La visite de Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à Tel-Aviv, à l’invitation des représentants des familles de rescapés de l’attaque du 7 octobre, et sa déclaration à l’issue des rencontres avec ces derniers ont suscité de vives réactions de nombreux militants des droits de l’homme palestiniens. Après l’avoir accusé de «partialité» et d’avoir «trahi son serment professionnel de défense des victimes», ils ont boycotté sa visite en Cisjordanie.
Encore une fois, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), suscite de sévères critiques de la part de nombreux militants des droits de l’homme palestiniens, en raison de sa visite à Tel-Aviv à l’invitation des représentants de sept familles rescapées de l’attaque des combattants du Hamas le 7 octobre dernier, et les propos qu’il leur a tenus à l’issue de ce déplacement, pour le moins intriguant.
En effet, l’Autorité palestinienne avait porté plainte contre Israël, devant la CPI, pour les crimes commis contre la population de Ghaza dès le début des bombardements, il y a deux mois, mais aussi en 2014, mais rien n’a été fait, alors qu’il a suffi que les représentants de sept familles israéliennes, ayant saisi la CPI au début du mois de novembre, l’invitent à Tel-Aviv pour qu’il se déplace sur les lieux pour entendre leur témoignage.
Reprise par les médias locaux, sa déclaration à la fin de cet échange a été pour le moins surprenante. «Je serais hautement incompétent si je ne vérifiais pas les cas d’enfants enlevés dans leurs lits et de rescapés de la Shoah pris en otages», précisant que les familles (qui l’avaient reçu) «n’attendent pas seulement de l’empathie, mais aussi de l’action».
Le procureur a souligné sa «volonté de travailler avec Israël et l’Autorité palestinienne pour les besoins des enquêtes à venir», tout en affirmant qu’une telle coopération n’était pas nécessaire pour mener l’enquête.
La déclaration a été très mal accueillie par des militants des droits de l’homme palestiniens. Ils l’ont exprimé en boycottant sa visite, à Ramallah, en Cisjordanie, parce qu’il était, ont-ils souligné, «plus attentif aux allégations israéliennes de violations des droits de l’homme depuis le 7 octobre». S’exprimant sur la chaîne qatarie Al Jazeera, quatre représentants du mouvement associatif des droits de l’homme n’y ont pas été avec le dos de la cuillère. «C’est une personne indésirable. Il a trahi son serment, fondamental, celui de défendre les victimes.
Il a montré sa partialité avec Israël, Nous doutons de son intégrité. Raison pour laquelle nous avons refusé de le rencontrer. En tant qu’ONG palestinienne, nous avons décidé de ne pas le rencontrer. Nous pensons que la démarche avec laquelle cette visite a été faite montre que Khan ne fait pas son travail de manière indépendante et professionnelle», a déclaré Chaaouane Jabarine, avant de lancer un message à la population civile palestinienne : «Personne ne vous protège dans ce monde. Investissez dans votre force et vos propres moyens.»
Allant dans le même sens, Ammar Dwaik, directeur général de la Commission indépendante des droits de l’homme (CIDH), a estimé que le procureur a «condamné la résistance lors de sa visite à Tel-Aviv, sans oublier que sa présence est venue à la demande des Israéliens alors qu’il a refusé l’invitation palestinienne pour une visite à Ghaza et en Cisjordanie».
Exprimant également son rejet de la visite du procureur à Ghaza, Issam Al Aroui, militant palestinien des droits de l’homme, a tenu à rappeler que «Karim Khan est venu à la demande des victimes israéliennes, alors que les autorités coloniales lui avaient interdit auparavant d’aller à Ghaza et en Cisjordanie ; c’est une déviation de sa mission».
Des propos qui ont fait tache d’huile, même si à Ramallah, où il a été reçu par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et entendu quelques témoignages de victimes palestiniennes, sa visite a été la première pour un procureur de la CPI, et ce, depuis sa création au début de 2000.
A cette occasion, il a affirmé que son bureau «enquêtait sur les allégations de violence des résidents d’implantations en Cisjordanie ainsi que sur d’éventuels crimes de guerre commis par Israël à Ghaza depuis le début de la guerre, le 7 octobre». Dans une intervention sur une chaîne palestinienne, reprise par l’agence officielle Wafa, Khan a voulu arrondir les angles en précisant les raisons de sa visite à Ramallah, sans toutefois revenir sur ses propos tenus à Tel-Aviv.
«J’ai exprimé mon inquiétude face à la violence des colons qui tuent des Palestiniens innocents. C’est une question que j’étudie, et Israël, l’autorité occupante, doit punir ces colons. Mon message est très clair concernant les attaques des colons contre les Palestiniens, c’est que nous enquêtons et faisons des progrès. Toute personne active dans ce domaine doit respecter la loi, et si elle ne la respecte pas, elle ne devrait pas se plaindre à l’avenir car nous la poursuivrons de manière professionnelle».
Karim Khan tente d’arrondir les angles
Sur les lenteurs de l’enquête, le procureur a dit comprendre «la déception des gens, mais je dois prouver ces faits avec des preuves, et j’accélérerai le processus, mais ce n’est pas une affaire oubliée, c’est le cas le plus important dans mon bureau, et il a de l’importance pour d’autres cas».
Khan n’a pas commenté son interdiction d’entrer à Ghaza, par Israël, et s’est contenté de qualifier de «bonne nouvelle» qu’il soit «le premier procureur à réussir à arriver en Palestine depuis 20 ans, et je crois que c’est une étape très importante dont nous devons profiter».
Il a néanmoins tenté de justifier le retard mis dans l’enquête officiellement ouverte en 2019 en affirmant : «J’ai commencé mon travail en 2021 et il n’y avait pas d’équipe pour la Palestine, j’ai donc formé cette équipe, et il y a des ressources disponibles pour travailler avec cette équipe. Maintenant, la visite en Palestine et en Israël a eu lieu. Nous devons aller de l’avant, car les gens ne veulent pas entendre des mots, mais veulent voir les choses se produire sur le terrain, que ce soit de la part de la Cour ou de l’ONU.»
Pour ce qui est de l’équipe dédiée à cette enquête (avait-il annoncé en recevant les plaintes contre Israël au mois de novembre dernier), il s’est montré prudent. «Je ne commenterai pas une enquête en cours, c’est mon travail en tant que procureur, car il y a des questions liées à la confidentialité et à la préservation des preuves depuis que j’ai pris mes fonctions (…).
J’ai été très prudent lorsque j’étais au terminal de Rafah. J’ai dit clairement que l’aide humanitaire devait entrer, et je l’ai dit clairement devant tout le monde et à la vue de tous. J’ai dit que cette aide devait entrer parce que ne pas y entrer est un crime (…). Les gens ressentent de l’anxiété et de la douleur, et c’est leur droit. Beaucoup de sang a coulé à Ghaza, et il y a des enfants sans eau, et d’autres subissent des opérations sans anesthésie.
Cela me rend très triste, et chaque personne qui regarde ces scènes aura également ces sentiments émus, mais je ne peux pas compter sur les émotions. Je m’appuie sur des preuves et c’est ce que je fais. Depuis que j’ai pris mes fonctions, je veux accélérer cette enquête et établir des partenariats avec d’autres afin que justice soit rendue, car c’est important pour nous et pour moi, en tant que fonctionnaire de ce tribunal (…).
La vie de chaque personne est importante, les citoyens doivent être protégés et non être tués lors de ces événements, et je suis très clair. En tant que procureur de ce tribunal, Israël doit respecter la loi, et s’il n’y est pas obligé, il ne doit pas se plaindre à l’avenir. La justice est un droit pour nous tous.»
Malgré le fait que ces déclarations tranchent quelque peu avec celles faites à Tel-Aviv, elles n’ont cependant pas atténué la colère des militants des droits de l’homme palestiniens, qui voient en lui «un procureur partial».
Surtout que de nombreux experts du droit, notamment l’ancien procureur de la CPI (2002-2012), avaient clairement déclaré que «le seul fait qu’Israël impose un blocus à Ghaza constitue en lui-même un génocide, car il engendre les conditions propices à la destruction d’une population, une intention affirmée par les responsables israéliens eux-mêmes, et ce, en vertu des articles 2C et 6C de la Convention de Genève», alors que Karim Khan ne s’est pas autosaisi, lui qui a constaté de visu l’interdiction d’accès de l’aide humanitaire à Ghaza, au moment où la population était privée d’eau, d’électricité, de vivres et de carburant.
Le procureur de la CPI a encore beaucoup à faire pour rassurer toutes les victimes désabusées surtout avec le sort imposé à sa prédécesseure, Fatou Bensouda, sanctionnée par les Etats-Unis, et interdite de voyager dès l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre commis par les troupes américaines en Afghanistan.