Dès demain, le journal Liberté disparaîtra des kiosques avec un ouf de soulagement de son propriétaire qui ne pouvait plus supporter les récriminations répétées des pouvoirs publics sur le contenu du quotidien. L’homme d’affaires pourra donc se consacrer uniquement à ses affaires et faire oublier de lui l’image d’un généreux «mécène» de la presse qu’il a assumé une trentaine d’années.
De son côté , le personnel de Liberté se dispersera le cœur gros, mais fier de toutes les marques de sympathie qui ont émané de diverses couches de la société algérienne. A été relevé avec force le rôle d’avant-garde joué par le journal dans la prise de conscience des enjeux et des luttes politiques et sociales de ces trente dernières années, mais tous les appels à la préservation du titre son restés vains.
Les autorités politiques, de leur côté, ont fait le choix du silence, même pas un message de gratitude à un journal historique qui a joué un rôle important dans la vie du pays, spécialement durant la décennie 90’ en s’inscrivant dans le vaste mouvement de résistance populaire contre l’intégrisme et le terrorisme.
Et il en a payé le prix fort. Tout comme Issad Rebrab, les dirigeants politiques paraissent aussi être soulagés, ne jugeant pas utile d’offrir une autre alternative au personnel de Liberté. Un autre titre pouvait être créé, pour peu que lui soit garantie de la publicité étatique. Mais c’est là où le bât blesse car de tradition, l’accès à la publicité étatique gérée par l’organisme ANEP est devenue une arme aux mains des autorités. Depuis des décennies, c’est un moyen de pression privilégié à l’encontre des médias qui refusent de s’aligner sur les thèses officielles, ou pour le moins modérer sensiblement leur contenu.
Cela s’est aggravé ces dernières années avec la rareté des annonces du secteur privé sous l’effet de la crise économique et du coronavirus. La presse n’a eu donc – et n’a – comme moyen de survie que ce type de publicité, aucune autre alternative n’ayant existé contrairement aux pays développés où les médias ont à leur portée des mécanismes de soutien gouvernementaux leur permettant, sous cahier des charges, de pouvoir survivre dans la dignité et le professionalisme.
Cette aide gouvernementale est incontournable, pour peu qu’elle soit conséquente et transparente. Il y a une realité, les ventes de journaux dans les kiosques ou les abonnements des sites électroniques n’arrivent pas à couvrir les dépenses de fonctionnement. Elles sont étroitement liées aux ambitions des équipes rédactionnelles : faire un bon média nécessite beaucoup d’argent, la qualité se paye en journalistes chevronnés dans les diverses disciplines, en reportages, investigations, moyens techniques de support, etc.
La presse ne peut être vue comme une marchandise quelconque soumise aux seules lois du marché, même si les médias ne doivent pas se soustraire aux règles de la bonne gestion. L’information participe du service public essentiel : un citoyen bien informé est un homme libre, c’est une porte d’accès vers la démocratie, mieux encore, c’est un moyen de préservation de la sécurite nationale dans un contexte régional et mondial de fortes déstabilisations.
Si les autorités décident donc de sortir de leur silence coupable sur la disparition de Liberté et d’en tirer des leçons essentielles, il ne leur reste qu’à inscrire l’aide étatique à la presse dans les lois à venir sur l’information, l’audiovisuel et la publicité. Une aide qui mettra fin à l’infâme chantage de la publicité gérée par l’ANEP et permettra aux médias serieux de continuer à exister dignement et de voir fleurir d’autres Liberté.