Une véritable bataille a eu lieu au sein du parlement italien, entre Giorgia Meloni et ses opposants, autour de la Tunisie et du régime de Kaïs Saïed. A l’opposition qui l’accuse de soutenir une dictature naissante en Tunisie, la cheftaine du gouvernement réplique qu’il «vaudrait mieux ne pas parler de dictatures de la part de mouvances ayant, par le passé, régulièrement soutenu Cuba et d’autres régimes communistes, sans oublier le fait que j’étais en Tunisie avec la présidente Von Der Leyne et mon collègue hollandais Mark Rutte».
Meloni a conclu en posant cette question : «Suis-je suffisamment forte pour convaincre ces deux personnalités de premier rang de la nécessité de discuter avec des dictateurs ?» Il est clair que toute l’Europe, pas uniquement l’Italie, a tourné la page de la question démocratique en Tunisie, en privilégiant les priorités européennes de lutte contre la migration irrégulière. Les Européens insistent sur la réalisation effective du protocole d’accord, proposé par la présidente Von Der Leyne au président Saïed lors de leur rencontre du 10 juin à Tunis, sans attendre son accord avec le FMI. Selon les propos de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, devant le Parlement de son pays, les Européens vont entériner cette proposition lors de leur sommet des 29 et 30 juin.
Le Commissaire européen, Olivér Várhely, est chargé de négocier au nom de l’Union européenne et de conclure l’accord, dès que possible. Ce coup d’accélérateur européen vient de la crainte de voir davantage de sea boat sur leurs côtes, à partir de la Tunisie, avec l’entrée effective de la saison chaude. L’accident aux larges de la Grèce a fait monter les craintes et Bruxelles ne veut pas voir Tunis baisser les bras ou traîner les pattes dans sa lutte contre la migration irrégulière.
Pour sa part, Tunis demande plus de temps de réflexion concernant les termes de l’accord, proposé par l’UE, notamment le point portant sur la coopération Nord-Sud en termes de lutte contre la migration clandestine. Les Tunisiens sont en train d’examiner minutieusement les termes juridiques et ne veulent surtout pas devenir, d’une quelconque manière, le gendarme de la Méditerranée occidentale, comme fut la Turquie lors de l’exode massif des Syriens.
Critiquant implicitement le manque de pragmatisme du Fonds monétaire international (FMI) vis-à-vis de la crise traversée par la Tunisie, la Commission européenne a décidé d’activer immédiatement le protocole proposé à Tunis, lors de la visite de sa présidente, Von Der Leyne, dimanche 10 juin, accompagnée alors de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni et du Premier ministre hollandais, Mark Rutte. L’UE a pris hier cette décision parce qu’elle considère que les urgences financières de la Tunisie et, surtout, celles de la lutte contre la migration clandestine n’attendent pas.
La décision de l’UE vient, par ailleurs, en réaction aux déclarations dans une conférence de presse le 16 juin dernier de la présidente du FMI, Kristalina Georgieva, suite au Conseil des ministres économiques et financiers (Ecofin). Georgieva a en effet déclaré que «la Tunisie a pu respirer un peu grâce aux bonnes recettes du secteur touristique et que l’accord pourrait survenir prochainement», sans signifier la moindre urgence.
Le FMI a donc pratiquement campé sur sa position concernant les conditions de son accord avec la Tunisie. Or, l’Europe est dans l’urgence concernant le dossier de la migration irrégulière.
La Tunisie essaie clairement de voir ce qu’elle pourrait bien tirer de cette crainte européenne de voir de vastes groupes des populations du Sud venir en Europe, via le détroit de Sicile. Le milliard d’euros proposé par Von Der Leyne et ses compères ne semble pas convaincre le président Saïed et son équipe. La partie tunisienne ne veut pas se limiter à cela. Elle veut, d’une part, récolter plus de cette transaction.
Selon une publication Facebook du 27 juin de l’activiste et ex-député Mejdi Kerbaï, la Tunisie aurait l’œil sur des hélicoptères, des drones et 200 millions d’euros dont une moitié d’équipements pour renforcer le contrôle des frontières et bloquer la migration irrégulière. «Il s’agit tout bonnement de faire monter la barre, comme on le dit en Tunisie… Plus d’argent et d’équipements», toujours selon l’ex-député se positionnant aujourd’hui dans le camp de l’opposition.
D’autre part, la Tunisie veut explorer davantage le volet du développement des pays sources de la migration irrégulière. Giorgia Meloni a, certes, eu la présence d’esprit de reprendre au mot les propos de Kaïs Saïed sur la question. Mais le fameux plan Mattei, miroité par l’Italienne, ne dispose pas encore, pour le moment du moins, ni de bailleurs de fonds ni de sources de financements. Donc, évoquer juste le nom de Mattei ne semble pas convaincre la Tunisie, jusqu’à maintenant. La partie européenne est appelée à améliorer sa proposition.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami
45 Subsahariens sauvés dans 7 tentatives de migration irrégulière
Les littoraux de Nabeul et Monastir ont pris le relais sur ceux de Sfax et Mahdia comme départs, la nuit de l’Aïd, vers les côtes italiennes. Les unités de la Garde nationale ont ainsi, dans la nuit du 28 au 29, mis échec à sept tentatives de franchissement illégal des frontières partant de Nabeul (4) et Monastir (3). 121 personnes ont été interceptées dans ces opérations, dont 45 Subsahariens et 76 Tunisiens. A Nabeul, un kayak et trois embarcations ont été saisis. A Monastir, un canoë en caoutchouc a été saisi ainsi que deux moteurs et quatre bidons d’essence. Une embarcation a coulé et ses occupants subsahariens secourus, selon le communiqué de la Garde nationale. Cette recrudescence des traversées explique la tentation européenne de trouver une solution avec la Tunisie concernant la migration irrégulière. M.S.