Depuis son arrestation, à son arrivée à l’aéroport d’Alger, le 16 novembre dernier, l’écrivain algéro-français Boualem Sansal est devenu le principal centre d’intérêt des médias français. Tous les plateaux télés, mis en ordre de bataille, en font leurs choux gras.
Leur verbatim et autres éléments de langage sont presque identiques. Réglés comme du papier à musique. L’écrivain a été «retenu», «placé en détention», ses proches sont sans «nouvelles de lui» et sont «inquiets». Les propos s’insèrent aisément dans les débats télés et s’intercalent dans les colonnes de journaux durant la période allant de son arrestation jusqu’a sa mise sous mandat de dépôt.
Puis, le ton change. Il est, alors question de «libération immédiate», de «moyens de pression» dont dispose la France pour faire fléchir les autorités algériennes, de «diplomatie secrète» pour voler au secours d’un «humaniste» qui «s’est battu contre l’islamisme». «Alors que l’écrivain franco-algérien est retenu et placé en détention en Algérie depuis la mi-novembre, la question des moyens de pression dont dispose Paris se pose.
Car l’affaire est bien plus politique que judiciaire», a affirmé, hier, le magazine Marianne, le premier à avoir donné l’information sur l’arrestation de Boualem Sansal. «Depuis son placement en détention (...), il est l’objet de toutes les inquiétudes. Certes, il est algérien. Mais il est aussi français, sa nationalité d’adoption nous engage (Sansal a été naturalisé par Macron en juin dernier, ndlr).
Face à cette situation, l’Exécutif, discret, croit en une diplomatie secrète», a ajouté l’hebdomadaire dont la ligne éditoriale est plutôt marquée à droite. «Cependant, selon nos informations, la France ne parvient pas à établir un début de dialogue avec Alger. Si cette situation perdurait, des moyens de pression existent», poursuit-il sur un ton menaçant.
Des menaces proférées auparavant par des personnalités publiques françaises, dont l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, l’une des dernières personnes à avoir rencontré Sansal avant son départ pour Alger, selon ses propres propos. Dans une chronique publiée lundi dernier, l’avocat et essayiste Gilles-William Goldanel va plus loin.
Il se saisit de l’affaire Sansal pour décocher, au passage, des flèches contre la gauche française. «Je n’aurais pas imaginé qu’alors qu’un écrivain franco-algérien aussi pacifique et respecté que Boualem Sansal croupirait dans les geôles (…) pour ses seules idées, la gauche française ne lui montrerait qu’au mieux son indifférence, au pire son hostilité», écrit-il sur le Figaro Vox. Il considère, bien plus, que l’écrivain Sansal est «un prisonnier politique».
Rien que ça ! Tout en dénonçant l’intervention de l’universitaire Nedjib Sidi Moussa sur la chaîne France 5 («C Politique»), qui s’est inscrite à contre-courant de ce qui est servi sur les plateaux télés en France, Goldanel trouve que le pire «était dans l’attitude d’un Benjamin Stora – adoubé par Emmanuel Macron pour arbitrer le conflit mémoriel entre France et Algérie».
Positionnement politique
Nedjib Sidi Moussa avait déclaré, faut-il le préciser, que ce serait lourdement tromper que de prendre Boualem Sansal comme «un homme des Lumières» (lire l’article Walid Mebarek en page 2). Alors que Benjamin Stora avait fait remarquer que certaines des positions de l’écrivain avaient pu «blesser le sentiment national algérien».
Mais pour Goldanel, Sansal est surtout mis en cause pour son «discours radical contre l’islam et pour le sionisme», occultant, de la sorte, qu’il s’agit, en fait, d’une affaire qui tombe tout simplement sous le coup d’une juridiction nationale et qui ne peut s’appuyer que sur des éléments de droit.
Or, ce qui est scandaleux en réalité dans cette histoire, c’est qu’en France, on ne s’intéresse pas du tout aux critiques sur la valeur littéraire des œuvres de Boualem Sansal. Le débat est, intentionnellement, orienté sur des questions idéologiques ou politiques, d’où ce malaise sur les visées réelles de la France et ses élites politiques de droite et d’extrême droite par rapport à l’Algérie.
Quant à Boualem Sensal, son positionnement politique parmi l’extrême droite est avéré depuis longtemps, sauf que cette fois-ci, l’auteur du Village de l’Allemand est passé à un stade supérieur en allant dans le sens de la provocation.
Au lieu de parler du silence de la «patrie de la déclaration universelle des droits de l’homme» sur le mort violente de milliers de Palestiniens tragiquement emportés par le génocide perpétré par Netanyahu à Ghaza, et au lieu de se poser des questions sur les raisons faisant que les autorités françaises n’allaient pas collaborer avec la CPI dans le cas de ce dernier, on s’offusque du sort d’un justiciable qui a proféré des propos qui s’apparentent à une déclaration de guerre contre les fondements même de l’Etat algérien.
Le cas de Sensal a, d’ailleurs, permis aux franges de l’extrême droite – qui a malheureusement une emprise sur les médias en France – de revenir à d’anciens thèmes fondants son racisme et le rejet de l’autre.
Les contre-vérités historiques de Sansal, reprenant, à son compte, la version marocaine d’un royaume amputé par la France coloniale du XIXe siècle d’une partie de ses territoires au bénéfice de l’Algérie a, est-il encore nécessaire de le rappeler, provoqué une profonde colère au sein de l’opinion nationale. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a, rappelons-le, été entendu par le parquet d’Alger et placé sous mandat de dépôt pour des faits graves, liés à ses déclarations sur la chaîne Frontières d’extrême droite, selon des sources crédibles.