Après avoir rappelé à l’ordre Israël, l’exhortant à mettre en exécution les injonctions qu’elle a prononcées le 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ), entamera dès demain et jusqu’au 26 du mois en cours, le débat sur les conséquences de l’occupation israélienne des territoires palestiniens.
Des interventions orales de 52 Etats et de 3 organisations sont au menu de ces audiences publiques, qui plongent au cœur même du conflit palestinien, après la plainte pour génocide, déposée par l’Afrique du Sud, auprès de cette juridiction onusienne.
Dès demain et pendant dix jours, la Cour internationale de justice (CIJ) tiendra des audiences publiques sur la demande d’avis consultatif relatif aux «conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire occupé de la Palestine, qui comprend également celui de Jérusalem-Est. Un débat qui fait plonger cette haute juridiction onusienne dans le cœur même d’un conflit qui dure depuis 75 ans et d’un génocide que l’entité sioniste mène en toute impunité depuis plus de quatre mois.
Au programme de ces dix jours d’audience, au Palais de la Paix à La Haye, les équipes juridiques de 52 Etats et de 3 organisations internationales se succéderont pour exprimer leurs avis devant les 15 juges de la CIJ, dont 6 récemment élus, un nouveau président libanais, Nawaf Salam, connu pour sa défense de la cause palestinienne, mais aussi une nouvelle vice-présidente ougandaise, Julia Sebutinde, devenue célèbre pour avoir voté contre les mesures imposées à Israël, par la CIJ, le 26 janvier dernier.
Tous vont plaider pour l’avis des magistrats sur les conséquences de la colonisation de la Palestine par Israël. Prévue demain, la séance d’ouverture des audiences sera consacrée exclusivement au représentant de la Palestine, qui aura à s’exprimer durant trois heures, suivi le lendemain par les délégués de 11 pays, dont l’Afrique du Sud et de l’Algérie, qui auront chacun 30 minutes pour sa plaidoirie.
La tenue de ces audiences ont été décidées à la suite d’une résolution de l’Assemblée générale de l’Onu (votée par 87 voix sur 193), datant du 30 décembre 2022, (dans le cadre d’une commission d’enquête de l’Onu) demandant à la CIJ, d’émettre un avis consultatif, sur les conséquences de l’occupation israélienne de la Palestine.
Cet avis concerne les conséquences juridiques de l’occupation et de l’annexion, ou encore les mesures visant à modifier la composition démographique, le statut de la ville d’El Qods et l’adoption par l’entité sioniste d’une législation.
Ces audiences interviennent après celles engagées par l’Afrique du Sud, auprès de la même juridiction, au début de cette année, contre Israël, pour prévenir et empêcher des actes de génocide à Ghaza. Dans son volet lié aux «demandes de mesures conservatoires urgentes» (en attendant l’examen au fond), la CIJ a évoqué un «risque potentiel de génocide» à Ghaza et exigé d’Israël «la prise de mesures» pour «l’ empêcher et protéger la population».
Sur le terrain, l’entité sioniste n’a fait qu’intensifier ses opérations militaires dont le bilan a dépassé les 28 000 morts et la destruction massive de la ville de Ghaza, poussant les populations à fuir de plus en plus vers Rafah, où les forces d’occupation ont annoncé leur intention d’étendre leur offensive.
Ce qui a poussé l’Afrique du Sud à revenir à la charge, le 12 février dernier, en demandant à la CIJ de prendre des mesures conservatoires additionnelles urgentes. La CIJ a rejeté la demande, mais rappelé à l’ordre Israël, le sommant «d’exécuter les décisions rendues le 26 janvier 2024, qui consistent, entre autres, à “protéger la population de Ghaza y compris Rafah”».
Dans son ordonnance, la CIJ décrit la situation à Ghaza et à Rafah, en reprenant les propos du secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres. «Les événements intervenus tout récemment à Ghaza, en particulier à Rafah, entraînent une aggravation exponentielle de ce qui est d’ores et déjà un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables», ainsi que l’a indiqué le secrétaire général de l’ONU, avertit la CIJ avant de rappeler à l’ordre l’entité sioniste : «Cette situation alarmante exige la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024.»
Pour la plus haute juridiction de l’onu, «ces mesures sont applicables à l’ensemble de la Bande de Ghaza, y compris Rafah et ne nécessitent pas une indication de mesures additionnelles». Ce qui laisse entendre que les injonctions prononcées le 26 janvier dernier restent pour la CIJ suffisantes pour pousser Israël à protéger la population de Ghaza de tout éventuel acte de génocide.
Or, à dix jours de l’expiration du délai d’un mois (26 janvier au 26 février) pour présenter à la CIJ, un rapport sur les mesures prises pour empêcher tout éventuel acte de génocide et pour protéger la population de tels actes, Israël n’a rien fait sur le terrain. Bien plus grave. Il a intensifié ses raids sur Ghaza et entamé des opérations à Rafah.
Depuis le 26 janvier, le nombre de Palestiniens tués par les bombardements et les tirs de snipers a dépassé les 28 800 et celui des blessés a atteint la barre de 70 000, sans compter près de 8000 personnes encore sous les décombres.
Dans sa réponse à la demande de l’Afrique du Sud, envoyée jeudi dernier à la CIJ, Israël s’est contenté de s’en prendre avec virulence à l’action sud-africaine en «réaffirmant», toute honte bue, son «respect du droit international et de la convention de lutte et de prévention contre le génocide», alors que le monde entier suit en direct les bombardements des hôpitaux, des bâtiments résidentiels, des écoles, des châteaux d’eau, mais aussi les exécutions de civils à l’aide de drones tueurs.
Israël dit «regretter» la demande de l’Afrique du Sud, qui fait référence à l’article 75 du règlement de la Cour, la qualifiant de «particulièrement inappropriée» avant d’accuser Pretoria, de «chercher une fois de plus à abuser de la décision provisoire de la Cour».
Sans argumenter ses remarques, Israël déclare que l’accusation de génocide contenue dans la saisine sud-africaine du 29 décembre 2023, est «totalement dénuée de fondement, moralement répugnante et constitue un abus à la fois de la Convention sur le génocide et à la Cour elle-même».
Bien plus, Israël dit «réitérer» son «engagement en faveur du respect du droit international, y compris la Convention sur le génocide et le droit international humanitaire» qui d’après lui, «est inébranlable et s’applique, comme Israël l’a démontré en paroles et en actes, en ce qui concerne la conduite des hostilités actuelles à Ghaza et indépendamment de toute procédure devant la Cour».
Israël dit «respecter le droit international en acte et en parole»
Pour Israël, il n’y a aucune guerre contre les civils, les infrastructures de base, les hôpitaux, les centres de réfugiés mais aussi la privation des survivants de nourriture, d’eau et de soins. Il précise d’ailleurs, qu’il «convient de noter que, comme la Cour l’a réaffirmé dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la décision au stade des mesures conservatoires ne préjuge en rien la question de la compétence de la Cour pour traiter du fond de l’affaire ou de toute question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même».
Selon lui, «les observations ci-dessous sont faites sur cette base et sont sans préjudice de la position d’Israël en ce qui concerne la compétence, l’admissibilité et le fond de l’affaire». La demande sud-africaine du 12 février dernier, rappelle l’entité sioniste, «est adressée à la Cour en moins de trois semaines après que celle-ci a rendu son ordonnance indiquant des mesures conservatoires, et très peu de temps avant la date limite pour la présentation par Israël d’un rapport conformément à cette ordonnance.
Comme l’indique le titre de sa dernière demande, de l’Afrique du Sud, prétend faire une demande au titre de l’article 75 (1) du Règlement de la Cour. Une telle demande est en contradiction avec les termes de cet article qui concerne l’indication de mesures conservatoires par la Cour proprio motu, plutôt qu’à la demande d’un parti».
Israël estime que l’invocation sud-africaine de l’article 75 (1) est «inapplicable» et «sa décision de ne pas invoquer l’article 76 (1) du même Règlement (…) suggère que l’Afrique du Sud (…) n’a pas satisfait à la condition prescrite dans cette dernière disposition» c’est-à-dire l’existence d’«un certain changement de la situation (qui) justifie une telle révocation ou modification».
Israël rappelle dans le dernier point de sa réponse «que dans sa demande initiale de mesures provisoires du 29 décembre 2023, comme également lors de l’audience tenue en janvier de cette année, l’Afrique du Sud a plaidé en faveur d’une série de mesures provisoires que la Cour n’a pas jugé bon d’indiquer.
La principale d’entre elles était l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la Bande de Ghaza, tel que cela a été cité dans l’ordonnance du 26 janvier 2024». Aucune réponse n’a été donnée par Israël sur son intention d’étendre sa guerre à la région de Rafah, frontalière de l’Egypte.
Les déclarations de l’entité sioniste ont d’ailleurs fait réagir de nombreux chefs d’Etat, mais aussi le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, le haut commissaire des droits de l’homme et le commissaire de l’Unrwa, ainsi que le directeur général de l’Oms.
Tous ont mis en garde contre une «catastrophe humanitaire», en raison de la densité populaire à Rafah, et «la situation désastreuse» de la population qui souffre des maladies et de la famine.
Durant les audiences de cette semaine, bon nombre d’Etats vont mettre la lumière sur les conséquences d’une occupation de 75 ans, qui au fil du temps, a phagocyté une grande partie des territoires palestiniens, envahis par des colons, à laquelle s’ajoute une guerre génocidaire qui dure depuis plus de 4 mois.