La zone de libre-échange continentale africaine : Comment l’Algérie peut tirer profit à terme de ce projet de marche unique africain ?

20/05/2023 mis à jour: 04:06
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Depuis le 1er janvier 2021, l’Afrique est en train de construire progressivement la zone de libre-échange continentale la plus grande au monde, un marché unique devant offrir des opportunités à ses membres mais dans un contexte de risques majeurs multiples. 

Prenant appui sur une population de 1,3 milliard, un PIB combiné de $3400 milliards, des tendances démographiques favorables, des évolutions technologiques et la disponibilité de matières premières diverses, la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) dont l’idée remonte à la création de l’OUA en 1963, permettra de créer un marché unique continental, booster les échanges extérieurs interafricains stagnants, rehausser une croissance économique faible, relever le niveau de vie sur l’ensemble du continent et renforcer la place de ce dernier au niveau de l’économie mondiale. 

Ce projet s’inscrit dans le long terme et son exécution commence, toutefois, dans un contexte international difficile marqué par des chocs multiples. En tout état de cause, le succès du marché unique passera par une coopération politique forte incontournable pour mener les réformes indispensables sous-jacentes. En tant que pays membre de ce projet, l’Algérie devrait tout mettre en œuvre (y compris des politiques publiques appropriées) pour récolter les fruits d’une expansion du commerce interafricain et de l’intégration continentale. Discutions de tous ces points. 
 

Sur le commerce transfrontalier et inter-africain avant la mise en vigueur de la ZECLA 
 

Les indicateurs et données de base (1990-2019)  :  des performances qui soulignent la difficulté du continent à s’extraire de son passé colonial. 

1. L’Afrique représente 2,5% du commerce mondial. 
2. Le commerce en Afrique dans son ensemble est passé de 53 % du PIB en 1990 à 67 % en 2019. Cette expansion est le résultat d’un accroissement des volumes et des prix.
3. Le partenariat commercial de l’Afrique a évolué, avec des nouvelles relations tissées avec les économies de marché émergentes, dont la Chine, l’Inde et la Turquie. 
4. Le pétrole, les minerais et les matières premières sont les principaux produits d’exportations vers les grandes économies asiatiques (passant de 5 % des exportations totales de l’Afrique en 1990 à 23 % en 2019) au détriment de l’Union européenne et des Etats-Unis (passant de 65 % des exportations totales en 2000 à 38 % en 2019). 
5. La part du commerce des produits manufacturés est restée stable à environ 35 % du PIB. 
6. Le commerce des services de l’Afrique a peu progressé (16 % du PIB contre 25% à l’échelle mondiale). 
7. Excluant le secteur informel, le commerce interafricain a augmenté, passant de 5% en 1990 à 15% en 2019. Le niveau de ce commerce est comparable a ceux des pays émergents et en voie de développement, mais inférieur à celui des pays avancés. Ce commerce interafricain est plus diversifié et comprend une plus grande part de produits transformés.  
 

Les échanges commerciaux font face à de nombreuses contraintes : Citons : (1) la faible intégration du continent aux chaînes de valeur mondiales ; (2) le faible contrôle des autorités sur les leviers de la décision économique, y compris le chevauchement entre l’intégration régionale et les contraintes du système commercial multilatéral ; (3) le rôle négatif joué par le chevauchement des accords regionaux et la pluralité des normes commerciales; (4) les faiblesses structurelles en matière de transport, de logistique et de financement ; et (5) la bureaucratie et la corruption. Notons en outre, l’importance des échanges transfrontaliers informels importants ainsi que les barrières tarifaires et non tarifaires, les contrôles tatillons à la douane et les entraves à la libre circulation de la main d’œuvre et des capitaux.  

Panorama sur la ZECLA 

Vecteur d’une plus grande expansion de l’intégration commerciale du continent africain. Une double marge existe : (1) pour une plus grande intégration commerciale dans certaines sous-régions et industries, y compris la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), l’Union du Maghreb arabe (UMA), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; et (2) pour des échanges intrarégionaux plus intensifs portant sur une large gamme de produits de base et manufacturés ainsi que les biens alimentaires et forestiers. 

Les membres : 54 pays africains (sauf l’Erythrée), ont signé l’accord et 46 d’entre eux l’ont ratifié (dont l’Algérie).  
L’objectif stratégique : développer le commerce intra-africain de biens et de services ; accroitre la compétitivité grâce aux économies d’échelle et à la diversification ; promouvoir l’industrialisation, la transformation structurelle et l’égalité des sexes ; et jeter les bases d’une future union douanière et d’un marché unique. 

Les axes-clés de l’accord commercial : (1) éliminer les droits de douane sur 90 % des marchandises non sensibles échangées entre les pays africains sur 5 années à partir du 1er janvier 2021 (10 ans pour les pays moins développés), les 10 % restants devant être progressivement supprimés ; (2) éliminer les barrières non tarifaires ; (3) définir des règles d’origine : pour déterminer quelles marchandises peuvent bénéficier d’un traitement préférentiel en vertu de l’accord, ce qui pose le problème de l’intégrité et traçabilité des produits échangeables ; (4) libéralisation du commerce des services, y compris les services financiers, les télécommunications et les transports ; et (5) favoriser et promouvoir l’investissement étranger en Afrique. Pour ce qui est différends entre états membres, l’accord commercial prévoit la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entre les États membres. 

La mise en œuvre : passera par plusieurs phases, la première se focalisant sur le commerce des marchandises et la seconde couvrant les services, la protection de l’investissement, la concurrence, le commerce numérique et la place des femmes et des jeunes dans le commerce. Le commerce sous les règles de la ZECLA a effectivement commencé en octobre 2022 avec des échanges entre 7 pays-pilotes (Cameroun, Egypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda et Tunisie). 

Les grandes réformes qui conditionnent la réussite de ce projet phare : (1) des mesures fiscales pour intégrer les mesures de désarmement tarifaire dans les législations nationales et éliminer les restrictions commerciales des différents pays pour faire baisser les coûts du commerce et faciliter la circulation des marchandises; (2) une réforme de l’environnement des affaires en Afrique pour faciliter les investissements transfrontaliers ; (3) des programmes ambitieux multisectoriels portant sur l’intégration réelle au moyen de l’industrialisation du continent (pour créer davantage de valeur ajoutée), de la mise en place des chaines de valeur africaines (agriculture, agro-industrie, pharmacie et automobiles), du  développement des chaines de transport et de logistique et de l’expansion du commerce numérique ; et (4) des programmes portant intégration financière du continent pour disposer de systèmes de financement et de paiements interconnectés. Tous ces programmes impliquent une forte coopération politique. 

Les impacts des réductions de droits de douane et des mesures structurelles d’accompagnement : Selon le FMI :  (1) les seules réductions de droits de douane se traduiraient par un accroissement de 15 % des échanges interafricains de marchandises et une hausse de 1,25 % en moyenne du PIB réel par habitant ; (2) en cas de combinaison des deux types de mesures, elles feraient progresser les échanges interafricains de marchandises (53%) et ceux avec le reste du monde (15%). 

Le PIB réel moyen par habitant augmenterait de plus de 10%. Ce dynamisme commercial devrait extraire de la pauvreté entre 30 à 50 millions de personnes supplémentaires.Le projet de la ZECLA fait face pour l’heure à une grave pénurie de financements. 

Tout comme le reste du monde, l’Afrique fait face à des chocs multiples (pandémie, guerre en Ukraine, hausse des prix internationaux des denrées alimentaires et du carburant, resserrement des conditions monétaires et financières, turbulences dans le secteur financier mondial, intensification des chocs climatiques et tensions géostratégiques et géoéconomiques) qui ont réduit les réserves budgétaires et extérieures, aggravé les déséquilibres macroéconomiques et déprécié les taux de change. Plus grave, le continent a des difficultés à se financer du fait de la hausse des taux d’intérêt mondiaux et des spreads souverains, de la baisse des budgets d’assistance externe et de la chute des flux d’investissement extérieurs. 
 

Algérie : Comment la création de la ZECLA peut renforcer à terme le commerce extérieur de l’Algérie  ? 
L’Algérie a ratifié l’accord sur la ZECLA (signé le 18 mars 2018 à Kigali) le 15 décembre 2019 et a déposé les instruments de ratification le 3 juin 2021. Elle est en phase de préparation de sa stratégie commerciale à long terme en conformité avec les objectifs de la ZECLA. 

Pour bénéficier des avantages de ce nouvel espace d’intégration commerciale en construction, l’Algérie devra entreprendre de nombreuses réformes pour s’extraire du modèle économique de rente actuel et bénéficier des avantages offerts par la montée en puissance d’un tel marché unique.  Au pays de bien se préparer pour surmonter un certain de défis et faire fructifier ses atouts.  
Le défi du manque de diversification du secteur extérieur  
 

1. Une base d’exportation restreinte : Les exportations ont atteint $60,3 milliards en 2022 ($39,3 milliards en 2021). La part du pétrole est de 90% en 2022. De façon générale, la hausse des exportations ne reflète qu’un effet prix des hydrocarbures lié à des évènements géostratégiques ou des chocs externes. Six décennies plus tard, la diversification des exportations n’est pas au rendez-vous. 
 

2.Des importations diverses : ont totalisé $40,1 milliards ($37,7 milliards en 2021 et $46,3 milliards en 2018, soit une baisse de 15 % sur 5 ans). La part des produits alimentaires dans les importations totales est de 27% en 2022. Une forte dépendance qui a survécu au temps pour de nombreuses raisons. Pour les biens d’équipements, leur part se situe à 22,4 % en 2022 et 43,2 % en 2021 et 32,6 % en 2019 (avant la pandémie). Une chute continue des importations d’équipements au moment où l’économie sort endommagée par la pandémie. 

3.Un partenariat commercial limité avec l’Afrique.  En 2022, les importations viennent de l’Europe (40,5%), suivie de l’Asie/Océanie (35,3%), l’Amérique (20,6 %) et l’Afrique (4,1 %). Les exportations vont vers l’Europe (67,7 %), suivie de l’Asie/Océanie (19,8 %), l’Amérique (8,6%) et l’Afrique (3,95 %). Un partenariat concentré révélateur d’une faible diversification.

Feuille de route possible pour une diversification des exportations. Avec un monde en plein bouleversement économique et géostratégique et au milieu d’une transition énergétique incontournable, et pour bénéficier au maximum et à terme de la nouvelle ZECLA, le pays gagnerait à se doter d’une stratégie de diversification des exportations cohérente avec une stratégie à long terme de réforme du modèle de développement du pays. Trois grands volets : 
 

Volet 1 : Articuler des politiques macroéconomiques structurelles et sectorielles cohérentes : appuyant le retour aux grands équilibres, la diversification des activités de production et le ciblage de secteur à haute valeur ajoutée. Cet axe devrait également intégrer les coûts fiscaux liés à la participation à la ZECLA.  

Volet 2. Est liée elle-même à la diversification économique, processus complexe et long qui ne peut résulter que d’une transformation structurelle de l’économie tirée par de hauts niveaux de productivité provenant d’une réallocation intra et inter sectorielle des ressources. 

Ceci implique : (1) le renforcement de la qualité du capital humain par le biais d’une amélioration de la qualité des enseignements primaire, secondaire et supérieur pour rehausser la qualité du marché du travail, favoriser la création et in fine soutenir la croissance et les exportations; (2) l’ouverture commerciale qui permet de s’exposer à la concurrence et d’acquérir un savoir-faire ; (3) l’amélioration de la qualité des institutions, mesurée par la qualité de la gouvernance (respect des contrats, arbitrage etc.) et la lutte contre la corruption pour inspirer confiance dans le label Algérie; (4) la mise en place d’infrastructures de qualité, notamment en matière de transports, téléphonie et pénétration internet incontournable pour s’insérer dans le circuit du commerce international électronique ; (6) l’ouverture à terme du compte de capital pour mobiliser l’épargne étrangère, notamment sous la forme d’investissements directs étrangers même si ils tendent à se diriger vers des secteurs où les pays ont un avantage comparatif, notamment le secteur minier ; (7) développement du secteur financier ; et (8) mise en place une politique industrielle qui s’appuie sur des instruments directs et indirects d’intervention pour renforcer la compétitivité des entreprises à l’exportation et placer l’économie du pays sur le marché mondial. 

Volet 3 : Éliminer à terme la dualité du marché des changes (une œuvre de longue haleine) sur le moyen  terme en quatre phases : (1) la réduction de l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (2) le renforcement du fonctionnement du marché officiel de change ; (3) l’assèchement des sources d’offre du marché parallèle ; et (4)l’unification à terme des deux marchés par le biais d’une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d’entrées de ressources extérieures.

 

Par Abdelrahmi Bessaha  , Expert international

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