Dévoilé en juin 2019 à Manama (Bahreïn) en présence des représentants des monarchies du Golfe (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis et Bahreïn) ainsi que ceux de l’Egypte, Jordanie, Maroc, et bien sûr, ceux des Etats-Unis et d’Israël, le premier volet prévoit un investissement de 50 milliards de dollars sur 10 ans, engagés par les pays du Golfe, au profit de l’Etat palestinien. Quant au volet politique, cet accord dévoilera sa vraie nature : faire de la Palestine un semblant d’Etat dépourvu de toute forme de souveraineté.
Ce volet politique a été annoncé le 26 janvier 2020 à Washington par le duo inséparable : Trump et Netanyhu. Les deux s’alternaient pour expliquer, carte à l’appui par-dessus tout, la teneur de ce volet limitant drastiquement la souveraineté du futur Etat palestinien, quand on sait que l’«accord» prévoit d’imposer la souveraineté israélienne sur 30% de la Cisjordanie.
Ainsi, l’Etat palestinien en question se réduirait à une mosaïque de poches éparses, donc à un bantoustan non viable. Plus grave encore, cet Etat palestinien, stipule le volet politique, sera démilitarisé et doit s’engager à désarmer le Hamas et à déclarer Ghaza zone démilitarisée. Plus grave encore est le fait que les dispositions de l’«accord» exige de l’Etat palestinien projeté la reconnaissance d’Israël «Etat juif» et l’abandon du droit de retour aux réfugiés. Une disposition de l’«accord »prévoit la reconnaissance par les USA des colonies israéliennes en Cisjordanie et la garantie donnée à tout Israélien d’y rester. En un mot, ledit «accord» édicte ni plus ni moins une capitulation des Palestiniens.
Ce document, élaboré en l’absence des Palestiniens, est en réalité un fait de prince auquel s’applique en droit la définition de «contrat d’adhésion». Il s’apparente à un triste monologue où l’occupant et son éternel protecteur font cavaliers seuls sur la scène, présentant la farce amère qu’ils ont concoctée et qui, loin d’être une solution à une tragédie qui dure depuis 1948, est venue pérenniser l’occupation. Aussi, doit-on parler non pas d’«accord du siècle», mais de «honte du siècle» ou de «hold-up du siècle».
L’Autorité palestinienne, puis Hamas, ont rejeté l’«accord» en question et le président de cette Autorité a menacé de rompre tout contact sur le plan sécuritaire avec Israël. Néanmoins, Mahmoud Abbas fit six mois après (juillet 2020) marche arrière, annonçant sa volonté de reprendre le dialogue avec Israël à condition qu’il y ait aux côtés des Etats-Unis d’autres parties neutres. Entre-temps, Israël accentue le peuplement des territoires occupés et rien n’est certain que la démarche du président Abbas puisse déboucher sur des résultats positifs quand on sait que l’Amérique veille au grain en maintenant le statu quo, générateur du fait accompli, élément-clé de la politique expansionniste d’Israël.
2.2 – Soutien stratégique de l’allié américain
2.2.1 – Aide militaire
Dans tous les conflits avec les pays arabes, Israël a bénéficié du soutien américain, notamment dans le domaine logistique lors de la guerre d’Octobre 1973 opposant l’Egypte et la Syrie à Israël. Suite aux pertes subies par les Israéliens dans les blindés grâce aux missiles anti-chars égyptiens AT-3 «Sagger» et dans l’aviation grâce au réseau synchronisé de missiles SAM-2, SAM-3 et SAM-6, Israël fit appel aux Américains qui assurèrent alors un gigantesque pont aérien acheminant 22 395 tonnes de matériels militaires, contre 15 000 envoyés par les Soviétiques à l’Egypte et la Syrie, soit une différence de 7395 tonnes au profit du pont aérien américain. Celui-ci, en termes de tonnes/miles, c’est-à-dire le rapport du tonnage à la distance parcourue, est de 6,5 fois supérieur.
Plus récemment (décembre 2012), les Etats-Unis ont fourni à Israël 6900 bombes «intelligentes», guidées par satellite et le chasseur-bombardier furtif F-35 qui n’était livré jusque-là qu’à une
poignée de pays membres de l’OTAN.
2.2.2 – Appui politique et diplomatique
Le véto est l’arme diplomatique américaine privilégiée. A septembre 2018, les USA ont opposé 45 fois leur vélo au Conseil de sécurité. Les plus récents sont ceux du 18 décembre 2017 contre un projet de résolution rejetant la décision du président Trump de transférer l’ambassade américaine à Al-Qods, du 6 avril 2018 contre le projet appelant le Conseil de sécurité à une enquête sur les massacres de Ghaza, du 1er juin 2018 contre un projet de résolution prévoyant la protection du peuple palestinien. Le dernier en date est le véto opposé contre le projet de résolution sino-russe de novembre 2023 demandant un cessez-le-feu à Ghaza.
Autre forme d’appui politique et diplomatique américain à Israël, l’encouragement de la légalisation des colonies. Le 18 novembre 2019, l’ancien secrétaire d’Etat américain Mike Pompéo a déclaré que les Etats-Unis considèrent que l’établissement de colonies israéliennes en Cisjordanie n’est pas contraire au Droit international !
Les Etats-Unis usent de manœuvres pour brouiller les pistes. Le 26 septembre 2018, le Président Trump avait annoncé, en marge des travaux de la session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU qu’il est favorable à la solution de deux Etats. Or, ses pratiques et ses précédentes déclarations viennent toutes dévoiler son mensonge. Et ces assertions mensongères se poursuivent aujourd’hui sous le mandat de son successeur Biden.
Les obstacles dressés aux organismes de l’ONU sont une autre forme d’appui politique à Israël. Après la suspension en octobre 2011 de leur contribution financière à l’Unesco, les Etats-Unis se sont retirés de cette organisation, l’accusant d’être une tribune anti-juive et rejoignent ainsi Israël dans l’amalgame entre «juifs» en tant qu’entité religieuse et «Israël» en tant qu’Etat expansionniste et raciste.
Le transfert de l’ambassade américaine à Al-Qods est un acte de soutien inconditionnel des USA à Israël. Ce transfert eut lieu le 14 mai 2018, soit le 70e anniversaire de la création de l’Etat sioniste. Ce faisant, Washington piétine la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de décembre 2017 rejetant toute modification du statut juridique d’Al-Qods. C’est d’ailleurs cette mesure américaine, que nous avons déjà évoquée, qui a déclenché la vague de manifestations palestiniennes (Journée du Grand retour) du 30 mars au 12 août 2018.
Autre moyen de soutien, la politique de la chaise vide. En juin 2018, les Etats-Unis se sont retirés du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’accusant d’être une tribune anti-israélienne, après que le Conseil eut voté le mois d’avant une résolution appelant à une enquête internationale sur la mort de dizaines de Palestiniens sous les balles israéliennes lors des manifestations de Ghaza contre le transfert de l’ambassade américaine à Al-Qods.
L’UNRWA a eu sa part de sanctions. Ayant gelé dans un premier temps leur part de contribution à cette organisation, les Etats-Unis annulèrent en août 2018 une contribution de 200 millions de dollars. L’économie de Ghaza se retrouve alors dans une situation critique, faute de fonds nécessaires au fonctionnement des services de l’UNRWA qui connaissent déjà un déficit de 186 millions de dollars.
S’ajoutent à ces annulations intempestives la suppression, par Washington, de l’aide accordée à l’Autorité palestinienne d’un montant de 250 millions de dollars ainsi que celle accordée aux hôpitaux palestiniens d’une valeur de 25 millions de dollars.
Les menaces et intimidations, contre la Cour pénale internationale et d’autres institutions, relèvent du même ordre que les actions et décisions américaines évoquées. En septembre 2018, les Etats-Unis, par la voix de John Bolton, conseiller de la sécurité intérieure sous Trump, menacèrent directement la CPI de représailles contre ses juges s’ils s’en prenaient aux Etats-Unis, à Israël ou à d’autres alliés de l’Amérique. Jamais un gouvernement dans le monde n’a montré autant de mépris et ne s’est comporté avec autant d’arrogance à l’égard des peuples et des institutions.
Une année après, les Etats-Unis ont fermé l’ambassade palestinienne et expulsé ses membres au motif que les Palestiniens manquent de bonne volonté dans le dialogue avec les Israéliens, alors que ce sont les manœuvres et les atermoiements de ces derniers qui en sont la cause. Est touché aussi par l’intimidation le juriste canadien William Schabas, désigné président de la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme sur les crimes de guerres israéliens à Ghaza en 2014 et qui a fini par présenter sa démission, protestant contre son harcèlement.
Notons, dans ce chapitre, le cas éloquent du militant libano-palestinien, Georges Ibrahim Abdellah, qui, arrêté en 1984 pour «faux documents» (passeport), a bénéficié de la médiation algérienne pour être élargi en 1985 contre la libération de ressortissants français détenus au Liban. Mais sous l’influence américano-sioniste, ce militant s’est vu coll» un second procès pour «terrorisme» et condamné à perpétuité malgré les dénégations de l’accusé, récusant un procès inique. Il a été même trahi par son avocat, Me Jean-Paul Mazouri, qui est la taupe des services de renseignements français et qui le dira, toute honte bue, dans son livre. Ainsi, les otages ont été libérés et G.I.Abdellah croupit à ce jour en prison, malgré l’acceptation de la justice française en 2013 de le libérer, après neuf refus, mais les services occidentaux, américains en particulier, ont tout fait pour bloquer cette libération.
2.3 – Divergences inter palestiniennes
Depuis les Accords d’Oslo, Hamas se détacha de plus en plus de l’Autorité palestinienne et se proclama en 2007 maître de Ghaza, fragilisant cette Autorité dans sa démarche visant l’institution de l’Etat palestinien déjà menacé par la prolifération des colonies juives. Il y eut de 2011 à 2017 trois accords tendant à la formation d’un gouvernement de réconciliation nationale, mais qui n’ont pas abouti. Alors que commençaient à apparaitre quelques lueurs d’espoirs, voilà que l’«accord du siècle» de 2020 est venu figer les tentatives de réconciliation et prolonger le statu quo.
2.4 – Silence complice de l’ONU
Au plus fort des agressions israéliennes contre Ghaza, en 2008, 2012 et 2014, le précédent secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon a demandé au président de l’Autorité palestinienne de mettre fin à la violence, et contre toute attente Mahmoud Abbas a gardé le silence. Cette demande aurait dû être adressée aux agresseurs, les Israéliens. Par ailleurs, l’ONU n’a rien fait pour arrêter l’expansion israélienne devenue courante, avec notamment l’implantation accélérée de colonies israéliennes, depuis l’avènement de gouvernements d’extrême droite, à leur tête celui du sinistre Netanyahu. Elle n’a pas bougé non plus face aux différentes invasions du Liban, aux attentats ciblés contre les personnalités palestiniennes et actuellement face au génocide à ciel ouvert à Ghaza.
2.5 – Attitude timorée de la Ligue arabe et position hostile aux palestiniens par des institutions arabes
La Ligue arabe n’a pas joué le rôle qui lui est dévolue et se contente de mesures sporadiques et apathiques. Face aux massacres de civils palestiniens lors des manifestations contre le transfert de l’ambassade américaine à Al-Qods, le communiqué final de la Ligue arabe, du 31 mars 2019 à Tunis, n’a fait que réitérer le soutien de la Ligue à la cause palestinienne et lancer un appel à la communauté internationale et au Conseil de sécurité pour protéger le peuple palestinien. Il y a absence de mesures à portée pratique de nature à peser sur les événements. Idem pour le sommet conjoint Ligue arabe – Conférence des Etats islamiques tenue en novembre 2023 en Arabie Saoudite où la déclaration finale reprend la phraséologie habituelle, loin de modifier le rapport de force et changer le cours des événements. Par ailleurs, une juridiction égyptienne a, en 2014, déclaré interdites les activités de Hamas et terroriste de ce mouvement. Si cette décision a un caractère politique évident, elle touche gravement, sur le plan moral, le sentiment national palestinien, car la justice qui l’a rendue n’est ni habilitée ni qualifiée à déclarer «criminel» un mouvement de libération. Le faire serait une autre forme d’inquisition, l’inquisition politique.
2.6 – Poursuite de la normalisation avec Israël
Après l’Egypte et la Jordanie, engagées dans le passé dans des guerres avec Israël et avec lequel elles avaient des litiges frontaliers, on croyait finie la normalisation avec l’Etat hébreu. Voilà que deux pays du Golfe, les Emirats arabes unis et le Bahreïn ont, après médiations saoudienne et américaine, signé l’accord de normalisation avec Israël. Les ont suivi peu de temps après le Soudan et la Maroc, et d’autres pays sont sur la liste d’attente, en particulier l’Arabie Saoudite qui a déjà entrepris des contacts officieux avec Israël. Reste-t-il quelque chose de la Ligue arabe après que presque la moitié de ses membres se sont engagés dans la funeste aventure de «normalisation», projet américano-sioniste visant à faire éclater le monde arabe ?
Le faire, c’est trahir le peuple palestinien qui a sacrifié tant de générations en quête de l’Etat auquel il a droit, et dont les sionistes et leurs laquais normalisateurs posent de plus en plus d’embûches sur son chemin. Voilà exposés les effets pervers des Accords d’Oslo, censés être la clé du règlement du problème israélo-palestinien. Pour sortir de l’impasse induite par ces effets, des mesures draconiennes, pensons-nous, doivent être prises sans tarder par tous les acteurs concernés, les Palestiniens, d’abord, doivent s’unir plus que jamais pour faire face à l’hydre israélienne, les Arabes normalisateurs se doivent de geler leurs relations avec Israël, la Ligue arabe a l’obligation de prendre des mesures énergiques, coercitives s’il le faut, à l’égard des pays occidentaux soutenant Israël et le protecteur américain doit cesser son soutien inconditionnel à l’Etat sioniste comme s’il était le 51e Etat américain. C’est sur la conscience universelle que pèsent les obstacles dressés aux Palestiniens pour fonder l’’Etat auquel ils ont droit.
Par Abdelhamid Zeroual , avocat
Ancien magistrat, ancien journaliste, auteur
E-mail : zeroualabdelhamid [email protected]