Le président Tebboune a présidé, dimanche, une réunion du Conseil des ministres au cours de laquelle il a affirmé la nécessité de réviser la loi portant modalités d’exercice de l’action syndicale, conformément aux résolutions du Bureau international du travail (BIT). Des syndicalistes ont exprimé leur «regret» de ne pas avoir été associés à la rédaction du texte.
Le Bureau international du travail (BIT) a instruit, en juin 2019, l’Algérie de mettre la loi 90-14, du 2 juin 1990, portant modalité de l’exercice syndical en conformité avec la convention 87 du BIT, justement ratifiée par l’Algérie, et ce, suite au refus du ministère du Travail d’agréer la Confédération des syndicats algériens (CSA). Le 22 décembre 2021, deux ans après, les services du Premier ministère ont élaboré un avant-projet de loi modifiant et complétant cette loi afin de se conformer aux résolutions du BIT.
Ce dimanche, ce texte de loi a été examiné en Conseil des ministres et approuvé par le chef de l’Etat, qui a ordonné le respect dans ladite loi des normes de représentation effective des syndicats, à associer les syndicats sectoriels à la mise en place de mécanismes juridiques pour évaluer la performance syndicale et, enfin, à distinguer l’action syndicale de la responsabilité dans la gestion et de l’appartenance politique.
Que pensent les organisations syndicales de cette démarche et de ces modifications ? Sur la forme, beaucoup de syndicalistes ont exprimé leur «regret» de ne pas avoir été associés dans le cheminement du texte. Sur le fond, de nombreuses organisations syndicales ont affiché leur satisfecit. Certains ont donné leur première appréciation, d’autres préfèrent attendre de pouvoir consulter le document proposé comme projet d’amendement de la loi avant de se prononcer.
Le Dr Lyes Merabet, porte-parole du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), pense que la mise en conformité des lois régissant l’exercice syndical avec les conventions internationales, notamment les recommandations du BIT pour la convention 87, «va enfin permettre la création de nouvelles centrales syndicales et reconnaître celles déjà constituées, comme la CSA».
S’agissant de la nécessité de faire valoir les éléments de la représentativité loin de toutes formes de contrainte ou d’ingérence de l’organisme employeur, le Dr Merabet estime que cette démarche, que doivent accompagner les services compétents de l’inspection du travail, dégagera chaque année au niveau sectoriel ou pour chaque mandat social (pour les confédérations et unions syndicales) la liste des organisations représentatives ayant le droit de négocier au nom des travailleurs.
Les syndicats affirment unanimement qu’il est important de reconsidérer les éléments d’appréciation de la représentativité et du taux, trop exagéré de 20%, retenu par la loi 90-14.
La loi 90-14 est «obsolète»
«Ce pourcentage de 20% requis pour la représentativité est dépassé. En 1990, il n’y avait pas autant de syndicats dans le secteur de l’éducation. Nos voisins demandent 5% et, jusqu’à présent, le ministère du Travail refuse l’agrément de la CSA alors que chez nos pays voisins, ils ont plus de quatre confédérations», déplore Boualem Amoura, secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef), qui pense que l’Algérie gagnera beaucoup en se conformant aux résolutions du BIT.
«Nous devons aller vers une démocratisation profonde de nos institutions et de nos lois. La loi 90/14 est obsolète, elle est dépassée par le temps, elle date de juin 1990 et le monde du travail a beaucoup changé depuis !» indique le syndicaliste.
Et d’ajouter : «Nous ne pouvons pas avoir une vraie représentativité quand le ministère du Travail octroie l’agrément à 28 syndicats dans le secteur de l’éducation !» Le président du Satef demande la «révision» des modalités et des critères d’octroi d’un agrément à un syndicat. Il y a, selon lui, «une volonté de parasiter l’action syndicale».
Concernant le point relatif à la séparation entre les mandats syndical, politique et toute responsabilité administrative, le Dr Merabet a salué cette exigence. De son avis, ces situations virent vers le conflit d’intérêt et mettent en danger le véritable militantisme syndical et politique aussi et entachent la partialité de l’administration. «Le SNPSP interdit ce cumul de responsabilités pour ses cadres depuis des années et il est consacré dans les statuts de l’organisation», rassure le Dr Merabet.
De son côté, M. Amoura rappelle que le Satef est le premier syndicat autonome de l’Algérie indépendante, et depuis il a toujours milité pour un espace syndical sain et démocratique, loin de la lutte partisane. «L’article 05 de notre statut interdit le cumul du mandat syndical et politique ! Nous n’avons pas attendu les autres pour nous le dicter, cela fait partie de nos principes directeurs et fondateurs.»
Le Satef, dit-il, est pour l’assainissement du champ syndical. «Le délégué syndical doit être protégé dans l’exercice de sa fonction, ce qui n’est pas le cas actuellement, et il doit bénéficier d’une immunité dans l’exercice de son rôle syndical», plaide M. Amoura.
L’application sur le terrain fait défaut
Meziane Meriane, coordinateur du Syndicat national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Snapest), a un autre avis. Il regrette que depuis l’ouverture politique et syndicale en 1988, plusieurs lois aient été modifiées et complétées, malheureusement beaucoup plus pour museler le champ syndical et non pour plus de liberté.
«Si on y regarde de près, il n’y a pas de conformité entre les lois et les conventions ratifiées. La séparation entre le travail syndical et politique a été tout le temps respecté par les syndicats autonomes, mais pas par l’UGTA qui soutenait à chaque fois la candidature de Bouteflika», assène M. Meriane, qui plus loin pense que sur certains dossiers il est impossible de dissocier le politique du syndicalisme et il cite la question du pouvoir d’achat qui est une politique, de même pour les libertés syndicales. «Théoriquement, le pouvoir peut satisfaire certains dispositifs, mais ce qui nous intéresse, c’est l’application réelle sur le terrain.
Deux syndicalistes des postiers ont été licenciés et non réintégrés à ce jour, alors que les conventions avec le BIT stipulent autre chose. Sur le terrain, on bute sur la bureaucratie et le manque de volonté», tranche M. Meriane, qui rappelle qu’effectivement «la Constitution garantit les libertés syndicales mais elle rajoute qu’elles s’exercent dans le cadre de la loi et les lois organiques qui les complètent. Ces dernières sont mises en place pour museler ces libertés», observe M. Meriane.