Lancement de la bande dessinée Un long chemin jusqu’aux Accords d’évian : Deux voix singulières qui racontent l’histoire de l’Algérie

20/03/2023 mis à jour: 18:59
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Librairie l’Arbre à dires à Alger - Photo : D. R.

Si les Accords d’Evian ont fait l’objet de plusieurs publications et thèses, la bande dessinée reste un bon médium pour raconter l’histoire.

La bédéisite algérienne Bouchra Mokhtari et l’historien suisse Marc Perrenoud ont signé une bande dessinée intitulée Un long chemin jusqu’aux Accords d’Evian - Souvenirs de Suisse (1960-1962).

Les deux acolytes ont choisi comme angle d’attaque, les Accords d’Evian, secrètement négociés où, rappelons-le, les autorités helvétiques ont joué un rôle des plus importants dans les pourparlers des accords de paix signés le 18 mars 1962 entre la France et le Gouvernement provisoire de la République algérienne.

La présentation de la bande dessinée en question a eu lieu, samedi dernier, dans deux lieux différents, en matinée à la Bibliothèque nationale d’Alger et en fin d’après-midi à la librairie l’Arbre à dires à Alger.

Dans son intervention, Son Excellence l’ambassadeur de Suisse à Alger, Pierre-Yves Fux, déclare que durant l’année écoulée, l’Algérie a célébré le 60e anniversaire de son indépendance.

A l’issue de ces commémorations, l’ambassade de Suisse souhaite contribuer à mieux faire connaître le chemin qui a conduit aux Accords d’Evian. Ce chemin, qui n’avait rien de simple ni d’aisé, est souvent passé par la Suisse. «Cet album est le fruit d’une collaboration originale entre une bédéiste algérienne et un historien suisse que la Bibliothèque nationale d’Alger a déjà accueillis en 2017. L’une et l’autre, ici présents ont un autre lien : la ville d’Oran. Marc Perrenoud y a vécu de 1963 à 1968 – Bouchra Mokhtari y est née.

Le double regard du savant et de la dessinatrice, accueilli par les éditions Barzakh, ne constitue pas une vision officielle. Les co-auteurs se sont fondés sur des témoignages et des documents historiques. Ainsi, au lieu d’un dessin, certaines cases de la bande dessinée montrent des coupures de journaux et même des extraits d’un rapport du Comité international de la Croix-Rouge, qui avait mené 627 visites de détenus algériens.» 

La jeune autrice de bande dessinée de style comique Bouchra Mokhtari, rappelle qu’elle compte trois albums. Cela fait un moment qu’elle voulait faire un travail différent pour mesurer ses capacités créatrices. «J’attendais timidement cette occasion qui s’est présentée à moi grâce à l’ambassade de Suisse à Alger.

J’avais peur au début, parce que je devais adapter un style un peu particulier qui est le plus proche du réalisme. Je voulais voir ce que cela allait donner. Je suis très fière du rendu. Il faut dire que Marc m’a aidée et orientée. J’espère réaliser un autre projet similaire autour de l’histoire de l’Algérie.»

Prenant la parole, l’auteur du texte, l’historien Marc Perrenoud précise que la Suisse a été importante à un certain moment de l’histoire de l’Algérie. Selon notre orateur, depuis 1954 ce qui se passe en Algérie a des effets sur la Suisse pour six raisons : la Suisse est une zone de replis pour les nationalistes algériens et une zone de refuge pour les réfractaires qui refusent de participer à la guerre d’Algérie, notamment André Gazut et d’autres personnalités.

La Suisse est également un lieu de publication et d’information sur ce qui se passe en Algérie en échappant à la censure des autorités françaises. Le journaliste, photographe et essayiste, Charles-Henri Favrod, publie dans la Gazette de Lausanne un certain nombre d’articles et d’entretiens. Ce dernier connaissait assez bien l’Algérie qu’il avait visité en 1952.

Il y a aussi des livres qui vont être publiés, car interdit en France. A titre d’exemple La Question d’Henri Alleg va être réédité à Lausanne Suisse par l’éditeur et analyste politique Nils Andersson. L’éditeur et imprimeur, pour sa part, publie la Plateforme de la Soummam.

Parmi les autres effets de la situation en Algérie sur la Suisse, notons les réseaux de solidarité qui s’expriment de différents motifs. Les activités humanitaires ne sont pas en reste avec le CCR qui visite les prisons françaises et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dirigé à cette époque-là par des diplomates suisses. Ces derniers ont pour mission de s’occuper des réfugiés algériens en Tunisie et au Maroc.

Le sixième et dernier effet repose sur les contacts secrets qui sont organisés pour essayer de mettre fin à la guerre de Libération de l’Algérie. «Certains contacts sont organisés par Charles-Henri Favrod dont une séquence fait partie de la bande dessinée», précise notre orateur.

L’historien Marc Perrenoud ajoute qu’entre 1960 et 1962, la diplomatie suisse va jouer un rôle plus actif. A l’époque, la politique suisse était dirigée le ministre des affaires étrangères Max Petitpierre, qui avait défini quatre piliers de cette politique : la neutralité, la solidarité, la disponibilité et l’universalité.

L’auteur et historien révèle qu’entre 2002 et 2022, il a travaillé sur les archives et la mémoire. Quand, il est devenu historien pour le département fédéral des affaires étrangères suisse, il a eu l’occasion de rencontrer des personnalités qui avaient vécu ces événements ainsi que d’autres historiens.

Il a , aussi, participé à un certain nombre de colloques et de conférences à Alger à plusieurs reprises et en France dans des conditions un peu compliquées, c’est du moins ce qu’il affirme. «En 2021, j’ai eu cette proposition inattendue. Je n’avais pas prédit qu’au moment où j’allais à la retraite admistrativement, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) me proposait de faire une bande dessinée.

Cela a été une expérience à la fois nouvelle et passionnante. Je suis très reconnaissante envers Bouchra d’avoir dessiné sous la base du scénario des documents que j’ai pu lui communiquer.»
Pour l’éditrice de Barzakh Selma Hellal, cette BD est une aventure inédite, car la maison est spécialisée dans la littérature, les essais et les Beaux livres. «Ce n’est pas, avoue-t-elle, notre spécialité la BD, mais nous l’avons pris comme un défi.

Cela n’a pas été simple parce que aujourd’hui, réaliser un livre en Algérie est de plus en plus compliqué, mais aussi pour des raisons pratiques. Le papier est de moins en moins importé. C’est difficile, aujourd’hui, de mener à bien le métier d’éditeur.

Davantage encore quand il s’agit d’ouvrages qui demandent un savoir-faire. Une expérience inédite, mais en même temps qui, je crois pour trois raisons, fait tout son sens dans notre catalogue.

Avec mon conjoint Sofiane Hadjadj, nous nous attachons dans notre catalogue à rendre compte du spectre le plus large des voix, des témoignages qui peuvent dire dans leur singularité, dans leur subjectivité l’histoire de l’Algérie. Nous revendiquons l’expression radicale de la singularité.»
 

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