L’armée israélienne semble chercher à «éliminer le Hamas», en détruisant le territoire que le mouvement gouverne depuis 2007. Mais surtout pour imposer un fait accompli stratégique et territorial qui va davantage disqualifier l’option à deux Etats.
En août dernier, deux mois avant le déclenchement de cette nouvelle guerre de Ghaza, le coordonnateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient s’inquiétait de l’obstruction des horizons pour une solution politique durable au drame palestinien et constatait, devant le Conseil de sécurité, une escalade de violence en territoires occupés.
«Des Palestiniens et des Israéliens sont tués et blessés du fait d’une violence quasi quotidienne, alimentée et exacerbée par un sentiment croissant de désespoir quant à l’avenir. Si les deux parties ont pris certaines mesures pour stabiliser la situation sur le terrain, des mesures unilatérales, notamment l’expansion des colonies, se poursuivent, tout comme les opérations israéliennes dans la zone A, l’activité militante palestinienne et la violence des colons. L’absence de progrès vers un horizon politique touchant des questions au cœur même du conflit a laissé un vide dangereux et instable, rempli par des extrémistes de tous bords», avait exposé M. Tor Wennesland.
Dans le propos, le diplomate apprenait également que quelques jours auparavant, «le Comité de planification du district de Jérusalem a mis en avant des plans de création de quelque 2000 logements supplémentaires dans des colonies à Jérusalem-Est».
En somme, tout ne baignait pas dans la sérénité, comme tentent de le laisser entendre l’Etat hébreu et son escorte de soutiens occidentaux, avant ce fatidique 7 octobre qui a vu le Hamas lancer son «Déluge d’Al Aqsa». D’obstrués, les horizons politiques paraissent aujourd’hui condamnés.
Bientôt 16 000 Palestiniens morts à Ghaza sous les bombardements, dont la plupart sont des femmes et des enfants, une population à près de 80% déplacée à des seuils irréversibles, un territoire dévasté, des infrastructures vitales réduites en ruines... La deuxième phase de l’opération terrestre de l’armée israélienne se déploie, désormais, pour achever de raser ce qui reste et approfondir les traumatismes.
Nouveau fait accompli territorial
La courte parenthèse de la «trêve humanitaire» s’est refermée, et avec elle les espoirs d’un début de solution négociée par paliers, tel qu’avancé par la communauté internationale : pause humanitaire, trêve durable, puis cessez-le-feu pouvant ouvrir les possibilités de négociations politiques sur la fameuse solution à deux Etats.
En quelques jours de reprise des hostilités dans l’enclave, le gouvernement israélien, transformé en état-major d’extermination contre les Palestiniens, révèle, on ne peut plus clairement, ses intentions.
Les frappes aériennes non seulement sont plus aveugles et meurtrières que jamais, mais elles s’étendent, désormais, au sud du territoire assiégé, jusqu’ici réservé en zone de repli théorique pour les civils. L’armée israélienne semble chercher à «éliminer le Hamas», en détruisant le territoire que le mouvement gouverne depuis 2007. Mais surtout imposer un fait accompli stratégique et territorial qui va davantage disqualifier l’option à deux Etats.
Ce faisant, Tel-Aviv se lance manifestement dans l’entreprise d’une réoccupation de la Bande de Ghaza, en avançant le motif sécuritaire : un scénario qui colle étrangement au fantasme de l’extrême droite israélienne et qui consiste en la colonisation généralisé de tous les territoires palestiniens. «Il ne doit y avoir aucun déplacement forcé des Palestiniens de Ghaza, aucune réoccupation, aucun siège ou blocus, et aucune réduction de territoire».
Le propos n’émane pas d’une diplomatie qui soutient la cause palestinienne, ni des instances de l’ONU, mais bel et bien de Joe Biden qui, le 18 novembre dernier, publiait une tribune dans le Washington Post, pour exposer sa vision de l’après-guerre dans la région. Le Président américain écrivait notamment qu’«une solution à deux Etats est le seul moyen de garantir la sécurité à long terme des peuples israélien et palestinien». Même si «aujourd’hui, cette perspective n’a jamais semblé aussi lointaine», la crise actuelle «la rend plus impérative que jamais», insistait-il.
L’illusion des deux états
La position de la Maison-Blanche ici exprimée peut encore obéir, par calcul, au besoin de marquer de la distance vis-à-vis de l’Etat hébreu, sur le plan du discours à tout le moins, après le constat des dégâts d’un alignement sans nuance sur la boussole de Tel-Aviv.
Mais elle a l’intérêt de révéler, par le creux, les desseins plus ou moins cachés d’Israël sur la question. C’est dans la foulée que Benyamin Netanyahu a jugé opportun de réitérer que «l’Autorité palestinienne, dans sa forme actuelle, n’est pas en mesure d’assumer la responsabilité de Ghaza».
Qui donc pourrait combler la «vacance» politique que générera la disparition du Hamas, si ce n’est une reprise en main des affaires par Israël dans l’enclave palestinienne, celui-là même compris dans la cartographie des territoires projetés pour constituer le futur Etat palestinien. Sur ce, Tel-Aviv ne manque pas de cohérence : à aucun moment, durant ces plus de huit semaines de guerre sans merci contre les Palestiniens, l’Etat hébreu ne s’est exprimé sur l’option des deux Etats, la condamnant de facto.
Alors que l’armée israélienne poursuit son expédition meurtrière, mettant à exécution les commandements politiques du cabinet Netanyahu, la diplomatie arabe s’occupe d’entretenir les illusions : représentée dans le contexte par l’engagement des gouvernements qatari et égyptien à faire renouer le fil des négociations entre les deux parties en conflit, avec comme objectif d’arriver à une trêve durable devant conduire à un cessez-le-feu, elle s’avoue incapable de replacer la question de l’occupation au centre de la problématique.
La «communauté internationale» et ses institutions ne font pas mieux. De l’exigence de mettre fin à l’occupation, de faire respecter le droit international et le droit des Palestiniens à disposer d’un Etat avec tous ses attributs, l’on est passé à l’a minima de réclamer des bilans moins massifs de civils tués.