Aujourd'hui, le football, plus qu'avant, suscite des passions, des polémiques et des débats à n'en plus finir, et l'on s'interroge sur sa véritable place dans la société, surtout, sous le triple effet de l'intrusion de l'argent, des retombées de la mondialisation et du recours légitime à ce sport populaire des nations pour mieux s'affirmer dans le concert international.
Mais toute cette ébullition, ces débats et cette surenchère – faits autour de ce foot «gangrené» par des sommes astronomiques – sont-ils nouveaux ? Il serait malvenu de le croire, car dès sa naissance, au début du siècle dernier, il était déjà admis que le jeu à onze n'était guère une entreprise comme les autres.
On peut citer, en exemple, ce qu’écrivait le journaliste Pierre Ducasse dans la revue le Ballon rond du 22 janvier 1921, quelques mois avant la naissance de notre Doyen le Mouloudia d'Alger : «Comme il est pénible de constater la crise que traverse le sport actuellement. Où est-il, cet heureux temps de jadis, où seuls trois ou quatre clubs jouaient sur des terrains à peine tracés ? Il n'y avait pas de public, pas de recette.
Lorsque les clubs ont commencé à faire de l'argent, les joueurs se sont montrés plus exigeants. Les dirigeants ont cédé, pour les garder. Maintenant, on ne joue plus que par intérêt.» C'était il y a plus d'un siècle. Ce constat, si vrai de nos jours, a un côté nostalgique, mais qui reflète l'idée selon laquelle «c'était mieux avant».
En foot, l'âge d'or serait toujours celui qui a précédé. Notre référent, au plan de la réussite, n'est-il pas encore notre exploit à Gigon en 1982, qui demeure gravé à jamais dans les consciences ! Les nostalgiques, dont je suis, ajouteront avec beaucoup d'émotion et de vérité «que pourtant, à l'époque, il y avait peu d'argent, mais beaucoup de foi et cette rage de s'affirmer».
De nos jours, c'est autre chose, et la plupart ont une vision culturelle négative de l'argent dans le sport, particulièrement dans le foot, qui, ne l'oublions pas, a été lancé par des gens aisés, conçu comme un loisir, obéissant à une morale aristocratique, forcément désintéressée.
Aujourd'hui, par exemple en France, les clubs pros contribuent à la richesse nationale, avec un chiffre d'affaires qui avoisine les 6 milliards d'euros, en donnant 120 millions annuels aux amateurs. Un exemple de la mondialisation ? La proportion d'étrangers dans la composition de certaines des principales équipes européennes dépasse les 70%. Aujourd'hui la FIFA, qui compte plus d'adhérents que l'ONU, encourage à jouer le jeu de la mondialisation.
On a vu comment les pays issus du démantèlement de l'URSS et de la Yougoslavie ont vite fait de se forger un projet national à travers le sport, en fondant des équipes nationales, comme symbole fort de l'identité. Lorsque l'Angola, qui a conquis son indépendance en 1975, s'est qualifiée pour le Mondial en 2006 en Allemagne, on a fêté l'événement dans les rues de Luanda en chantant «Nous sommes un pays».
La leçon géopolitique est ici vérifiée que c'est l'Etat qui façonne la nation. Face au caractère inévitable de l'internationalisation, la sélection de foot devient un outil autant que la dispute pour les marchés de la concurrence. Si la mondialisation s'emploie à effacer les frontières, la sélection nationale demeure ou apparaît comme élément de la conscience d'une supra unité identitaire et renforce le sentiment de patrie.
Comme on le voit, il est facile de remplir un club de joueurs étrangers grâce à l'argent, mais mettre en place une sélection composée de joueurs locaux dépend de l'ampleur du talent, national, qu'on n'a pas assez travaillé et formé, pour irriguer les cœurs de supporters d'un sentiment qui, selon l'écrivain brésilien Nelson Rodrigues, transforme la sélection en «la patrie en crampons».
Ainsi l'apport de footballeurs algériens établis ailleurs s'est imposé comme une solution légitime et nécessaire. Depuis quelques années, le racisme s’est insidieusement invité dans le football.
Lors de la CM-2006 en Allemagne, quand le leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen s'est plaint qu'il y avait trop de Noirs dans l'équipe de France, le défenseur Lilian Thuram, né en Guadeloupe, colonie française, lui a répondu, en brandissant l'argument de la nation contre celui de l'ethnie : «Je ne suis pas Noir, je suis Français.»
Aujourd'hui, on aimerait bien connaître la réaction du vieux tortionnaire, lorsqu'il saura que Thuram a livré deux de ses enfants, nés dans la banlieue parisienne, à l'actuelle équipe de France !!!!