Le monde du travail en Algérie face aux difficultés du dialogue social et des libertés syndicales : Quel bilan social peut-on tirer de ces décennies de lutte ouvrière ?

14/05/2022 mis à jour: 00:10
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Illustration : Saâd/El Watan (archives)

«Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir.» Ferdinand Foch, académicien français.

Le 1er Mai est un des événements les plus déterminants dans l’histoire du monde du travail, vu que la fête du travail est largement célébrée à travers le monde par des marches pacifiques de grande envergure. Incontestablement, la fête du 1er Mai est donc historiquement un jour, symbolisant la lutte pour l’émancipation sociale, notamment une journée de célébration des combats des travailleuses et travailleurs. 

En Algérie, ce jour est traditionnellement et essentiellement marqué par de forts enjeux politiques exprimés par des meetings et des réceptions. Nous ouvrons une parenthèse historique nécessaire. Et là pour rappeler et rendre hommage aux combats passés, notamment de ceux qui ont rendu au pays ses lettres de noblesse dans l’histoire de la patrie, du devoir et de la démocratie dans la longue lutte ouvrière comme ceux des militants syndicaux du Zaccar, Boucaid, l’Ouenza, les ouvriers des forges, des dockers d’Alger et des martyrs du devoir Aïssat Idir, le père fondateur du syndicalisme, le martyr de la Révolution et le premier secrétaire général de l’Union générale des travailleurs (UGTA) en 1956. 

Et tant d’autres martyrs de la République, notamment ces grands hommes et militants-syndicalistes d’honneur de la tragédie nationale des années 1990, entre autres Abdelkader Benhamouda, secrétaire général de l’UGTA, Kacemi Ahmed, secrétaire national de l’UGTA et des milliers de talents et d’élites de grande qualité qui ont donné leur vie, dont des chercheurs, journalistes, intellectuels, ingénieurs, artistes, médecins, écrivains, professeurs, enseignants, cadres supérieurs, etc. 

On ne peut que s’en réjouir aujourd’hui de leur combat et de leur sacrifice pour sauver la République et l’Algérie que nous dédions cette modeste contribution pour que nul n’oublie. Par ailleurs, aussi il est important de marquer un moment historique, pour rappeler les vraies valeurs du travail dans notre pays, notamment les défilés des années 1970, symboles de la production représentant tous les secteurs d’activité, qui ont disparu de notre paysage socio-économique, ceux ou celles des travailleuses et travailleurs qui avaient l’ambition de faire marcher un pays, par eux-mêmes, par leurs propres efforts honnêtes et dédiés à la patrie. 

Oui, ils ont grandement milité dans la bataille du développement économique national pour réponde aux impératifs majeurs de l’Algérie indépendante, après avoir empêché, notamment la paralysie de l’Algérie après le départ massif des cadres européens et avoir préservé et valorisé le patrimoine public au service de la collectivité nationale. 

C’est une vraie révolution du travail, et du patriotisme économique qui a vu en 14 ans la naissance d’une industrie nationale composé de diverses technologies à la faveur de la nationalisation des hydrocarbures dans les domaines de l’électronique, la sidérurgie, la mécanique, la chimie, la fabrication de pièces et d’équipement industrielles, les chantiers navals, l’énergie et la pétrochimie, l’industrie pharmaceutique, l’industrie du tourisme, la mise en valeur des terres et la modernisation du secteur agricole en grande exploitation agricole, industrie cinématographique (Oncic), télécommunications, informatique, nucléaires, presse écrite et audiovisuelle (nationale et régionale), Institut Pasteur, Barrage vert qui inspire aujourd’hui une grande expérience dans la lutte contre la désertification, industrie du ciment et matériaux de construction… 

D’ailleurs, ce qui a permis aussi à l’Algérien de consommer made in Algeria, car presque tout était fabriqué chez nous, fruit d’une politique industrielle des années 1967-1970. La part de la production industrielle annuelle était autour de 18 à 25% du PIB, contre 5% actuellement. 

Oui, l’Algérie s’est classée après l’Espagne, alors que le pays était à l’époque très loin de connaître l’aisance financière pétro-gazière, dont allait bénéficier l’Algérie en 1980, 1984 et depuis 2000. Cette génération post-indépendance a été à l’avant-garde du pays à tout point de vue qui a choisi de rester au service du pays et en faisant honneur à l’Algérie qui a affiché sa supériorité de force économique, politique. L’on parlait d’âge d’or, de la médecine algérienne et de l’enseignement universitaire à l’échelle régionale où on accueillera des malades et étudiants universitaires du monde arabe, de l’Afrique, du Tiers-Monde, du Maghreb, voire même des responsables et chefs d’Etat d’Afrique.

C’était un fait marquant et témoin de l’engagement d’une génération de militants, d’intellectuels, de cadres, de fonctionnaires et de travailleurs de combat très attachée aux repères patriotiques au service réellement de l’Algérie indépendante qui ont empêché notamment la paralysie de l’Algérie après le départ massif des cadres européens. 

Ils ont été d’un apport indéniable au développement national, notamment ont su changer la donne et s’imposer comme acteurs-clés dans le processus de nationalisations et de développement national après avoir préservé et valorisé le patrimoine public. Ils ont apporté la preuve de leur sacrifice dans la douleur de leur jeunesse, se passant d’une vie meilleure ailleurs en travaillant sans répit et dans des conditions des plus pénibles, une charge de travail insupportable par manque d’effectif et de qualification sans pour autant prétendre au moindre avantage ou profiter de leurs postes.

L’impératif est donc de construire un appareil productif et une organisation efficace pour répondre à la demande intérieure qui est en perpétuelle croissance, et espérer ensuite pour pouvoir exporter l’excédent. C’est tout l’enjeu futur afin de garantir à chaque Algérien un emploi et un revenu stable. En effet, ce n’est que par les valeurs du travail que nous saurons dépasser la crise et relancer l’économie nationale pour faire face aux retombées sociales extrêmement difficiles du moment, à laquelle la classe ouvrière et moyenne est confrontée aux dures réalités de la vie. 

En effet, depuis 2012, les salaires n’ont pratiquement pas évolué significativement et que la précarité de l’emploi et l’érosion du pouvoir d’achat continuent. Qui plus est, les travailleurs sont les premiers contributeurs dans le budget de l’Etat. En 2018, selon les statistiques l’IRG sur les salaires représentait 26% de la fiscalité ordinaire, contre seulement 15% pour l’IBS des entreprises et 3,5% pour l’IRG des non-salariés (professions libérales, commerçants, agriculteurs et autres)

De nos jours, il est bien admis que ce n’est plus l’exploitation de l’homme par l’homme qui est à craindre, mais l’exclusion, individuelle ou collective. En effet, le paysage syndical algérien est sous les signes de tensions sociales face à une conjoncture économique inquiétante marquée par la cherté de la vie, où le pouvoir d’achat a diminué de près de 60%, selon les statistiques. En effet, les salaires et retraites, sont aujourd’hui, trop bas socialement et trop élevés économiquement pour les entreprises, voire même pour la puissance publique qui est l’Etat. La population active en Algérie est évaluée à 12 millions et un peu plus de 3 millions de retraités, dont la majorité a un revenu inférieur à 30 000 DA par mois et consacrent 80% en moyenne de leurs revenus à l’alimentation, soins médicaux, habillement et l’électroménagers.

Dans les pays démocratiques, les citoyens et les organisations syndicales et professionnelles jouissent généralement du droit à plus de libertés syndicales et d’expression, notamment de discuter du système social, économique et politique. Rien dans ces pays ne peut échapper au débat contradictoire. Cela n’empêche pas que ces pays de demeurer stables et de vivre dans une harmonie économique et sociale. L’une des règles d’or de ces pays, symbole de richesses et d’évolution des sociétés dans le monde où les enjeux économiques sont davantage construits autour des ressources humaines et des intelligences.

Brièvement, l’origine du 1er Mai remonte à 1886, lorsque des ouvriers américains, tout particulièrement à Chicago, se sont mis en grève générale pour demander entre autres la réduction de leur temps de travail. L’initiative a dégénéré en affrontements et a coûté la vie à plusieurs ouvriers. En effet, cette grève laissera des traces douloureuses, mais les grévistes seront toutefois entendus dans leurs revendications. Ainsi, le 1er Mai est un des événements les plus déterminants dans l’histoire du monde du travail qui fut une grande date dans le processus du mouvement ouvrier dans le monde. 

En effet, le mouvement ouvrier international a alors décidé en 1889 de faire du 1er Mai une journée revendicative internationale, avec pour objets centraux la question du temps de travail et la journée de 8 heures. Le 1er Mai célébré en tant que tel date de 1890.

L’histoire du mouvement ouvrier en Algérie, en bref

Pour contrecarrer la CGT, une commission syndicale (ouvrière) avait été créée au sein du MTLD sous la présidence de l’ancien cégétiste et nationaliste Aïssat Idir, premier secrétaire général de l’UGTA. Dans les années 1950, le Mouvement syndical algérien a atteint le terme de son évolution avec la création, en 1954, de l’Union générale des syndicats algériens (UGSA), d’une part, et la création, en 1956, de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), d’autre part. Les militants de l’UGTA ou même ceux de l’UGSA, contraints eux aussi à l’activité clandestine, vont connaître plus de répression. Beaucoup ont connu l’emprisonnement, la torture et même la liquidation physique comme cela a été le cas pour Aïssat Idir.

Face aux difficultés du dialogue social et des libertés syndicales, il y aura encore des grèves et encore du retard puisque ces grèves sont déclarées illégales et les grévistes encore et de plus en plus persuadés que leur grève est juste. Au-delà des revendications socioprofessionnelles légitimes qu’il pourrait y avoir d’apprécier sainement, la situation actuelle est de s’engager dans le travail de manière à faire en sorte que notre bien commun qui est l’Algérie nouvelle renoue véritablement avec la croissance économique hors hydrocarbures.

Cette liberté requiert cependant de tous nos travailleurs de veiller à ce que la défense légitime et vigilante de leurs droits ne s’exerce point au détriment de l’observation effective et régulière de leurs devoirs et obligations. Il ne passe pas, en effet, un jour où la presse ne rapporte pas des mouvements de protestation qui occupent le terrain des revendications sociales face à la stagnation des salaires et l’inflation à travers des marches, grèves cycliques et illimitées qui durent depuis des années tant du côté du secteur administratif, santé, enseignement que du secteur économique. 

Le 1er mai 2022, l’occasion pour soumettre à débat les questions sociales et économiques, en consacrant la place des syndicats comme partenaires sociaux comme souligné plus haut. 

C’est tout l’enjeu de l’avenir de notre développement socioéconomique harmonieux, à savoir, selon les statistiques en 2018, le rapport de la masse salariale rapporté au produit intérieur brut est inférieur à 30%, contre plus de 45% à la fin des années 1970 et dépassant les 65% pour les pays développés et émergents. 

Ce ratio indique que les travailleurs reçoivent 65% des richesses créées par le secteur économique  ; les salaires demeurent tirés vers le bas par l’érosion de la monnaie nationale et l’inflation généralisée ; la revalorisation des pensions de retraite jugées en inadéquation avec l’évolution du coût de la vie. 

En effet, la revalorisation annuelle des pensions de retraite, se situant entre 2 et 10 %, demeure encore insuffisante, d’où la nécessité de revoir les niveaux actuels des salaires et pensions de retraite à la hausse étant donné que la majorité a un revenu inférieur à 30 000 DA par mois ; de revoir le taux de perception pour les salariés et d’exempter les retraités de cette forte imposition de l’IRG ou du moins appliquer selon la méthode du net imposable un abattement de l’équivalent du SNMG, sur les salaires et pensions de retraites se situant entre 31 000 et 100 000 DA. 

En effet, l’impôt sur le revenu global (IRG) pénalise aujourd’hui lourdement le pouvoir d’achat des salariés au même titre que les retraités  ; l’urgence de la réforme du système de sécurité sociale et retraite qui enregistre un énorme déficit structurel, voire encore une personne ayant eu sa retraite en 1996 et une autre en 2012, ayant assumé la même fonction dans la même entreprise, n’ont pas la même pension, puisque cette dernière est calculée sur la base du salaire touché par chacun. Et enfin, rendre le travailleur actionnaire dans son entreprise, l’objectif étant l’intéressement et leur participation aux fruits du développement.

Par M’hamed Abaci
Financier et auteur de deux ouvrages sur la comptabilité et l’information de gestion et statistiques,
cadre de la bonne gouvernance des entreprises

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