Sans retraite et sans logement, des journalistes correspondants terminent leurs carrières dans le dénuement.
L’aspect social de cette frange de la corporation de la presse nécessite vraiment d’être abordé étant donné qu’il révèle certaines choses qui donnent le tournis puisqu’on ne parle jamais ou que rarement des conditions de vie des journalistes exerçant dans les régions. «Il y a des journalistes qui ont travaillé plus de 30 ans, mais ils terminent leurs carrières sans retraite et sans logement. Ils vivent dans une situation très difficile.
C’est de l’ingratitude», lâche un journaliste qui, après avoir fait partie d’une rédaction centrale à Alger, exerce actuellement son métier à Tizi Ouzou. Il cite, entre autres, le cas du journaliste sportif Salem Klari qui est décédé récemment. Journaliste de région, «localiers», correspondant, collaborateur ou pigiste.
Chacun comment il l’appelle. «Vous travaillez à Alger ou bien vous êtes juste
pigiste ?». Cette question revient souvent sur les lèvres de tant de gens, que ce soit dans l’administration ou bien dans les couvertures de terrain. Et pourtant, les journalistes de la wilaya de Tizi Ouzou produisent des contenus pour plusieurs rubriques de leurs titres.
Ils arrivent souvent à imposer leurs articles même en Une de journaux compte tenu de l’importance des événements de dimension nationale qui se produisent dans la région. Ils exercent trop souvent sous la pression afin d’éviter tout «ratage». Ils assument une grande responsabilité dans le traitement d’une information car ils sont très proches de leurs lecteurs. Ils vivent dans la même angoisse chaque jour.
Il est, d’ailleurs, important de souligner, en outre, que la wilaya de Tizi Ouzou, avec ses 67 communes (plus de 1 500 villages), demeure la région la plus médiatisée après la capitale, Alger, et ce, compte tenu des événements qui se déroulent dans cette wilaya (culture, sport, politique, social, économie, histoire, information de proximité…).
Pratiquement, chaque jour, tous les journaux consacrent, au moins, un article à cette wilaya où il y avait plusieurs bureaux de journaux et environ 200 représentants de titres de presse. Cependant, ces dernières années, nous constatons que le nombre de journalistes ne cesse de baisser dans la wilaya de Tizi Ouzou. Même si la profession de journaliste conserve un certain attrait auprès des jeunes, la relève n’est pas assurée dans la presse écrite.
La concurrence effrénée avec les médias lourds se traduit par un engouement pour l’audiovisuel. Plus de 60% des «localiers» qui ont exercé, notamment durant la période de 2010 à 2023, ont cessé leur activité journalistique. Certains après la disparition de leurs journaux, d’autres ont quitté la région. Il y a même ceux qui ont changé de domaine d’activité.
La fermeture des journaux comme Le Temps d’Algérie, La Dépêche de Kabylie, La Tribune, El Mihwar et Liberté n’ont fait qu’augmenter le nombre de chômeurs dans la région. Les salariés de certains quotidiens fermés ne peuvent même pas aller chercher un autre boulot. Ils sont toujours en litige avec leurs employeurs pour réclamer leurs droits.
Aussi, la diminution des tirages a conduit les entreprises à réduire toujours davantage les coûts en personnel. «Les correspondants permanents affectés dans la wilaya touchent de maigres salaires», constate un autre confrère. «A l’exception du secteur public où les salaires sont revalorisés depuis maintenant plus de dix ans, la rémunération de certains «loclaiers» est aux alentours du Smig (salaire minimum garanti). Oui.
Il y a des journalistes permanents qui touchent 22 000 dinars. Cela sans parler des collaborateurs qui assurent régulièrement des couvertures pour leurs quotidiens avec 12 000 à 15 000 dinars par mois alors que ces journaux disposent, chaque jour, de trois à quatre pages de publicité institutionnelle.
Contrairement à leurs confrères des rédactions centrales, les journalistes des régions sont toujours délaissés et parfois carrément ignorés par leurs employeurs», ajoute-t-il tout en déplorant l’absence de l’avancement des carrières des «localiers» qui n’a, dit-il, jamais été à l’ordre du jour tout comme les œuvres sociales.
«J’ai travaillé dans un journal pendant plus 20 ans et je n’ai appris que l’employeur accordait des crédits pour l’achat de logement et de véhicule qu’une fois l’entreprise fermée. Alors que d’autres collègues en ont bénéficié sans le moindre bruit.», raconte-t-il avec une grande déception.
Un autre journaliste, dont le journal a cessé aussi de paraître il y a quelques années, estime qu’il y a des confrères abandonnés carrément par leurs patrons et même par les syndicats de la corporation. «Souvent, la loi n’est jamais respectée concernant l’évolution des carrières, la sécurité sociale, les droits des salariés de journaux alors que tout le monde sait que le journaliste de région effectue un véritable travail de terrain.
Il est quotidiennement à la recherche de l’information à transmettre à la rédaction centrale», déplore-t-il tout en imputant aussi la responsabilité aux services concernés de l’Etat qui sont défaillants dans leur mission d’agir pour obliger les patrons de presse à respecter les droits de leurs employés surtout concernant ceux liés aux salaires et à la sécurité sociale. «Le métier de journaliste est difficile et même exposé à des risques, mais on trouve des éditeurs de presse qui n’assurent pas une couverture sociale à leurs employés.
Ces derniers couvrent des événements et même des visites officielles. Un journaliste affecté à Tizi Ouzou a travaillé plusieurs années pour un quotidien mais, il ne s’est rendu compte qu’il n’a pas de couverture sociale qu’une fois qu’il a présenté un arrêt de travail de plus d’un mois à son employeur en raison d’une fracture qui l’a cloué au lit pendant des semaines», nous témoigne-t-il.
Même l’association des journalistes et correspondants de la wilaya de Tizi Ouzou (AJCTO) qui sert de cadre organisé pour la corporation est en veilleuse depuis plusieurs années. Et pour cause, le dossier de son renouvellement déposé aux services de la DRAG, en 2019, est toujours bloqué.