Le cimetière des journaux

14/05/2022 mis à jour: 06:27
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Ce samedi 14 mai, un mois déjà se sera écoulé depuis la disparition du quotidien Liberté, dont le dernier numéro, rappelez-vous, a été imprimé le jeudi 14 avril 2022. L’extinction de l’un des journaux les plus en vue du paysage médiatique algérien continue de susciter émotion et interrogations.

 Certes, pas à l’échelle du grand public qui, visiblement, est passé à autre chose. Mais nombre de confrères, en Algérie et à l’étranger, de personnalités politiques, d’acteurs du monde économique, associatif, de diplomates, d’intellectuels, d’universitaires, d’hommes de culture, d’artistes, de syndicalistes, de citoyens lambda s’en émeuvent encore. Et immanquablement, la question qui revient le plus souvent dans la bouche de lecteurs amis : «Et vous alors ?» «El Watan risque aussi de…?» 

Et quand nous confortons leurs soupçons, il y a comme une expression de stupeur qui se dessine sur leurs visages. C’est que pour eux, il est rassurant de voir cette ribambelle de journaux, chez le buraliste, qui font la cour aux passants. Un journal, c’est comme un vigile sur le qui-vive. 

Sauf que bientôt, il n’y aura plus de vigile. Plus de sentinelle. Il n’y aura plus ce lutin de papier qui veille sur le bien commun. La presse post-Octobre 1988 est condamnée. 

Et d’autres titres vont fatalement venir grossir ce cimetière des journaux qui compte déjà quelques défunts illustres : Algérie-Actualité, Révolution africaine, Le Matin, La Tribune, La Nation, El Manchar… Reconnaissez que c’est quand même triste, un buraliste sans journaux. Comme est ennuyeux un orchestre qui ne joue que d’un seul instrument, exécutant la même sempiternelle partition monocorde.

Nous sommes face à un véritable carnage symbolique. Comment arrêter le massacre ? Que fera l’Etat pour que cette belle «caution démocratique» qu’est la «presse la plus libre du monde arabe» ne finisse pas en eau de boudin ? 

Depuis quelques jours, on assiste à un nouveau cycle de consultations initié par le président de la République. M. Tebboune a même reçu mercredi Abdelaziz Rahabi. 

Si ces consultations pouvaient déboucher sur une initiative politique un tant soit peu ambitieuse et crédible, assortie de mesures d’apaisement, cela ferait certainement du bien au pays. 

Toutefois, une telle démarche, nous semble-t-il, serait incomplète sans un signal fort envers les professionnels, les médias. 

Ce jeudi, une journée d’étude a été organisée par le ministère de la Communication sur le thème : «Le système juridique du secteur de la communication». L’objet principal de cette rencontre était l’enrichissement des textes de loi en gestation. C’est important bien sûr d’assainir le cadre organisationnel qui régit la presse. 

Seulement, on a le sentiment que le débat, depuis plusieurs années maintenant, est focalisé exclusivement sur les aspects administratif et réglementaire, alors qu’il y a d’autres chantiers autrement plus urgents dont il faut s’occuper. 

Les pouvoirs publics sont appelés à lancer sans plus tarder une large concertation avec tous les acteurs pour imaginer des mécanismes de soutien à la presse. Il ne s’agit pas uniquement d’aider les journalistes et les travailleurs des médias à préserver leurs emplois. 

Ce n’est pas d’un plan social que la presse a besoin mais d’un plan Marshall. Il s’agit avant tout d’œuvrer à sauver l’un des acquis dont les Algériens peuvent être le plus fiers : le pluralisme et la diversité médiatiques. 

En somme, l’enjeu, c’est de maintenir en vie ce grand et beau principe démocratique qu’on appelle «la liberté de la presse». 

Messieurs les décideurs, faites-le. Parce que sans liberté de la presse, personne ne vous croira.

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