Loin des yeux mais pas loin du cœur. Basé sur la Croisette pour une douzaine de jours, l'acteur-réalisateur-auteur Paul Dano (The Fabelmans) et membre du jury décernant la palme d'or a apporté son soutien inconditionnel à la grève des scénaristes qui est en train de mettre Hollywood à l'arrêt.
«Ma femme prend part au piquet de grève avec notre bébé de six mois collé à sa poitrine et je vais les rejoindre quand je partirai d'ici», a promis l'acteur de 39 ans, compagnon à la ville de la comédienne et scénariste Zoe Kazan (She Said). Cette réponse ferme et sentimentale a valu à Paul Dano un tonnerre d'applaudissements mardi après-midi en salle de presse.
Le président du jury, le réalisateur suédois deux fois palmé Ruben Östlund, n'était pas en reste. «Je pense que c'est super que des gens aient un sentiment collectif suffisamment fort pour pouvoir se mettre en grève», a déclaré le maestro de Sans filtre et The Square. «C'est comme cela que vous pouvez changer vos conditions de travail. Je suis définitivement... Oui, allez-y !», a insisté celui qui se définit régulièrement comme «marxiste».
Le double bouleversement du streaming et de l'intelligence artificielle
Des milliers de scénaristes de télévision et de cinéma américains appartenant à la guilde des scénaristes (WGA) ont débuté le 2 mai un mouvement de grève en raison de l'échec des négociations avec les principaux studios et plateformes portant sur une hausse de leur rémunération et des garanties minimales pour bénéficier d'un emploi stable. Sans oublier une plus grande part des bénéfices générés par l'essor du streaming. Ils réclament aussi un encadrement du recours à l'intelligence artificielle pour élaborer des scénarios.
Côté petit écran, le nombre d'épisodes par saison a drastiquement fondu. Le modèle dominant de 22 volets par an se fait rare, supplanté par les miniséries de 8 à 10 épisodes. Les contrats sont plus courts, les salles d'écriture réduite à leur strict minimum. Les membres les moins expérimentés ne sont plus invités à superviser les tournages, ce qui était le meilleur moyen de gravir les échelons et de viser à terme un poste de showrunner.
Les studios semblent craindre une grève de longue ampleur
L'impact le plus immédiat de ce mouvement social, qui interdit tout travail sur un script en cours d'élaboration et toute retouche sur un scénario déjà en tournage, s'est fait sentir sur les talk-shows américains et les émissions de divertissement à sketch comme «Saturday Night Live». Plusieurs cérémonies, notamment les Tony awards (l'équivalent américain de nos Molières), ont annulé leur remise de prix. Toutes les séries en préproduction sont à l'arrêt. Comme l'emblématique Stranger Things. Ses créateurs les frères Duffer ont annoncé que le tournage de l'ultime saison, prévue en juin, est repoussé sine die et ne reprendra qu'à la cessation de la grève.
Si la grève se poursuit cet été, les effets à long terme seront palpables sur les fictions et les films qui auraient dû sortir en fin d'année. Signe que les studios s'attendent à un bras de fer de longue haleine, la chaîne ABC a dévoilé une grille de rentrée ne comptant aucune série et a bouché les cases avec de la télé-réalité. Le retour des sagas phare du network comme Grey's Anatomy est reporté à janvier 2024. Si cela se confirme, cela signifie une saison tronquée et raccourcie pour ses auteurs et ses comédiens.
Le mouvement de la WGA suscite pour le moment une relative unité. Les acteurs via leur syndicat -la SAG- participent aussi aux rassemblements et apportent nourriture et rafraîchissements aux scénaristes qui manifestent quotidiennement devant les studios. Il faut dire que la SAG renégociera son contrat avec les studios et les producteurs dans quelques semaines à peine, le 7 Juillet, et surveille de près les avancées que pourrait arracher la WGA. La guilde des réalisateurs (DGA) est, elle, entrée en négociations il y a quelques jours. Y aurait-il un effet boule de neige ? Ou est-ce au contraire les studios et les producteurs réussiront à éviter une union sacrée ?
Le dernier mouvement social d'ampleur à Hollywood était déjà le fait des scénaristes qui avaient paralysé l'audiovisuel américain en 2007-2008. La grève de 100 jours avait coûté deux milliards de dollars au secteur. Et condamné à une mort précoce ou affaiblit nombre de feuilletons prometteurs (Heroes, Pushing Daisies) et vidé de leur substance et cohérence certains des blockbusters les plus attendus : tel Quantum Of Solace, le deuxième James Bond porté par Daniel Craig.