Le général Hocine Benhadid a tiré sa révérence, en ce 1er octobre 2023. Après un dernier hommage rendu par ses compagnons d’armes à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja, il a été inhumé, hier, au cimetière de Ben Aknoun, après une cérémonie militaire unique, en présence de ses compagnons d’armes mais aussi de nombreux hauts gradés aux postes de commandement, à leur tête, le chef d'état-major de l’ANP, le général d’armée Saïd Chanegriha. Il laisse l’image d’un général «intègre», «instruit», «compétent» et «franc parleur», tel que décrit par ses pairs.
Annoncé dimanche, en fin de journée, par un de ses proches, le décès du général Hocine Benhadid a vite fait le tour des rédactions avant qu’une dépêche de l’APS ne diffuse, dans la soirée, les condoléances du président de la République à la famille du défunt et à l’ANP. Décédé chez lui, avant d’être évacué vers l’hôpital militaire de Aïn Naâdja, le défunt a eu droit à une importante cérémonie d’inhumation. Drapé de l’emblème national, hissé par des soldats, son cercueil a été accueilli par de nombreux compagnons d’armes du défunt mais aussi de hauts gradés en poste, notamment, de commandement, à leur tête le chef d'état-major de l’Anp, le général d’armée, Said Chanegriha.
Des coups de feu ont retenti au moment de sa mise à terre, brisant le silence funèbre qui pesait lourdement. Le défunt a eu droit à un hommage digne de son passé et de sa carrière militaire. Très affecté moralement par son incarcération à deux reprises pour ses déclarations contre le défunt chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, et physiquement en raison de deux AVC (accidents vasculocérébraux), qui l’ont paralysé, sa dernière apparition publique, assis sur une chaise roulante, a eu lieu au cercle militaire de Beni Messous, à Alger, lors de la célébration de la fête de l’indépendance, le 5 juillet 2020, durant laquelle il a été réhabilité avec les honneurs.
Durant six ans (2014-2020), le général a marqué la scène politique par ses révélations courageuses, qui lui ont valu la prison en 2015 et en 2019. Sa première sortie explosive date de février 2014, soit deux mois avant l'élection présidentielle qui a permis à feu Bouteflika, très malade, de briguer un quatrième mandat. Interviewé par Radio M, le général à la retraite Benhadid a fait état de graves accusations contre Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt président déchu et le chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, en présentant le premier comme un «malade mental» qui nomme les membres du gouvernement et prend les décisions en lieu et place de son frère, et le second comme «puissant que par son téléphone et son fauteuil».
Il a ajouté : «Une bande mafieuse gouverne aujourd’hui l’Algérie(…) Bouteflika n’est conscient que 30 à 40 minutes par jour (…) Gaïd Salah n’est rien, il n’est puissant que par son téléphone et son fauteuil, il n’a aucune assise au sein de l’armée, il ne peut même pas réunir les chefs de Régions militaires, personne ne le suit, il n’a été nommé en 2004 comme chef d’état-major que parce qu’il faisait traîner des dossiers, parce qu’il est faible.»
Pour le général, «le peuple algérien, des officiers honnêtes et l’élite» du pays n’accepteraient pas le scénario d’une succession familiale». Des déclarations qui ont suscité l’élaboration d’une nouvelle loi, sur l’obligation de réserve des militaires, adoptée par le Parlement et qui a suscité de grandes inquiétudes chez les retraités de l’ANP du fait que cette obligation est d’ordre statutaire et non pas pénal.
Ce nouveau texte interdit à tous les militaires, actifs, retraités et même de réserve ou remis à la vie civile, toute «déclaration ou comportement susceptible de compromettre l’image des institutions et des autorités publiques» sous peine de poursuites pour «outrage ou diffamation passible, en plus d’une peine pénale, d’un retrait de la médaille d’honneur».
M. Benhadid avait fait l’objet d’une arrestation spectaculaire sur l’autoroute de Ben Aknoun (Alger), où sa voiture a été braquée par des gendarmes et des policiers, pour le faire descendre et l’embarquer à bord de leurs véhicules en direction de la brigade de Gendarmerie de Chéraga.
Malgré son état de santé qui s’est dégradé à la suite d’un cancer de la prostate, le général a été placé en détention «sans qu’aucune plainte ne soit déposée dans le dossier», condamné le 29 octobre 2015, à un an de prison avec une amende de 500 000 DA, pour «entreprise de démoralisation de l’armée», libéré le 6 juillet 2016 pour des raisons de santé, puis condamné en appel à un an avec sursis.
Une arrestation spectaculaire et 8 mois de prison sans plainte
Un mois plus tard, il a invité la presse pour clarifier les circonstances de son arrestation et de sa libération. «El Mouradia et les Tagarins se sont mis d’accord pour me mettre en prison à cause de mes déclarations sur une chaîne de télévision qui émet à partir de Londres, portant sur la période des années 1990 qui semblent avoir suscité des craintes auprès des responsables de l’Etat (…).» Et de préciser : «J’étais emprisonné sur un coup de fil et libéré par un autre coup de fil (…) J’ai été emprisonné sans jugement et j’en suis sorti sous contrôle judiciaire.»
Le 8 mars 2019, alors que la rue algérienne grondait contre le 5e mandat et appelait au changement du système, le général Benhadid a accordé un entretien à El Watan, dans lequel, il a demandé à Gaïd Salah de faire en sorte que la démocratie ne soit plus un vain mot, après l’avoir accusé d’être à la solde des Emirats en disant : «Imaginez-vous un chef d’état-major de l’armée qui parle de paix et de stabilité alors qu’il reçoit des ordres de l’étranger ? Il n’est qu’un pion.»
La déclaration est reprise immédiatement par la presse nationale et internationale. Le 12 mai 2019, il est poursuivi et placé en détention pour «atteinte au moral de l’armée et à la sécurité de l’Etat». Il y restera durant huit mois, malgré la dégradation de son état de santé qui lui a valu une hospitalisation au CHU Mustapha Pacha, avant d’être libéré au mois de janvier 2020, puis réhabilité le 5 juillet de la même année.
Deux ans plus tard, il a fait partie des officiers supérieurs de l’ANP, honorés par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en tant qu’anciens membres de l’ALN qui «ont continué à servir le pays», et ce, à l’occasion de la Journée nationale de l’Armée, célébrée le 4 août de chaque année. Tous ses anciens compagnons le décrivent comme un homme «instruit», «compétent», «direct» et surtout « intègre» qui jouit «d’un grand respect» parmi ses pairs.
Homme de terrain, qui a eu à diriger la puissante 8e division blindée est connu pour son engagement dans la lutte antiterroriste, mais aussi pour son passage à la tête de la 3e Région militaire, où il a ouvert des enquêtes sur la corruption, entraînant des poursuites contre de nombreux gradés. Ce major de promo de la prestigieuse école de guerre américaine, West-Point, au parcours jalonné de succès, s’en est allé enterrant avec lui, les secrets des nombreux événements que la muette a porté depuis l’indépendance.
Témoignages
- Le colonel à la retraite Hamid Mezahem : «C’est une grande perte pour l’Armée et pour le pays»
Colonel retraité et ancien chef de cabinet du général Liamine Zeroual, au temps où il était ministre de la Défense, Hamid Mezahem, un des proches et des rares amis du défunt Benhadid, restés en contact avec lui, témoigne : «C’est une grande perte pour l’Armée et pour le pays. La prison et les deux AVC dont- il a fait l’objet ont eu raison de lui ». Il qualifie le défunt de « militaire intellectuel » et de « grand patriote, qui a fait sa première formation militaire après l’indépendance en Irak et exécuté ses missions dans les unités de combat avec brio. C’est un homme apprécié de tous. Nous avons travaillé ensemble durant des décennies, notamment lorsqu’‘il occupait le poste de conseiller au cabinet de Liamine Zeroual. Pour moi, l’Algérie a perdu un grand homme ».
- Le général à la retraite Abderrazak Maiza : «Un homme honnête qui ne s’est jamais servi»
«Le général Benhadid constituait la lumière de l’ANP. Extrêmement intelligent et très direct, il a toujours été honnête et surtout ne s’est jamais servi », déclare l’ancien chef de l’état-major de la 1ère région militaire, le généra à la retraite Abderrazak Maiza rappelant par ailleurs le passage du défunt à la tête de la 3ème région militaire, « où il a mené une opération mains propres qui lui a permis de soulever des lièvres et d’engager des poursuites contre de nombreux militaires». S. T.