles, force est de constater que le pays a du mal à intégrer ce secteur extrêmement important parmi ses fondements économiques. 

Ce mal, comme nous allons l’expliquer, ne date pas de nos jours, il remonte à la première ère de l’apparition de l’industrie et son installation en Algérie dès 1839. Les difficultés sont profondes, multiples et variées. Dans cet article, nous analysons l’évolution de l’industrie algérienne depuis l’indépendance. Soixante ans après, qu’en est-il de ce secteur ? 

Place de l’industrie en Algérie indépendante (1962-1989) : volontarisme et planification

Au lendemain de son indépendance, l’Algérie se retrouve face à une économie structurée à l’image de l’Etat colonial, une économie fracturée en deux : capitaliste pour les européens et économie de subsistance pour les algériens.

Pour les responsables de l’Etat algérien, l’objectif était de faire une rupture totale avec cet héritage colonial et construire une nouvelle économie en restant fidèle à ce qui a été stipulé dans les textes du mouvement nationale et la Révolution algérienne en particulier la déclaration du 1er novembre 1954 qui énonça : «La restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques» et le programme de Tripoli de 1962. Contrairement au schéma colonial, l’économie du pays doit profiter à l’ensemble de la population et à l’ensemble des régions. 

L’héritage colonial sur le plan social était chaotique avec une démographie de 9 millions, une population traumatisée par une guerre de Libération et un chômage de masse. Pour la gestion de l’économie, le choix fut porté sur le système socialiste comme modèle de développement économique : l’Etat doit prendre en charge la mutation de son économie et le secteur privé est marginalisé. De nouveau, l’industrialisation est posée comme remède pour le développement économique du pays. Est c’est l’Etat qui va prendre en charge la conception et le financement des industries nouvellement créées. Le modèle algérien est diamétralement opposé à celui qu’ont connu les pays industriels.

 Dans ces derniers, la naissance et l’évolution de l’industrie se sont développées à partir des inventions réalisées par des inventeurs qui se sont transformés, eux-mêmes, en industriels ; en arrivant à l’âge de se retirer de la gestion de leur entreprise, l’héritage passe à leurs descendants. C’est ainsi que la gestion de ces sociétés est héritée de génération en génération. 

Ce processus a donné naissance au capitalisme familial qui est à l’origine du développement industriel en Europe et en Amérique du Nord. On peut donc conclure que le fait industriel s’apparente à un processus né d’une invention ou généralement d’une idée pour se transformer en un projet industriel en perpétuel développement légué et consolidé de génération en génération. 

La stratégie industrielle adoptée par l’Algérie, au lendemain de son indépendance, diffère de ce processus des Etats de tradition industrielle. Le pays a entamé sa stratégie industrielle par le haut, à savoir une prise en charge du projet par l’Etat. Pour créer un secteur industriel important, l’Etat a donc pris en main la mise en place d’une base industrielle et la formation de son personnel d’ingénieurs et administratifs pour faire exécuter son projet. 

Cet objectif s’est traduit par des investissements colossaux, financés par un endettement extérieur et par la rente de ses hydrocarbures. L’Algérie réservait durant la décennie 1967 à 1977 entre 40% et 50% de son PIB aux investissements, c’est l’un des taux les plus élevés au monde et le secteur industriel avait sa part de lion, soit 57% de l’ensemble des investissements, durant cette période. Cette stratégie industrielle à savoir l’implication directe de l’Etat n’a pas donné les résultats escomptés, plusieurs facteurs sont à l’origine de cet échec, nous en citerons deux. 

Le premier est celui des déficits des entreprises nouvellement créées : l’Etat avait alloué durant les années 1980, 60 milliards de dinar pour sauver 300 entreprises. En 1998, le déficit des entreprises industrielles était estimé à 208 milliards de dinar, soit 3,8 milliards de dollars. Le second élément est le facteur humain. Le personnel formé par l’Etat pour mener à bien la stratégie industrielle s’est retrouvé diminué face à une gestion étatique centralisée qui laissait peu de marge de manœuvre à ces ingénieurs et gestionnaires, qui obéissent aux directives d’une administration centralisée. A cela nous ajoutons les structures sociales locales ancestrales qui limitent davantage ce qu’il reste en matière de gestion du personnel dirigeant.

Les nobles intentions des dirigeants du pays qui se sont exprimés par une politique volontariste en faveur du secteur industriel pour résoudre les problèmes économiques et sociaux et mettre l’Algérie à l’abri des menaces externes, n’ont pas suffi. Les limites de cette stratégie commencent à ressurgir, comme nous l’avons cité auparavant, dès la fin des années 1970. Des sommes colossales sont allouées pour combler les déficits des entreprises en difficulté jusqu’à l’année 1989 ou le pays change de cap et opte pour l’économie de marché.

L’Algérie version économie de marché 1989-2020: rente et désindustrialisation

En 1989, l’Algérie change de Constitution et opte pour une gestion capitaliste de son économie : l’économie de marché. Le changement de modèle s’est accompagné d’une désindustrialisation massive. Durant la décennie 1990, la majorité des entreprises furent bradées à des acquéreurs privés. Durant les années 2000, malgré la manne financière colossale sans précédent dans l’histoire du pays, le déclin industriel continue et l’industrie est exclue des politiques économiques. Les «Plans de soutien à la relance économique», axés sur le développement des infrastructures, négligent le secteur industriel. Le secteur de l’import retrouve une place prépondérante dans l’économie du pays, 42 milliards de dollars pour l’année 2019. Résultat de cette politique, la part de l’industrie a chuté de 18% du PIB fin des années 1982 à 6% en 2004 et à nos jours le chiffre n’est que 5% seulement.

Quelles perspectives pour l’industrie en Algérie ?

La renaissance de l’industrie subit des entraves, cette fois-ci, administratives, comme le confirme le rapport du médiateur de la république, lors du conseil des ministres du 16 janvier 2022, on apprend que 877 usines nouvelles, dans 40 wilayas, prêtes à entamer leur activité industrielle, sont dans l’attente de la délivrance des autorisations d’exploitation et l’entrée en production. L’ensemble de ces projets va assurer 39.242 postes d’emploi. L’Etat a pu accorder les autorisations à 679 entreprises et 198 attendent la délivrance. Le diagnostic porté depuis plus d’une année en essayant de limiter la crise de l’économie nationale dans un aspect conjoncturel, en l’occurrence l’aspect financier mérite un ajustement ; la chute drastique des comptes comme la baisse du PIB de 32% durant la période 2014-2020 (le PIB est passé de 214 milliards à 145 en 2020) n’est que le symptôme d’un mal durable et de nature structurelle. 

Le problème n’est pas un problème de finance, mais celui de l’absence d’un plan de relance. Seul un plan de relance axé sur le secteur de l’industrie est en mesure d’endiguer cette crise économique profonde. L’industrie est la clef de la création de richesses et de la prospérité, la croissance économique ne peut se faire que par le développement et l’investissement dans ce secteur. L’avenir du pays en dépend. L’augmentation graduelle de la part de l’industrie dans le PIB à hauteur de 15% à 18% est la clé de la réussite. 

Par  Mohammed Salah Boukechour
Doyen de la Faculté des sciences humaines et sociales de l’Université Hassiba Ben Bouali de Chlef/ spécialiste en histoire de l’économie algérienne

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