Le savoir jeté à la poubelle

31/05/2023 mis à jour: 00:10
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Diffusées en vidéos sur les réseaux sociaux chaque année, ces scènes ne sont plus un simple jeu de gamins. Elles sont devenues un véritable phénomène qui inquiète sérieusement. On y voit des collégiens et des lycéens, garçons et filles, fêter la fin de la saison scolaire en déchirant leurs cahiers de cours. 

Certains sont allés jusqu’à les brûler avec une incroyable euphorie, exprimant des sentiments enfouis durant toute une année. Ces actes sont commis devant les établissements scolaires, par défi, et avec audace, face au regard impassible de la société. Si de tels agissements sont les faits d’adolescents, au demeurant «inconscients» de la portée de leur geste et qui seront les futurs citoyens, on est en droit de s’interroger sur le rôle des parents et des associations souvent absentes dans ce genre de situations.

Désormais, on se contente de regarder et se désoler. Pourtant, il s’agit d’une offense contre le savoir et ceux qui le dispensent, mais aussi contre les institutions de l’Etat qui veillent sur sa démocratisation. Mais qu’en est-il de ces pères et mères de famille qui accompagnent leur progéniture chaque jour à l’école, dépensant sans compter pour leur acheter ces fournitures ? Ils se privent même de beaucoup de choses pour leur assurer des cours de soutien, afin d’assister impassibles à ce triste «délit» de conscience et d’incivisme. 

Ces cahiers de cours, qu’on ose déchirer, ne sont pas qu’un simple paquet de feuilles agrafées et couvertes d’un carton dessiné. C’est le symbole d’un savoir qu’on transmet de génération en génération, mais aussi un précieux souvenir dans la vie de chacun de nous. 

Qui ne souvient pas de ces vieux, mais beaux cahiers du lion, que nos grands-parents et parents montraient à leur descendance avec fierté ? Des cahiers qui portaient la belle écriture de ces jeunes Algériens, ayant bravé toutes les entraves pour aller chercher le savoir à l’école française, malgré les conditions difficiles de leurs parents. Des jeunes sans moyens, qui travaillaient dur en été, pour s’acheter les fournitures scolaires en automne. 

Des écoliers qui ne connaissaient pas les cours de soutien, mais qui obtenaient de bonnes notes en français et en maths, mieux que les écoliers français eux-mêmes. Des jeunes conscients de leur condition, mais qui ne se plaignaient de rien. Ils cravachaient pour réussir. 

Ces grands-parents et parents, qui, du temps du défunt cheikh Abdelhamid Ben Badis et même après, se réveillaient à 6h du matin pour aller suivre les cours à l’école de l’Association des Uléma musulmans, avant de rejoindre à 8h l’école française. Après la fin des cours de cette dernière, vers 16h, ils retournaient dans les classes arabes jusqu’à 18h pour apprendre la langue et l’histoire de leur pays. 

Ces jeunes deviendront les cadres de leur pays après avoir arraché son indépendance. Aujourd’hui, quand cette nouvelle génération apprend à jeter le savoir à la poubelle, c’est cheikh Ben Badis qui doit se retourner dans sa tombe. 
 

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