Le président Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé, samedi, pour la première fois devant des médias nationaux depuis sa réélection pour un second mandat, le 7 septembre dernier. Il est revenu sur la relation entre Alger et Paris, qui connaît un net refroidissement depuis quelques semaines.
Le président Abdelmadjid Tebboune répond à la polémique suscitée, ces derniers jours en France, autour de l’accord de 1968. Mené par des acteurs de la droite et de l’extrême droite, avant d’être saisi par le nouveau gouvernement français, ce débat récurrent n’a d’objectif, selon le chef de l’Etat, que d’éloigner l’échange sur les vrais contentieux historiques entre les deux pays.
Dans une interview avec des journalistes, diffusée samedi soir par la télévision nationale, Abdelmadjid Tebboune cite le dossier pendant de la décontamination des sites où avaient eu lieu les essais nucléaires et chimiques français en Algérie (1960-1966). «Ce sont des contrevérités, et ils le savent (les responsables français, ndlr)», affirme le président Tebboune, invitant le gouvernement français à aborder les «sujets sérieux». «Si vous voulez aborder les sujets sérieux, venez nettoyer les sites où vous avez effectué des expériences nucléaires.
Il y a encore des gens qui meurent et d’autres sont impactés. Vous êtes devenus une puissance nucléaire et nous, nous avons eu les maladies. Venez nettoyer Oued Namous, où vous avez développé vos armes chimiques. Jusqu’à présent nos moutons, nos chameaux meurent après avoir mangé de l’herbe contaminée. C’est cela la vraie question. Elle ne réside pas dans un faux débat sur l’accord de 1968», martèle-t-il. Ce faisant, le président Tebboune accuse la France de refuser de décontaminer ces sites depuis l’indépendance de l’Algérie. «C’est 60 ans de négociations, à chaque fois, ils avancent un argument», affirme le chef de l'Etat.
Pour rappel, le Premier ministre français, Michel Barnier, a relancé, la semaine dernière, le débat sur la révision de l’accord de 1968. Le 1er octobre courant, le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, lui a emboîté le pas en arguant que «l’accord est déséquilibré, très avantageux pour l’Algérie, très désavantageux pour la France». «On doit avoir le courage de le mettre sur la table», avait-il déclaré sur le plateau de LCI.
L’accord de 1968 est «une coquille vide»
Qualifiant cet accord «d’épouvantail», le président Tebboune précise qu’il est devenu une «coquille vide». «L’accord de 1968 est venu pour restreindre les Accords d’Evian qui ont institué la libre circulation des personnes entre les deux pays. Les Européens sont partis, la France a exprimé ensuite son désir de stopper le flux migratoire, nous avons dit d’accord. Il y a eu une révision en 1985, puis en 1995 et en 2001. Son contenu a été vidé. Il est devenu un slogan politique qui est fait pour réunir leurs extrêmes», rappelle-t-il.
Le chef de l’Etat soutient, dans ce sens, que «cet accord est l’étendard derrière lequel marche l’armée des extrémistes» qui cherche «la revanche». «Ils se trompent, et nous n’allons pas entrer dans ces futilités (…). C’est une minorité haineuse qui cultive la haine, qui veut salir l’Algérie. Ils n’y arriveront pas. L’accord de 1968 est une coquille vide. Cette minorité raciste oublie que 60% de notre communauté en France sont des binationaux», précise-t-il.
Evoquant la question de la mémoire, Abdelmadjid Tebboune indique que le travail de la Commission mixte d’historiens algériens et français a été impacté par les déclarations politiques. Il insiste, dans la foulée, sur la reconnaissance des crimes coloniaux. «L’Algérie a été choisie pour le vrai grand remplacement, qui est de chasser la population locale pour ramener la population européenne et combattre l’islam pour christianiser l’Algérie et en faire une terre européenne... On ne peut effacer l’histoire», lance-t-il, rappelant que «l’Algérie était un Etat avant l’invasion française en 1830».
«La résistance a duré 70 ans, avec des millions de morts. Des tribus et des villages ont été rasés. Il y a eu un génocide. On demande la vérité historique. Nous demandons une reconnaissance des crimes coloniaux. J’ai convenu avec le président Macron de refonder les relations. L’Algérie n’était pas un protectorat. Il ne faut pas falsifier l’histoire», insiste le président Tebboune. Poursuivant, il laisse entendre que sa visite à Paris, programmée pour le début de ce mois, n’aura pas lieu. «Je n’irai pas à Canossa», dit-il.
Le chef de l’Etat évoque également la tension diplomatique avec la France. Il fait remarquer que la reconnaissance par Emmanuel Macron du «plan marocain d’autonomie» comme la «seule base de règlement du conflit au Sahara occidental dans le cadre de la prétendue souveraineté marocaine va à l’encontre du respect du droit international et du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la France est membre permanent». «Annoncer publiquement l’acceptation du ''plan d’autonomie'' alors que le dossier du Sahara occidental se trouve au niveau de la commission de décolonisation de l’ONU, sachant que la France est membre du Conseil de sécurité, participe de la politique de deux poids deux mesures», déplore-t-il.
«Le peuple marocain est un peuple frère»
Sur une question concernant la décision de rétablir le visa pour les étrangers détenteurs du passeport marocain, le président Tebboune affirme que «celle-ci a été prise par mesure de sécurité», puisque, ajoute-t-il, «il y a des doutes que des espions utilisent cette brèche pour entrer en Algérie». Mais le chef de l’Etat dément toutes les rumeurs «sur la prétendue volonté de l’Algérie d’expulser tous les Marocains travaillant en Algérie». «C’est faux. Le peuple marocain est un peuple frère», explique-t-il.
Sans s’attarder sur le rejet de la demande algérienne d’adhérer au club des BRICS, il assure que «nous ne songeons pas à rejoindre les BRICS+, notre attention se porte sur notre adhésion à la Banque des BRICS, qui n’est pas de moindre importance que la Banque mondiale». Soulignant que l’entrée dans l’actionnariat de cette banque à hauteur de 1,5 milliard de dollars se fera par étape, Abdelmadjid Tebboune estime que «cette adhésion renforce le rôle de l’Algérie en tant que pays émergent». Concernant les relations entre l’Algérie et la Russie, il indique que «ce sont des relations d’amitié et d’intérêts mutuels, caractérisées par des liens profonds et historiques».