L’archéologie médiévale en Occident musulman : De nouvelles perspectives pour une coopération culturelle algéro-espagnole

24/05/2023 mis à jour: 07:56
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Abderrahmane Khelifa et Julio Navarro Palazone

L’archéologie qui se rapporte à la période médiévale en Occident musulman est un cycle de conférences 
sous l’intitulé générique «Histoire et mémoire partagée» que l’institut Cervantès a initié à Oran. 

C’est dans ce contexte qu’une première intervention conjointe a été organisée avec Abderrahmane Khelifa, docteur en histoire et en archéologie islamique, auteur de plusieurs ouvrages, et Julio Navarro Palazone, chercheur au sein d’une instance spécialisée dans la période islamique basée à Grenade, en Espagne. 

Les deux hommes se connaissent car, en effet, l’idée d’effectuer des recherches communes a été lancée, il y a une trentaine d’années, mais la situation vécue en Algérie durant la décennie noire n’a pas permis au projet de se concrétiser. «A l’époque, quand Abderrahmane Khelifa était responsable du patrimoine au ministère, nous devions aborder ensemble des projets en lien avec l’archéologie islamique mais, malheureusement, cela ne s’est pas fait.

Aujourd’hui, Dieu merci, l’Algérie étant en bien meilleure situation, nous avons la possibilité de recommencer», a indiqué le chercheur espagnol. Entretemps, chacun de son côté a eu à poursuivre ses recherches et publier les résultats. 

C’est le cas, côté algérien, pour Abderrahmane Khelifa qui vient juste de publier un volumineux ouvrage, résultat de 10 années de fouilles du site de Honaine dans la wilaya de Tlemcen.  «Nous avons, mon équipe et moi, mis en évidence en la sortant de terre l’existence de toute une ville avec ses maisons, ses ruelles, ses remparts dont il subsiste des parties visibles, sa casbah, etc.», explique l’historien archéologue algérien estimant que ses fouilles sont venues compléter ce qu’a écrit, à son époque, Hassan El Ouazzan (dit Léon l’Africain, natif de Grenade). 

Pour lui, les textes étant connus, l’archéologie ne vient pas seulement confirmer ce qu’ont écrit les chroniqueurs et voyageurs, notamment musulmans pour ce cas-là, mais apporte toujours de nouvelles choses et de manière concrète. Lui aussi pense qu’«il faut multiplier les contacts scientifiques et culturels entre les deux rives de la Méditerranée pour analyser le patrimoine archéologique, étudier les similitudes pour mieux comprendre l’histoire». 

La proximité géographique est un des facteurs de rapprochement. «Depuis Honaine, en montant sur la tour de guet de Sidi Brahim, on peut, par temps clair, apercevoir les lumières d’Almeria», indique-t-il avant d’évoquer l’anecdote historique selon laquelle c’est à Honaine que l’illustre Ibn Khaldoun, recherché, a été capturé alors qu’il s’apprêtait à embarquer anonymement pour l’Andalousie. Il y a matière à effectuer des recherches communes car les liens entre les deux rives n’ont jamais essé et ils étaient particulièrement intenses durant la période musulmane en évoquant également le cas du soufi Ibn Arabi qui a longtemps séjourné à Bejaia où il a enseigné. 

Au-delà des contacts humains, il y a les influences mutuelles dans les domaines culturels, architecturaux, etc. Abderrahmane Khelifa a beaucoup travaillé sur la «qal’âa» des Beni Hammad (située du côté de Msila et c’est la première capitale avant que celle-ci ne soit transférée à Bejaia pour échapper à l’invasion hilalienne) et a analysé les influences. «Un des frères de Bologhine Ibn Ziri est parti en Andalousie, et les Ommeyades lui ont donné un fief à Grenade, et c’est donc un hamadite, un ziride qui a commencé à réaliser le palais de l’Alhambra», fait-il remarquer en considérant que les lions de la Cour des lions de ce palais sont les cousins de ceux de la «qal’âa» des Beni Hammad. 

Toujours selon lui, La «Giralda» de Séville (dont la date est située vers 1185) est la descendante directe du minaret de la qal’âa des Beni Hammad qui remonte  au début du XIe siècle, vers  1007 ou 1008.  

Mais les contacts historiques remontent à beaucoup plus loin en donnant l’exemple du site archéologique près de Maghnia (oued Mouileh), «un gisement ibéo-maurusien datant de 11 000 ans et dont, 6 mois à peine après sa découverte, un site similaire a été découvert du côté de Malaga».  

Pour sa part, Julio Navarro, a entrepris des fouilles sur un thème novateur en s’intéressant au phénomène des «boustane» qui cernent les villes musulmanes de la période médiévale. «Nous avons préféré garder le terme en langue arabe pour le distinguer de sa traduction en jardin qui, pour la culture européenne, renvoie à une réalité différente, le jardin ayant une fonction exclusivement esthétique». Son travail a été effectué essentiellement en Espagne, mais le champ d’investigation devait concerner l’ensemble de  l’Occident musulman, comprenant dans une moindre mesure la Sicile même si elle n’est pas restée longtemps sous domination musulmane. 

Dans ses recherches, en plus des fouilles proprement dites, il s’est également, lui aussi, basé sur des sources historiques et, pour ce cas-là, des représentations iconographiques des «médina» telles que Tunis. «Ces images censées décrire les villes à une certaine époque bien déterminée ne sont pas à considérer comme des plans urbains ou architecturaux, mais comme des illustrations qui nous renseignent sur l’organisation de l’espace et là, pour le cas de la médina de Tunis, on voit  bien l’espace central avec son palais dominant ensuite, hors les murs, on distingue les différents faubourgs puis, au-delà, des espaces clôturés qui représentent justement les ‘’boustane’’ et il peut en exister plusieurs», explique le chercheur espagnol.

Pour lui, ces espaces qui englobent également des édifices imposants, remplissent bien une fonction esthétique mais ce sont surtout des lieux de consolidation du pouvoir et jouent un rôle important dans l’économie. Les espaces «boustane» sont également bien visibles dans les représentations anciennes de la ville d’Alger. Même situés en dehors des grands centres urbains d’aujourd’hui, ces espaces de recherche restent menacés par les constructions modernes comme cela a été montré en Espagne à travers les sites fouillés dans ce cadre-là. Julio Navarro Palazone lance un appel aux archéologues algériens désireux d’investir ce champ de recherche. Les deux ouvrages collectifs qui ont été publiés dans ce cadre-là peuvent être enrichis. 

L’autre ouvrage présenté porte le titre de «Almunia», des centres agricoles de très grandes superficies faisant office de résidences occasionnelles pour les gouvernants ou les riches notables qui les exploitaient aussi comme lieux de loisirs.  Ces deux ouvrages ne comportent qu’une seule contribution pour cette rive-ci de la Méditerranée et elle est tunisienne. 

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