De tradition, le double anniversaire du 24 Février est célébré avec faste par l’UGTA qui, cette année, semble l’avoir passé à la trappe. La centrale n’a organisé aucune manifestation, s’est portée absente des manifestations officielles ou n’a carrément pas été invitée aux cérémonies. On est bien loin du temps d’une UGTA euphorique, partout présente, dirigée d’une main de fer par Sidi Saïd arrimé au système Abdelaziz Bouteflika. Il cautionnait la moindre décision de l’ex-Président et se positionnait toujours en première ligne dans les campagnes électorales destinées à promouvoir sa réélection pour un autre mandat présidentiel. En cela, l’UGTA jouait le même rôle que les partis de l’alliance présidentielle. Elle faisait essentiellement de la politique et accessoirement du syndicalisme, pourtant sa vocation principale. Ce rôle politique ne pouvait se comprendre et se justifier que du temps du regretté Benhamouda, car il fallait avant tout défendre l'Algérie républicaine contre le terrorisme. Benhamouda a payé de sa vie cet engagement patriotique. La centrale syndicale ne fut pas ébranlée par l’énorme scandale de la dilapidation, par son secrétaire général, de l’argent de la CNAS placé à Khalifa Bank. Durant une vingtaine d’années, elle continua à cautionner les dérives du Président défunt, y compris lorsqu'il était apparu que ce dernier, terrassé par la maladie, ne pouvait plus assumer son rôle de président de la République et que c’était son frère Saïd qui s’était approprié ses prérogatives constitutionnelles. Restée de marbre face à ce scandale, l’UGTA fut vilipendée par le hirak, comme le furent tous les symboles de l’ancien système. Elle n’eut de solution que de s'éclipser aussi bien de la scène politique que syndicale, tandis que Sidi Saïd était rattrapé par la justice pour des affaires liées à la «corruption».
Ces trois dernières années, l’UGTA sombra dans l’inertie mais vient de rappeler son existence formelle à la faveur du climat de protestation des syndicats du pays contre les nouveaux projet de loi du gouvernement sur l’activité syndicale. La centrale syndicale UGTA a joint sa voix aux contestataires. Ils rejettent les articles liés notamment au droit à la grève, à la dissociation de l’action syndicale de l’action politique et à l’interdiction du recours à la grève dans les secteurs considérés comme «sensibles». Les textes prévoient également «d’empêcher les grèves dans les secteurs stratégiques de sensibilité souveraine» et dans les secteurs où «la cessation d’activité peut mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé du citoyen». A leurs yeux, les projets contredisent les conventions internationales ratifiées par l’Algérie, en particulier les Conventions 98 et 87 et la Constitution algérienne concernant les droits civils et politiques.
Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Youcef Chorfa, avait décrit les projets du gouvernement comme «un ticket vers une nouvelle ère où l’action syndicale sera réglementée et les libertés syndicales renforcées en assurant la protection de l’activité syndicale». Ce sont donc une trentaine de syndicats autonomes, dont les membres de la Confédération des syndicats algériens (CSA), la Fédération des travailleurs de la santé affiliée à l’UGTA et d’autres syndicats des différents secteurs de la Fonction publique, qui ont demandé au gouvernement le retrait des textes et décidé de saisir le Conseil constitutionnel. Un appel à une grève générale a été lancé pour la journée du mardi 28 février (demain) et le bras de fer s’annonce difficile dès le moment où le président de République, dans sa rencontre avec la presse, est venu désavouer leur rejet des projets de loi du gouvernement. Il faut rappeler que la représentativité syndicale est réglementée par l’article 35 de la loi n° 90-14 du 02 juin 1990. Il existe plus de 60 syndicats autonomes, dont 33 syndicats de la fonction publique. Ils représentent essentiellement les travailleurs de l’administration publique, de l’éducation nationale, de la santé et de l’enseignement supérieur. Les fonctionnaires et employés du secteur public n’obtiendront le droit de grève qu’à partir de cette date.
Les syndicats autonomes ne sont pas reconnus en tant que partenaires sociaux par l’Etat. C’est l’UGTA seule qui a été considérée comme représentative et qui demeure le seul partenaire social reconnu en tant que tel dans les négociations collectives. En 2017, elle déclarait représenter 2 737 925 travailleurs essentiellement dans le secteur public. 96% des entreprises privées n’ont pas de représentation syndicale. Le Syndicat national automne des personnels de l’administration publique (Snapap), créé en 1990, est devenu le principal concurrent de l’UGTA. Les syndicats autonomes ont conféré une autre dimension à la contestation syndicale et ont remis en cause la domination du syndicat unique qu’a été l’UGTA depuis l'indépendance du pays.