Le 16e Festival national du théâtre professionnel se poursuit à Alger : Quand les tyrans se prennent pour des clowns

26/12/2023 mis à jour: 06:27
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La récréation des clowns

La pièce Istirahatou El mouharidjine (La récréation des clowns) marque le retour de Wahid Achour à la mise en scène. La pièce, en compétition au 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP), a été présentée, dimanche 24 décembre au soir, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA). 

 

Wahid Achour, qui a souffert ces dernières années de marginalisation malgré ses compétences artistiques, marque un grand retour à la scène avec une pièce adaptée à partir d’un texte complexe de l’auteur algérien Noureddine Abba, La récréation des clowns, publié en 1980, traduite par Allaoua Djeroua. 

Une pièce produite par le Théâtre régional Mohamed Tahar Fergani de Constantine. La thématique de la pièce est la torture pratiquée par les soldats français durant la période coloniale en Algérie. 

Une thématique restée taboue même sur les planches algériennes. Henri Alleg a longuement évoqué cette pratique inhumaine dans le célèbre récit La question et la militante Louisette Ighilahriz a fait éclater la vérité sur la torture pratiquée par les soldats du général Jacques Massu de la 10e division parachutiste à Alger. 

Le témoignage de Louisette Ighilahriz, paru dans le journal français Le Monde en 2000, a amené les généraux Massu et Bigeard à réagir, le premier a reconnu les faits, le deuxième a nié.

Massu est justement présent dans le texte de Noureddine Abba. Wahid Achour a repris ce texte complexe en l’adaptant, non sans peine, aux planches. La scène est presque dénudée. Elle est «remplie» au fur et à mesure par les comédiens et des accessoires, des chaises, une caisse, des bouteilles de vin, des barbelés, des sacs de sable... Deux clowns dansent, chantent, paraissent joyeux, boivent jusqu’à l’ébriété.
 

Un pénible interrogatoire

Ils sont rejoints par Francine, puis Soso. Francine découvre au fur et à mesure l’identité réelle de ces amuseurs de foules, il s’agit de parachutistes. Ils voulaient se «rapprocher» de la population en mettant des costumes colorés et en adoptant un visage aux sourires figés. Tout bascule lorsque Rachid Red sun, un nationaliste algérien qui se fait passer pour un plombier, est arrêté, accusé d’avoir déposé une bombe. 

Commence alors un pénible interrogatoire. Soso est finalement un officier connu pour ses pratiques de maltraitance, surnommé «l’étouffoir». Il s’assoie sur ses victimes pour les empêcher de respirer jusqu’à la mort. Francine, qui tente de s’interposer, est, elle-même, prise pour cible par les trois soldats tortionnaires. Rachid est soumis à la gégène et à l’arrachage des ongles. Une scène terrible qui rappelle la colonisation et ses méfaits. 

Déshumanisation

Même si le spectacle traîne en longueur, près de 90 minutes et qu’il souffre de manque de rythme, il a cette force d’interpeller les consciences sur les déshumanisations en temps de guerre. Les tortionnaires, qui prennent plaisir à faire mal aux autres, souffrent de troubles psychiatriques. Wahid Achour, un adepte de l’école théâtrale allemande, a réussi, en recourant parfois aux expressions du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, à installer une atmosphère lourde dans la salle pour évoquer l’un des crimes coloniaux les plus barbares, restés en grande partie impunis. Les comédiens Oussama Tlilani, Rym Benzeggouta, Abdelhamid Litim, Rami Mentouri, Ahmed Hamsas, Mourad Filali, Nabil Messahel et Rafik Belhamadi ont bien porté le spectacle malgré sa monotonie et ses dialogues intenses.

Des débats critiques

Le 16e Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP) se poursuit jusqu’au 31 décembre. Treize pièces sont en compétition, présentées chaque jour à 15h et 19h. Elles seront évaluées par un jury présidé par la comédienne Fadéla Hachemaoui. Ichiou, une pièce mise en scène par Azouz Abdelkader et écrite par Okbaoui Cheikh, a été le premier spectacle présenté, samedi 23 décembre au soir. Un spectacle produit par le Théâtre régional de Biskra et qui s’appuie sur une légende populaire de la région d’Adrar. 

Dimanche 24 décembre, dans l’après- midi, a été présentée la pièce Trab el jnoun (la terre des djinns), produite par le Théâtre régional de Béchar, écrite par Hicham Boussahla et mise en scène par Hocine Mokhtar. Une histoire qui se déroule dans les sous-sol, inspirée de faits réels s’étant déroulés dans la mine de charbon de Kenadsa, durant la période coloniale française. Toutes les pièces en compétition sont suivies de débats critiques au niveau de l’espace M’hamed Benguettaf, au deuxième étage du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d’Alger. 

Hicham Farès
 

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