Le roman bientôt les vivants, d’Amina Damerdji présenté à l’institut français de Constantine : Faire jaillir l’espoir des cendres du désespoir

25/11/2024 mis à jour: 01:24
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Photo : El Watan

 «Le  sang. Reprend racine. Oui, nous avions tout oublié. Mais notre terre. En enfance tombée. Sa vieille   
ardeur se rallume. Et même fusillés, les hommes s’arrachent la terre. Et même fusillés, ils tirent la terre à eux comme une couverture. Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir.» 

 

Ces vers poignants de Kateb Yacine étaient la muse pour choisir le titre du roman Bientôt les vivants, œuvre de la jeune écrivaine Amina Damerdji, publié initialement aux éditions Gallimard, puis rééditée par Barzakh. Lors de son passage à Constantine en ce mois de novembre, elle a présenté et dédicacé son roman dans les locaux de l’Institut français d’Algérie à Constantine. 

Dans une atmosphère empreinte de convivialité, bien que marquée par une certaine réserve de l’audience, l’auteure a partagé les coulisses de son œuvre avec un public captivé. Avant d’ouvrir le débat, elle a esquissé les grandes lignes de son récit, une plongée saisissante dans l’Algérie des années 1990, une décennie tourmentée par les prémices de la répression, les fractures idéologiques et la montée en puissance du mouvement islamiste. Au cœur de ce roman d’environ 280 pages se trouve Selma, une jeune fille des faubourgs d’Alger, qui, dans un monde en déliquescence, trouve refuge dans sa passion pour l’équitation. Dédiée au dressage d’un cheval redouté de tous, elle puise dans cette relation avec l’animal et la nature une force inébranlable pour résister aux affres de la violence environnante. L’histoire culmine avec le massacre de Sidi Youcef en 1997, un événement tragique qui ancre l’œuvre dans une réalité sombre, tout en célébrant la résilience et l’humanité. La décennie noire, toile de fond du roman, a suscité un vif intérêt parmi des participants. Certains ont toutefois exprimé une critique, estimant que cette période est devenue une thématique récurrente, voire une «mode» dans la littérature contemporaine algérienne. A ces observations, Amina Damerdji a répondu avec nuance, expliquant que ce choix narratif était profondément enraciné dans son vécu personnel et familial. 

Elle a confié à El Watan que cette décennie fut pour elle et ses proches un tournant décisif ; contraints de quitter l’Algérie en 1994, leur départ a engendré un sentiment d’exil et un profond déchirement. Bien que ponctué de retours sporadiques durant les vacances, cet éloignement a durablement marqué son enfance et les adultes qui l’entouraient. «Je ne pense pas que l’on puisse parler de mode, à vrai dire. Il y a eu des textes sur cette période, il y en a, et il y en aura encore. Je trouve cela une bonne chose. A travers Bientôt les vivants, je remarque que cette thématique ouvre des espaces de parole, révélant une véritable demande. Aujourd’hui, je crois que la société algérienne est mûre, pour pouvoir revenir sur cette période douloureuse avec les années passées et avec la distance», a-t-elle indiqué. Ainsi, Bientôt les vivants  s’impose, selon quelques présents, non seulement comme un récit de résilience, mais également comme un espace de mémoire, témoignant d’une quête personnelle et collective pour transcender les blessures du passé.


Dimension cathartique de l’écriture  

L’œuvre d’Amina Damerdji, bien qu’intimement liée à son vécu, n’est pas une simple thérapie personnelle. «Je ne parlerais pas d’une thérapie, mais il est indéniable qu’écrire sur cette période revêt une dimension cathartique», a-t-elle précisé. Selon l’auteure, les épreuves traversées par une génération marquée par les traumatismes dépassent souvent les individus eux-mêmes. Elle a évoqué avec lucidité le comportement de ceux qui, adultes pendant les années noires, ont cherché à enfouir ces souvenirs douloureux afin de poursuivre leur vie. «Ce besoin de taire et d’éloigner le passé est un réflexe sain, nécessaire sur l’instant», a-t-elle expliqué.

 Cependant, c’est à la génération suivante, à celle qui hérite de ce silence, de poser les questions et d’exiger des réponses. Elle ajoute : «Moi-même, à travers ce livre, j’ai voulu dire : Eh oh, j’aimerais comprendre davantage.» Dans un entretien accordé à El Watan en marge de la rencontre, Amina Damerdji a exprimé sa conviction profonde : la littérature intervient précisément là où le langage semble insuffisant, dans ces zones d’ombre où les mots vacillent et peinent à s’imposer. Elle a su, dans son récit, mêler émotions et langue, insérant çà et là des expressions du dialecte algérien, non traduites, et des termes français pour transmettre une intensité émotive unique. 

Le titre même de son roman, Bientôt les vivants, incarne cet espoir qui jaillit d’un terreau de souffrance. Si l’inspiration provient du poème Poussières de juillet de Kateb Yacine, empreint d’un pessimisme profond, Amina Damerdji a su inverser cette tonalité. «Le poème est splendide, mais il porte une négation finale avec n’auront plus où dormir. En retirant cette négation, en ne conservant que bientôt les vivants, on ouvre une voie lumineuse, une perspective d’espoir qui résonne avec la vie des Algériens et Algériennes de cette époque. Je suis profondément admirative de leur capacité à transcender ces grandes douleurs», a-t-elle expliqué. Ainsi, son roman se présente comme un vibrant hommage au peuple algérien, à sa résilience face aux traumatismes et à sa force de dépassement. L’auteure explore également, avec une grande subtilité, les méandres de l’âme humaine. La psychologie, omniprésente dans son œuvre, s’exprime à travers des termes poignants tels qu’«amertume ou agression». Pour Damerdji, l’écriture romanesque est une invitation à plonger dans la complexité des psychologies humaines, bien plus nuancées que ce que reflètent les discours médiatiques, politiques ou même les essais historiques. Elle affirme : «Ce qui m’intéresse en tant que romancière, c’est l’âme humaine, cette alchimie complexe, souvent contradictoire, en perpétuelle évolution.»


L’héroïne combattante 

Après Selma, héroïne déterminée et résiliente de Bientôt les vivants, les lecteurs ont relevé une certaine continuité avec Haydée, figure centrale du précédent roman d’Amina Damerdji, Laissez-moi vous rejoindre. Ces deux personnages féminins ont suscité des interrogations quant à un éventuel lien ou une correspondance entre elles. L’auteure a clarifié : «Haydée et Selma ne sont ni des miroirs l’une de l’autre ni des opposées. Haydée Santamaría appartient à une autre génération, une femme profondément engagée, ayant combattu aux côtés de Fidel Castro. Sa vie s’est structurée autour de la lutte politique, qui était pour elle un véritable moteur.» En revanche, précise-t-elle, «Selma est très différente. Ce qui les rapproche peut-être, c’est leur forte pulsion de vie.» 

Damerdji poursuit en décrivant l’environnement de Haydée, qui est une Cuba pré-révolutionnaire, rongée par la pauvreté et la corruption, où un petit groupe de révoltés a osé défier l’ordre établi, entraînant toute une île dans le tumulte du changement. Selma, quant à elle, n’est pas une combattante politique. Sa résistance se manifeste autrement. Elle s’acharne à trouver des fragments de vie et de beauté dans un univers marqué par l’adversité, notamment à travers sa relation avec son cheval et le lien avec sa famille. Sur le choix d’héroïnes féminines, Damerdji rejette toute idée de contrainte ou de choix délibérément genré : «Ce n’est pas parce que je suis une femme que j’écris sur les femmes. Mais il est vrai que, lorsqu’on crée des personnages, il est parfois plus aisé d’habiter le corps et l’esprit d’une femme lorsque l’on en est une.» Elle souligne cependant que ses romans n’excluent pas les personnages masculins. «Prenez Hicham, l’oncle de Selma : c’est un personnage essentiel dans le roman, parfois traité sur un pied d’égalité avec elle. La littérature permet d’incarner des corps et des âmes très éloignés de nous-mêmes. Je ne m’interdis nullement d’explorer la psychologie masculine, au contraire», a-t-elle révélé. 

Durant l’entretien, Amina Damerdji a également dévoilé son prochain projet littéraire, centré sur la thématique de l’exil. A travers ce fil conducteur, où se mêlent lutte, décennie noire et déracinement, certains pourraient y voir une inclination pour l’autofiction ou une écriture nourrie par son vécu personnel. L’auteure a répondu avec finesse : «Je crois que l’écriture puise dans ce que nous portons de plus cher et de plus essentiel. Ce réservoir émotionnel est une source de puissance créative. 

Cependant, Bientôt les vivants n’est pas un roman autobiographique. C’est une œuvre profondément personnelle, car elle s’appuie sur des émotions et des expériences qui m’ont marquée, sans pour autant relater directement ma vie.» Avec cette capacité à sonder les profondeurs de l’âme humaine et à tisser des récits empreints d’émotions universelles, certains présents ont jugé qu’Amina Damerdji continue d’inscrire son œuvre dans une littérature à la fois intime et engagée, traversée par des figures féminines fortes et résilientes, et ancrée dans une exploration des blessures du passé.
              

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