La transformation rapide de la situation géopolitique et économique du monde s’accélère d’une situation unilatéraliste et hégémonique vers une gestion multilatéraliste des relations internationales et de l’économie mondiale. C’est donc une opportunité à saisir pour les pays émergents, de profiter de toutes les possibilités pour améliorer leur situation personnelle mais également pour développer leur relations économiques et financières, entre eux et avec les nouveaux acteurs qui se manifestent sur le marché mondial.
Profondeurs stratégiques et mondialisation
Deux concepts s’affrontent depuis le début du partage du monde entre puissances et empires, et notamment de l’Afrique toujours considérée comme un continent pourvoyeur de matières premières et un débouché pour les produits manufacturés des puissances occidentales. Cette logique est née du pacte colonial, négocié entre les empires coloniaux (France, Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Portugal…) et qui consiste à dépecer l’Afrique, en particulier, en propriétés sous divers contrats (colonies, protectorat, rattachement directe). Le mouvement mondial de décolonisation des années 1950 et 1960 va permettre la transformation du pacte colonial en une autre forme de colonialisme (néocolonialisme) à travers le concept plus soft, dit de «profondeur stratégique», mais qui est, en fait, un droit de regard sur les politiques intérieure et extérieures des anciennes colonies. C’est ainsi que sont nées les «zones d’influences», qui se sont traduites par des marchés captifs.
La vague de mondialisation qui a déferlé au cours des années 1990 va remettre en cause les concepts de «profondeurs stratégiques» et de «zones d’influences», au profit d’un marché mondial total où seules les lois du marché s’appliquent en dehors de toutes segmentations de marché. Prônée par les USA, cette politique dite de mondialisation va tenter de faire tomber tous les obstacles qui faussent la concurrence «pure et parfaite». A cette fin, l’OMC (ancien GATT) va jouer un rôle majeur dans le démantèlement des barrières tarifaires, sanitaires et phytosanitaires pour créer un espace homogène de commerce, pour écouler les biens et services, en particulier, des pays occidentaux et des pays émergents.
La confrontation entre ces deux logiques va remettre en cause les avantages nés du partage des parts de marché entre les puissances économiques qui vont s’empresser de construire de nouveau concepts comme ceux développés par l’UE, à travers les accords d’association signés notamment avec les pays africains, sans permettre l’émergence d’une même structure entre pays africains. Le concept de mondialisation a fini par s’imposer au détriment de celui des profondeurs stratégiques, en repli dans tous les continents.
Du développement intra-africain et de ses contraintes
Le développement intra-africain n’a que très peu évolué, comparé aux relations économiques et commerciales entre pays africains, demeuré marginal, compte tenu des infrastructures de soutien (les routes, les ports, aéroports et autres moyens de transports) et des entreprises locales capables de le développer. La réorientation des infrastructures devient un enjeu vital pour les pays de la région mais nécessite de lourds investissements dont ne disposent pas ces pays, en général. Seules des institutions financières multinationales (BAD, Badea, BID, BIRD, Fades…) peuvent intervenir dans ce contexte pour pallier le manque d’investissements dans ce secteur.
Pour accompagner ce développement, le commerce et les services intra-africains sont indispensables dans tous leurs compartiments (assurances, expertises, établissements bancaires spécialisés, banques de données, foires, expositions, zones franches…). Cette action devra avoir pour objectif de démanteler le marché triangulaire en priorité.
Pour permettre le développement, un instrument de financement approprié aux pays de la région doit être promu de manière à sortir du système en place qui met les pays dans l’impossibilité de trouver les garanties nécessaires à la mobilisation des ressources extérieures. L’apport des nouveaux pays (Chine, Turquie, Russie, Brésil…) dans la région est donc indispensable pour assurer l’irrigation financière des pays de la région.
Pour une politique de développement intégrée de la région
Les pays du Maghreb et ceux sahélo-sahariens ont tout intérêt à mettre en œuvre des politiques d’intégration de leur économie dans la mesure où ils disposent de frontières communes et problèmes semblables (infrastructures, ingénierie, capacités financières, management…).
D’un autre côté, ils disposent de matières premières (mines, énergie, main d’œuvre, eau, foncier agricole…) qui ne demandent qu’à être valorisées afin d’éviter de les vendre brutes. Cela nécessite une politique intégrée entre eux, pour permettre une stratégie à moyen et long termes, capable de faire émerger des complémentarités régionales.
Le développement régionalisé nécessite une stratégie horizontale à moyen et long termes qui s’appuiera sur les potentialités de chaque pays et leur capacité de transformation aux fins de valorisation. Le développement horizontal consiste à toujours privilégier les pays de la région dans le cadre d’une vision stratégique. Il nécessite une mutualisation des moyens de tous les pays, pour les projets communs et l’échange d’expériences et d’expertises acquises. L’identification et la prise en charge des dépendances multiples (alimentaire, technologique, ressources humaines qualifiées…) afin de les réduire, doit être un objectif stratégique pour la préservation des populations, la réduction des flux migratoires et en particulier des élites, la stabilité sociale et la prospérité partagée. L’émergence de nouveaux acteurs dans la région est une chance pour capter leurs multiples capacités et les investir dans la région.
Cette stratégie nécessite une révision complète des stratégies de développement mises en œuvre jusqu’à présent et qui ont pratiquement échoué à sortir la région de l’instabilité politique, de la décroissance, de l’émigration et de la paupérisation des populations. La concertation entre les pays de la région doit être construite sur un pacte gagnant-gagnant, qui assure à chaque pays une part appropriée de bien-être pour les populations.
Par le Dr Mourad Goumiri