En raison de progrès notables dans la reprise du contrôle de l’inflation, la banque centrale des Etats-Unis (FED) devrait baisser son taux directeur lors de la prochaine réunion de son comité fédéral de politique monétaire les 17 et 18 septembre 2024, décision qui ne manquerait pas d’avoir des répercussions domestiques et internationales.
C’est ce qu’a annoncé le gouverneur de la FED le 23 août lors du rendez-vous annuel des grandes banques centrales à Jackson Hole (Wyoming) aux Etats-Unis. Ce serait alors la première fois que la FED baisserait ses taux directeurs après les avoir augmentés 11 fois entre le 17 mars 2022 et le 26 juillet 2023 pour combattre la montée de l’inflation déclenchée dès la réouverture de l’économie à la mi-2021.
Cette réorientation marquante de la politique monétaire américaine visera à détendre les conditions financières pour faire face à une remontée du chômage, booster davantage l’activité économique et favoriser un atterrissage en douceur (soft landing) de l’économie américaine.
Ce faisant, elle ne manquera pas : (1) d’affecter les décisions des agents économiques américains en matière de consommation, d’investissement, de production et d’emploi ; et (2) d’avoir des répercussions internationales à travers un certain nombre de canaux (circulation des capitaux, taux de change, politiques macroéconomiques, mouvements de devises et taux de change et le secteur financier). Discutons de ces points clés.
Evolution de l’inflation mondiale (2022-2024), source de resserrement des conditions financières mondiales depuis 2022. A la mi-2021, la réouverture de l’économie mondiale avait donné lieu à des pressions inflationnistes qui soulevaient des questions diverses tant sur leur nature (transitoires ou structurelles) que sur les mesures de contrôle à mettre en place afin d’éviter une surchauffe de l’économie.
En 2022, en raison des chocs pétrolier et alimentaire déclenchés par la guerre en Ukraine, l’inflation moyenne au niveau mondial bondissait à 8% (une hausse de 4,5% par rapport à 2021), soit le taux d’inflation le plus élevé depuis le début des années 1980. Cette poussée d’inflation intervenait après plus de deux décennies d’inflation faible et stable.
En 2023, l’inflation moyenne chutait à 6,8% sous l’effet : (1) d’une gestion de la demande globale par le biais de la politique monétaire (multiples relèvements des taux d’intérêt en 2022 et 2023); (2) d’une gestion de l’offre par le biais de mesures structurelles et budgétaires ciblant une amélioration des chaînes d’approvisionnement mondiales et des offres internes ; (3) de l’ajustement des marchés de l’énergie et des produits de base aux perturbations causées par la guerre en Ukraine, ce qui a permis de stabiliser les prix de l’énergie et les coûts des biens alimentaires ; et (4) d’un rééquilibrage lent des marchés du travail, illustré par des taux de chômage en légère baisse à 3,7% aux Etats-Unis (3,5% en 2022), 6,4% en zone euro (6,7% en 2022) et 4,7% en Grande-Bretagne (4,2% en 2022) freinant ainsi la croissance des salaires, un élément-clé du coût des services et second canal de relance de l’inflation. En 2024, l’inflation mondiale devrait davantage ralentir pour atteindre 5,9%, L’inflation mondiale post-Covid reflète d’abord et avant tout un choc significatif de l’offre.
En rétrospective, une analyse de la phase post covid-19 fait ressortir : (1) une économie mondiale ayant subi des dommages structurels (sous forme d’output gap persistants) causés par la fermeture de pans entiers d’activité. Certes le PIB mondial s’est largement redressé bien qu’il reste inférieur à sa tendance d’avant la Covid-19.
De plus, si la consommation de biens a fortement augmenté pendant la pandémie, celle des services avait fortement baissé et se rapproche seulement maintenant de sa tendance pré-Covid-19 ; (2) la montée de l’inflation reflète essentiellement une forte chute de l’offre et une hausse des marges des entreprises favorisée par des retards significatifs des livraison au plus fort de la pandémie.
Pour leur part, les facteurs liés à la demande ont contribué dans une moindre mesure à la hausse des prix (demande entretenue par l’épargne importante accumulée par les agents économiques aux Etats-Unis ($3500 milliards) et en zone euro (€750 milliards) pendant la fermeture de l’économie ; et (3) la persistance des niveaux excessifs des marges bénéficiaires, ce qui signifie que la désinflation doit se poursuive.
La forte contribution de l’offre aux pressions inflationnistes post-Covid pose les questions : (1) de savoir si le rôle de la politique monétaire n’a pas été excessif ; et (2) le rythme de l’assouplissement imminent des taux d’intérêt (déjà entamé en Grande-Bretagne et dans la zone euro) d’autant plus que l’inflation par les prix arrive à terme, nonobstant les tensions géopolitiques actuelles, une certaine augmentation récente des coûts de transport maritime liée à des perturbations dans la circulation des navires empruntant les canaux de Panama et de Suez. L’inflation devrait continuer à baisser, compte tenu de l’importance des effets de désinflation décalés dus à la normalisation de l’offre.
Le processus de désinflation aux Etats-Unis (2022-2024). Pendant la pandémie, la FED avait pris des mesures fortes pour soutenir l’activité économique, notamment une baisse des taux des fonds fédéraux autour de zéro aussi récemment qu’au premier trimestre 2022 et une injection de liquidités dans l’économie par le biais d’achats de titres.
Face à la montée de l’inflation en 2021 et début 2022 (désormais requalifiée à cette date de structurelle), les autorités américaines ont adopté : (1) des mesures monétaires : la FED a fait évoluer entre le 17 mars 2022 et le 16 juillet 2023 les taux des fonds fédéraux de près de zéro à 5-5,25% (soit onze augmentations en 16 mois).
Depuis le 16 juillet 2023, la FED a gelé les taux d’intérêt ; et (2) des mesures structurelles de la part du gouvernement fédéral pour désengorger les ports et fait adopter l’Inflation Reduction Act (IRA) le 18 août 2022.
Cette loi cible, entre autres, une réduction du déficit budgétaire, la hausse des investissements dans la production d’énergie nationale et le secteur manufacturier, la réduction des émissions de carbone d’environ 40% d’ici 2030 et surtout l’élimination des rigidités structurelles qui font grimper le prix des médicaments sur ordonnance et la prolongation du programme élargi de l’Affordable Care Act pour trois ans, jusqu’en 2025 (deux sources fortes d’inflation).
Une baisse des taux d’intérêt à court terme aux Etats-Unis pourrait intervenir en septembre 2024. Pourquoi une telle réorientation de la politique monétaire des Etats-Unis ?
La réunion de la FED du 30-31 Juillet 2024 : stabilité des taux d’intérêt, hausse du chômage et volatilité des marchés financiers. Au cours de cette réunion et contrairement à la Banque Centrale Européenne (réduction le 12 juin 2024 du taux directeur de 4,5 % à 4,25%) et de la Banque d’Angleterre (réduction du taux directeur de 5,25% à 5% en août 2024), la FED a maintenu ses taux directeurs inchangés à 5,25%-5,50% (leur plus haut niveau depuis 23 ans) malgré la baisse marquée de l’inflation et l’affaiblissement du marché de l’emploi.
La FED justifia cette prudence par le double souci d’éviter une baisse précoce des taux et de se donner plus de temps pour consolider la désinflation et maintenir la croissance économique.
La décision de la FED a été suivie deux semaines plus tard par la publication des statistiques défavorables du chômage pour juillet 2024 (création de 114,000 emplois ce qui avait fait bondir le taux de chômage de 4,1 % à 4,3 %), créant un tumulte au niveau des marchés financiers inquiets de la lenteur de la réaction de la FED, du resserrement monétaire au Japon et des incertitudes économiques plus générales. Entre temps, le calme semble être revenu sur les marchés financiers.
La prochaine réunion-clé de la FED du 17 et 18 septembre 2024 et la dépréciation du dollar. Lors de la réunion annuelle des principales banques centrales et économistes à Jackson Hole, dans le Wyoming, le président de la FED avait fait part de son intention de réduire les taux d’intérêt directeurs en septembre en raison de la montée du chômage et du besoin de favoriser un atterrissage en douceur de l’économie américaine.
Sa déclaration a conduit à une hausse des prix des bons du Trésor et à une baisse du dollar (2,9% entre fin juillet et fin août), les marchés intégrant désormais une baisse plus importante des taux les 17 et 18 septembre. Il s’agit du signal le plus fort à ce jour allant dans le sens d’une réorientation de la politique monétaire des Etats-Unis.
Cette prochaine baisse des taux d’intérêt devrait alors intervenir six semaines avant l’élection présidentielle américaine. Les économistes et les parlementaires démocrates avaient déjà critiqué la FED pour sa lenteur et redoutaient une récession qui les pénaliserait au niveau des urnes. Les marchés anticipent une baisse significative des taux d’intérêt (un point de pourcentage de baisse des taux d’ici la fin de l’année).
La hausse des prix de l’or. Anticipant une baisse des taux d’intérêt, les investisseurs internationaux (investisseurs institutionnels et fonds spéculatifs) des économies avancées se tournent de plus en plus vers l’or, faisant grimper son prix au niveau record de $2531 par once troy, soit une augmentation de plus de 20 % cette année. Le métal jaune est devenu une alternative attrayante par rapport aux obligations.
A titre illustratif, les indices de fonds négociés en bourse adossés à l’or physique font ressortir une hausse de 90,4 tonnes, soit $7,3 milliards depuis mai 2024. Auparavant, ces investisseurs occidentaux étaient restés à l’écart du ralliement autour de l’or qui dure depuis 20 mois, en raison essentiellement de la demande chinoise.
Atterrissage en douceur de l’économie mondiale. Les banquiers centraux présents au symposium de Jackson Hole les 22 et 24 août anticipent un «atterrissage en douceur» de l’économie mondiale, c’est-à-dire une réduction de l’inflation qui ne provoquera pas une récession.
Les dernières chiffres de la croissance américaine (3% au second trimestre en glissement annuel) confirment cette tendance. De ce fait, la prochaine baisse de taux d’intérêt ne devrait pas déclencher de ralentissement économique.
Toutefois, tout en notant la forte désinflation enregistrée ces derniers mois et la solidité des marchés du travail, ces banquiers centraux favorisent une approche prudente et progressive en matière d’assouplissement monétaire pour éviter une résurgence de l’inflation dans un contexte de perspectives économiques mondiales molles.
Les conséquences internationales de l’assouplissement de la politique monétaire américaine. La FED va donc rejoindre la BCE et la Banque d’Angleterre dans le cycle d’assouplissement des conditions financières mondiales. Les observateurs économiques se posent d’ores et déjà la question de la maîtrise des impacts de la réorientation de la politique monétaire des Etats-Unis dont la monnaie joue le double rôle de monnaie de réserve internationale et de monnaie nationale.
Si la baisse des taux d’intérêt américains va influencer les agrégats macroéconomiques domestiques (consommation, investissement, production et emploi), elle impactera également le reste du monde à travers : (1) la circulation des capitaux à court terme : en raison de la baisse des taux d’intérêt, les investisseurs ne manqueront pas de déplacer des capitaux hors des Etats-Unis (si les différentiels d’intérêt les justifient), ce qui peut affecter les taux d’intérêt du marché à court et à long terme et éventuellement entraîner des booms du crédit au niveau des économies étrangères, vecteur de risque de crises bancaires ; (2) les mouvements des monnaies et les taux de change : le dollar peut se déprécier, ce qui augmenterait les prix des biens et services importés, relancerait l’inflation, accroîtrait le PIB étranger et freinerait le PIB américain ; (3) les échanges commerciaux : lorsque le dollar se déprécie, les exportations deviennent moins chères et les importations plus coûteuses, ce qui peut augmenterait les exportations et diminuerait les importations.
Cela pourrait entraîner une hausse du PIB ( en cas d’exportations nettes positives); (4) la demande intérieure américaine : en baissant les taux d’intérêt, la demande globale américaine augmenterait, ce qui peut accroîtrait les importations américaines de produits étrangers et augmenterait le PIB étranger; et (5) l’effet de levier du secteur financier : la politique monétaire américaine peut affecter le rendement relatif des investissements au niveau des économies étrangères, ce qui pourrait influencer les cycles de crédit et l’effet de levier du secteur financier.
Algérie : impact macroéconomique d’une baisse des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Cette dernière pourrait avoir des effets variés sur l’économie qui reste fortement dépendante du pétrole.
Elle pourrait entraîner une augmentation des revenus pétroliers grâce à un dollar plus faible et attirer davantage d’investissements étrangers (pour peu que le contexte macroéconomique le permette et l’attractivité du pays soit renforcée).
A contrario, elle pourrait aussi augmenter la vulnérabilité de l’économie en l’exposant à la volatilité des prix du pétrole et faire naître d’autres risques d’inflation et de surchauffe économique.
La gestion des politiques budgétaires et monétaires sera cruciale pour contrer ces impacts et les intégrer dans une nouvelle approche macroéconomique d’autant plus que l’Algérie rentrerait dans la phase active de son cycle budgétaire pour 2025. A. B.