Engagé depuis plusieurs semaines sur la voie d’un laborieux rachat diplomatique aux yeux de la communauté internationale, Washington voit son action contrariée sur le terrain par l’aveuglement du Premier ministre israélien et sa détermination à encore alourdir la facture du désastre humain à Ghaza.
Des sanctions américaines contre Israël sont elles envisageables ? La menace est agitée à Washington, du moins effleurée, et c’est Kamala Harris, deuxième personnage de la Maison-Blanche, qui se charge de le faire savoir.
La vice-présidente américaine, globalement effacée durant la mandature qui s’achève de Joe Biden, prend de plus en plus la parole ces dernières semaines pour se prononcer sur la guerre contre Ghaza, et à chaque fois qu’elle le fait, c’est pour mettre en avant les souffrances de la population palestinienne et la profondeur de la crise humanitaire qui lui est imposée.
Il y a deux jours, elle a fait part, une nouvelle fois, de l’exaspération de la Maison-Blanche à l’égard du gouvernement israélien, de son Premier ministre particulièrement. Lors d’une interview accordée à la chaîne ABC avant-hier, Kamala Harris répond clairement que des mesures hostiles ne sont pas «exclues» à l’encontre de l’Etat hébreu si celui-ci persiste à envisager une offensive militaire d’envergure à Rafah, au sud de la bande de Ghaza.
L’option annoncée par Benyamin Netanyahu comme la phase ultime nécessaire pour atteindre l’objectif militaire de la guerre lancée contre l’enclave palestinienne, au soir du 7 octobre dernier, est depuis des semaines la source d’un surcroît de tension entre Washington et Tel-Aviv.
Engagée depuis plusieurs semaines sur la voie d’un laborieux rachat diplomatique aux yeux de la communauté internationale, après s’être compromis dans un soutien inconditionnel à Israël qui lui fait partager la responsabilité sur les massacres des civils, Washington voit son action contrariée sur le terrain par l’aveuglement du Premier ministre israélien et sa détermination à encore alourdir la facture du désastre humain à Ghaza.
Les condamnations pleuvent, quant à elles, chaque jour plus nombreuses, du monde entier, et soulignent de plus en plus explicitement la responsabilité américaine. «J’ai étudié les cartes.
Ces gens n’ont nulle part où aller. Il y a environ un million et demi de personnes à Rafah qui sont là parce qu’on leur a dit de s’y rendre… Nous avons donc été très clairs sur le fait que ce serait une erreur de lancer une opération militaire à Rafah, quelle qu’elle soit», alerte encore Kamala Harris.
Rachat diplomatique compromis
Elle reprend à l’occasion des mises en garde que n’a cessé de réitérer Joe Biden depuis des semaines et auxquelles Benyamin Netanyahu se plaît à n’accorder qu’une sourde oreille. «Nous avons été clairs lors de nos multiples conversations et de toutes les manières possibles: une offensive à Rafah serait une énorme erreur», a-t-elle poursuivi.
Pour Washington, une opération militaire dans ce pan de territoire, accordé censément aux civils à titre de refuge, est une option aux conséquences stratégiques désastreuses : par son inévitable bilan meurtrier, elle achèverait d’isoler Israël par une nouvelle charge de condamnations internationales, qui ne manqueront pas d’accabler concomitamment les Etats-Unis en tant que parrain engagé dans la guerre depuis plus de 5 mois.
Tous les efforts de Washington se concentrent en ce moment sur la nécessité de soigner son image écornée et l’impératif de casser la logique des engrenages régionaux qui maintiennent comme possible une extension du conflit sur le terme.
C’est dans ce cadre au demeurant qu’il faudra sans doute inscrire l’intérêt subit au volet humanitaire et cette improbable promesse d’installer un port provisoire à Ghaza pour acheminer des aides par voie maritime.
Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain, était la semaine dernière à Tel-Aviv pour tenter une nouvelle fois de dissuader le gouvernement israélien de mener l’assaut sur Rafah, et lui demander d’assouplir ses positions lors des rounds de négociations avec le Hamas sur les conditions d’un arrêt des hostilités.
L’option du cessez-le-feu est aujourd’hui défendue par Washington comme une étape nécessaire pour reprendre en main la situation diplomatiquement. Benyamin Netanyahu a d’autres calculs et reste pour sa part intransigeant : avec ou sans le soutien des Etats-Unis, les troupes israéliennes mèneront bien l’offensive contre Rafah. Mais les Américains ne lâchent pas l’affaire.
Sur une initiative de la Maison-Blanche, le ministre israélien de la Défense était attendu hier à Washington pour une visite qui s’annonce entièrement consacrée au sujet de cette offensive redoutée contre le sud de l’enclave palestinienne. L’administration Biden attend toujours la présentation de ce plan détaillé d’intervention capable d’épargner les 1,5 million de Palestiniens pris au piège à Rafah, tel que promis par Tel-Aviv.
De son côté, le ministère de la Défense israélien parle d’un déplacement qui se consacre plutôt à «la préservation de l’avantage qualitatif de l’Etat d’Israël et de sa capacité à obtenir des plates-formes aériennes et des munitions». On reconnaît tout de même que la visite qui intervient «à un moment important», participe du souci de «préserver les relations spéciales et importantes entre les deux pays».
Au même moment, une «délégation» israélienne, dont la composante n’a pas été précisée, a été appelée à Washington pour des discussions sur les «moyens d’éviter une incursion militaire d’envergure à Rafah». Selon les échos de médias arabes, la mission serait composée de hauts cadres ministériels chargés de l’humanitaire et des moyens logistiques.
Même si l’option des «sanctions» américaines contre Israël reste parfaitement improbable en ce moment, il est clair que Benyamin Netanyahu est de plus en plus identifié à Washington comme un obstacle au déploiement de la vision américaine au Moyen-Orient, celle des démocrates au pouvoir à la Maison-Blanche jusqu’à novembre prochain, en tous cas.
Toutes les tentatives américaines de contourner le Premier ministre israélien, à travers des échanges avec d’autres interlocuteurs officiels à Tel-Aviv, ne réussissent pas pour l’heure à faire fléchir l’allié récalcitrant.
L’«abstention» américaine passe mal à Tel- Aviv
Benyamin Netanyahu ne digère pas l’abstention de la délégation américaine lors du vote, hier au Conseil de sécurité, de la résolution sur un cessez-le-feu feu à Ghaza. En réaction, il a décidé l’annulation de la visite d’une «délégation diplomatique» israélienne prévue ces jours-ci à Washington.
Pressée plus que jamais par la communauté internationale, et vivant de plus en plus mal l’isolement diplomatique dans lequel l’a précipité son soutien inconditionnel à Israël, la diplomatie américaine n’a pas pu, cette fois, assurer le bouclier du veto à son protégé. John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale a répliqué, hier, que même si les Israéliens décidaient de couper les ponts avec Washington, les autorités américaines continueraient de tenter à les convaincre de suivre une autre voie à Ghaza. M. S.