Une nouvelle stratégie économique est indispensable pour orienter l’Algérie vers un chemin de croissance élargie, durable, inclusive et saine. Cela nécessite la mise en œuvre rapide de réformes ambitieuses, malgré les défis qu’elles représentent.
La hausse des prix du pétrole en 2021 (suite à la réouverture de l’économie mondiale) et en 2022 (due à la guerre en Ukraine) a offert un espace budgétaire utile, mais n’a pas compensé les dommages structurels cumulés et substantiels subis par l’économie algérienne.
Ces dommages résultent du manque de résilience face au choc pétrolier de 2014, à la pandémie de 2020-2022 et à la baisse continue des investissements publics et privés. À la mi-2024, les conséquences de ces chocs, combinées aux nombreuses rigidités structurelles qui freinent l’investissement national et étranger, à un environnement géopolitique fragmenté et au ralentissement de l’économie mondiale, ont affaibli la croissance économique, entretenu l’inflation, alourdi la dette publique, accru le chômage, et ainsi détérioré les conditions sociales de la population. Face à cette multitude de défis, un consensus général semble émerger sur la nécessité pour l’Algérie de construire progressivement un nouveau modèle de développement économique et social.
Ce modèle nécessiterait la mise en place d’un vaste programme cohérent de réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles à moyen et long terme. Cependant, la réussite de ce projet ambitieux repose sur l’élaboration d’une feuille de route claire, basée sur des piliers essentiels :
(1) une vision à long terme ; (2) des stratégies décennales en étapes ; et (3) des plans d’action véritables, plutôt que de simples listes d’actions. Un premier plan d’action pour la période 2025-2027 devrait inclure des objectifs macroéconomiques et structurels semestriels, des mécanismes de financement, ainsi qu’un important volet social. Pour renforcer la faisabilité de ce plan, il serait souhaitable que les autorités mettent en place : (1) un cadre institutionnel et technique pour piloter les réformes ; (2) des outils de gestion pour suivre l’avancement des réformes ; et (3) une stratégie de communication afin d’assurer l’adhésion de la population et de gagner la confiance des partenaires étrangers, dont les ressources sont indispensables. Discutons maintenant des grandes orientations stratégiques du pays dans le cadre de ces réformes.
Les défis macroéconomiques et structurels d’un monde en effervescence. Ils sont multiples et incluent : (1) des tensions géostratégiques (affrontement Chine-Etats-Unis, montée du Sud Global en tant que fait géostratégique, guerres en Ukraine et Palestine et effervescence en mer de Chine) ; (2) des risques macroéconomiques (recul de la mondialisation, ralentissement de l’activité économique mondiale, montée des restrictions commerciales et émergence de politiques industrielles) ; (3) une recomposition de la carte mondiale en matière d’énergie ; (4) une révolution technologique mue par l’intelligence artificielle générative (IAG) qui ne manquera pas d’impacter positivement et négativement tous les aspects de la vie des individus et des nations ; (5) les séquelles de la covid -19 et l’anticipation des futures pandémies ; (6) les cyberattaques (de plus en plus fréquentes et graves) ; (7) les changements climatiques qui perturbent déjà les routes commerciales et endommagent les infrastructures ; et (8) les défis démographiques (baisse des naissances historique) qui va reconfigurer complètement l’économie mondiale. Tous ces sujets nécessitent une coopération internationale et une gouvernance mondiale inclusive qui demeurent élusives.
Le retournement du marché pétrolier et la baisse du prix du baril. Alors que le prix du pétrole se négociait à $99 en 2022, il est tombe à $67,86 en cette fin septembre 2024. Sauf retournement géostratégique exceptionnel, le prix du baril devrait se vendre à environ $75 en 2025. Pourquoi ? deux facteurs : (1) le ralentissement de la demande mondiale et l’augmentation de l’offre hors OPEP+ : La demande mondiale, notamment en Chine, diminue en raison du ralentissement économique et du passage aux énergies alternatives. Malgré les efforts de l’OPEP+ pour limiter la production, l’offre hors OPEP continue d’augmenter, conduisant à un excédent d’ici 2025 ; et (2) l’affaiblissement de l’économie chinoise : La Chine, malgré une croissance de 5 % en 2024, fait face à un ralentissement économique persistant, des pressions déflationnistes et des risques comme la baisse du secteur immobilier et la faible demande extérieure. Cette situation a poussé l’Arabie Saoudite à abandonner sa stratégie des prix élevés au profit d’une stratégie de conquête de parts de marché.
La multiplicité des défis domestiques. Citons : (1) l’essoufflement du modèle rentier : La première vague de réformes visant à flexibiliser son fonctionnement et à mieux utiliser les ressources du pays remonte à 1995-98. A partir de 2000, ces réformes ont été mises en mode pause avant d’être détricotées, bloquant ainsi le fonctionnement de l’économie nationale secouée par plusieurs chocs externes violents (2018, 2014 et 2020) ; (2) la poussée démographique : les démographes projettent un accroissement de la population de 17 millions à fin 2050 ; (3) le dérèglement climatique et ses impacts négatifs (sècheresse, incendies, inondations) sur l’activité et les populations et le coût de la transition écologique; (4) l’affaiblissement de la capacité technique et administrative du pays (départs en retraites de cadres chevronnés, émigration, manque d’expérience des nouvelles générations) ; (6) la paucité des statistiques économiques et sociales ; et (7) le manque d’inefficience des leviers macroéconomiques et l’absence d’outils de pilotage économique et financier.
Les indicateurs macroéconomiques à fin 2023 et mi-2024 (FMI et autorités algériennes).
Une structure économique à fin 2022 dominée par les services à faible valeur ajoutée (43,4 %), suivis des industries extractives (20,7%), de la construction (12.6%), de l’agriculture et de la pêche (11,2%) et du manufacturier (10,8% comparativement à 18% en 1980).
Une croissance économique réelle faible de 2,7% entre 2000-2022, ce qui génère une ponction fiscale faible (10,3% du PIB par rapport à un optimum de 15% du PIB), fait monter le chômage (2 millions de travailleurs) et génère de la précarité, notamment auprès des jeunes et des femmes (hausse du taux de pauvreté de 1%).
Un recul de l’investissement de l’état et des entreprises publiques entre 2019 et 2023 de 5,1 points de pourcentage et 4,1 points de pourcentage, respectivement. Le secteur privé hors pétrole a enregistré une hausse de 0,8 points de pourcentage.
Une politique budgétaire expansionniste avec un déficit hors pétrole de 26,4% du PIB hors pétrole (norme de 12%) et financée par la dette (55,1% du PIB incluant les garanties). Une redistribution sociale louable mais mal ciblée et insoutenable ($18 milliards/an).
Une inflation structurelle de 5,65% à fin juillet 2024 (sur la base d’un indice dont la base est obsolète) qui reflète des facteurs macroéconomiques (output gap, croissance monétaire, taux de change) mais également les dysfonctionnements du secteur de la distribution.
L’absence d’outils de pilotage qui ne permet pas de réguler les marchés des biens, de la monnaie et des changes, entrainant ainsi une forte thésaurisation qui alimente un marché informel estimé de façon conservative à environ $32 milliards) et un marché parallèle des changes (avec une prime d’environ 64 %, une des plus élevées au monde).
Une économie manquant de flexibilité en raison de la prolifération des restrictions, dont une ouverture sur l’extérieur très limitée.
Un système financier coupé du reste du monde, privant ainsi le pays d’accès à l’épargne internationale si importante pour le développement économique et social du pays. Sans surprise, le niveau des IDE est faible (entre $1,4 et $2,2 milliards dans le secteur des hydrocarbures) pour plusieurs raisons, dont le manque de visibilité économique du pays.
Les piliers doctrinaux des réformes de l’économie algérienne sur le temps court, moyen et long. L’économie algérienne nécessite des réformes profondes qui, bien que difficiles à mettre en œuvre, sont indispensables. Les retards fréquents et un contexte social fragile compliquent la situation, ce qui exige d’étaler les réformes sur le moyen et long terme. Il est crucial de fixer des priorités, de planifier les réformes avec précision et de maintenir une communication continue. Les résultats positifs de ces réformes prendront du temps à se manifester, et il sera essentiel de protéger les segments les plus vulnérables de la population avec un filet social bien conçu et exécuté efficacement.
La Vision 2050 : vise à transformer l’Algérie en un pays émergent en se basant sur cinq piliers : (1) une économie régulée pour améliorer la compétitivité internationale ; (2) un secteur privé innovant et fiscalement équitable ; (3) un État jouant un rôle de développeur et régulateur ; (4) la mobilisation de l’épargne étrangère pour moderniser l’économie ; et (5) une répartition équitable des revenus pour reconstruire une forte classe moyenne grâce à des politiques sociales inclusives.
Les stratégies décennales : trois piliers en termes de réformes bien séquencées sont proposés pour atteindre cette vision : (1) restaurer et maintenir la stabilité de l’économie ; (2) créer une base productive multisectorielle inclusive et compétitive ; et (3) encourager les énergies non polluantes et les secteurs à haute valeur ajoutée (numérique, intelligence artificielle, énergies vertes et bleues). La première stratégie sera quinquennale (2005-2030) et devrait aussi aligner les réformes sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) 2030 et favoriser une transition de l’économie publique vers une économie tirée par l’investissement privé, domestique et international.
Les priorités immédiates pour 2025-2027 : combiner assainissement des fondamentaux, soutien à une croissance soutenable, lancement d’un processus de modernisation de l’économie (numérisation et vert) et création de l’emploi.
Un mix macroéconomique calibré et coordonné : (1) Politique budgétaire : ciblant une réduction progressive du déficit budgétaire pour s’ajuster au choc pétrolier, en coordination avec les politiques monétaire et de change afin de minimiser l’impact négatif sur la croissance ; (2) Politique monétaire : a pour objectif de conduire une bonne gestion de la liquidité (notamment par des outils de financement basés sur le marché comme l’émission d’obligations) pour contenir l’inflation (objectif de 4%), tout en soutenant les objectifs budgétaires ; (3) Politique de change: une dépréciation contrôlée est jugée comme la meilleure option pour soutenir l’ajustement externe, gérer les ressources extérieures et la demande ; et (4) Pour le financement du déficit (le financement monétaire devrait continuer encore pour un temps), il devra faire l’objet de limites strictes et des mesures de sécurité, y compris un taux d’intérêt du marché. Alternativement, le développement d’un marché obligataire souverain pourrait réduire la dépendance vis-à-vis du financement par la Banque centrale, atténuant ainsi les risques budgétaires tout en soutenant la stabilité économique.
Les réformes macro structurelles sont cruciales : elles ont pour objectif de renforcer la qualité des leviers de gestion macroéconomique.
Réformes budgétaires : (1) amélioration de la gestion budgétaire : Suivi en temps réel des dépenses pour éviter les arriérés de paiement et réactivation du cadre budgétaire à moyen terme ; (2) renforcement de la qualité et de la disponibilité de statistiques financières : fiabiliser les données pour une gestion économique plus efficace ; (3) augmenter les recettes fiscales : le pays dépend fortement des revenus pétroliers, et le système fiscal est complexe avec trop d’exonérations. Réduire ces exonérations, renforcer l’administration fiscale, et réformer la politique fiscale pour compenser la baisse des revenus pétroliers ; (4) rationaliser les dépenses courantes : les salaires et les subventions représentent une part importante des dépenses publiques courantes (91%) , ce qui rend la situation financière du pays insoutenable ; et (5) renforcer la gestion des investissements publics : revoir et améliorer le cadre de gestion des investissements pour obtenir de meilleurs résultats.
Réformes monétaires et de change : (1) améliorer la gestion des liquidités bancaires : (2) réduire l’écart entre les taux de change officiels et parallèles, progresser vers l’unification des marchés ; et (3) renforcer la supervision bancaire pour plus de stabilité bancaire et financière. Une opération de démonétisation du DA doit être incluse.
Les autres réformes structurelles sont vitales : visent à élargir l’offre globale : (1) simplifier les formalités : rendre les procédures administratives plus simples pour encourager les entreprises privées ; (2) faciliter l’accès au financement : moderniser les banques et diversifier les sources de financement pour les petites entreprises ; (3) encourager l’entrepreneuriat : favoriser l’innovation et réduire les obstacles pour les entreprises ; (4) inclusion des femmes : encourager plus de femmes à participer au marché du travail ; et (5) reformer le secteur des entreprises publiques.
Par Abdelrahmi Bessaha , Expert iinternational