Grands mouvements de rue hostiles à Abdelhamid Dbeiba et son gouvernement suite à la rencontre israélo-libyenne à Rome. Son déplacement à l’ambassade de Palestine n’a pas calmé l’opinion publique, très remontée contre lui et son gouvernement. Dbeiba est certes très affaibli, mais il bénéficie du chaos institutionnel et de l’absence de tout contre-pouvoir.
Le Parlement libyen de Toubrouk, le Conseil supérieur de l’Etat de Tripoli et le Conseil présidentiel ont tous condamné la rencontre à Rome le 23 août entre la désormais ex-ministre libyenne des Affaires étrangères, Najla Al Mangoush, avec son homologue israélien.
Le Parlement a certes demandé de traduire le gouvernement devant le procureur général pour contact avec l’entité sioniste et recherche de normalisation, acte condamnable par la loi libyenne. C’est tout ce que les institutions libyennes ont pu faire, faute de mécanismes pouvant réellement obliger le gouvernement de Abdelhamid Dbeiba à rendre des comptes durant ces phases indéterminées de transition, qui se poursuivent en Libye depuis le renversement par les Occidentaux de Mouammar El Gueddafi en 2011.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le gouvernement Dbeiba a, lui-même, ouvert une enquête concernant les agissements de sa ministre suspendue, Najla Al Mangoush. Etant à l’étranger et sans doute pour longtemps, il est probable que Mme Al Mangoush aura à rendre des comptes. Cela arrange les affaires d’ailleurs de Dbeiba. Les résultats de l’enquête sont prévus pour demain, puisqu’un délai de 72 heures a été accordé à la commission pour rendre ses conclusions.
Pour ce qui est de l’implication de Dbeiba et les éventuelles poursuites contre son gouvernement, l’organisation provisoire des pouvoirs n’indique rien là-dessus. Il y a juste la loi n°62/1957 qui impose aux Libyens de boycotter Israël et inflige un emprisonnement de trois à dix ans et une amende allant jusqu’à 5000 DL à tout contrevenant. Mme Al Mangoush est déjà à Londres et il reste à prouver l’implication du gouvernement, ce qui n’est pas évident en pareilles circonstances.
La réaction de la rue demeure toutefois la grande inconnue. Jusque-là, des manifestations sporadiques ont eu lieu dans plusieurs villes libyennes. Les manifestants ont brûlé des photos de Najla Al Mangoush. Ils ont également scandé des slogans de soutien à la Palestine et incendié le drapeau d’Israël. A Tripoli, les manifestations se poursuivent depuis dimanche devant le siège de la présidence du gouvernement. Des caravanes de voitures ne cessent de s’y diriger, en vue de renforcer ce rejet de la normalisation avec Israël.
Dbeiba a certes rendu visite à l’ambassade de Palestine et exprimé son attachement à la cause palestinienne. Mais l’effet de cette visite est faible comparativement à la haute tension et à la colère des Libyens, surtout après la circulation d’informations indiquant que c’est l’avion de Dbeiba qui a été utilisé pour l’exfiltration de Najla Al Mangoush en Turquie, d’où elle a pris l’avion vers Londres pour rejoindre sa famille résidente en Angleterre. L’exfiltration de la ministre compromise s’est faite dans l’heure, qui a suivi sa suspension, pour lui éviter toute mauvaise surprise. Cela devrait être une preuve accablante pour Dbeiba.
Un chaos utile…
Le dossier Al Mangoush/Cohen n’a fait qu’envenimer davantage un dossier Libye déjà très complexe. Les observateurs s’interrogent comment Abdelhamid Dbeiba, plus fragile que jamais, pourrait-il faire face à l’opinion publique libyenne, convaincue que Mme Al Mangoush n’aurait pu agir de sa propre gouverne et sans avoir obtenu l’aval de son patron. Les investigations de la Republica, l’Associated-Press et Yediot Aharonot ont confirmé l’existence de contacts préalables à haut niveau entre Israéliens et l’équipe Dbeiba.
Toutefois, et même si la rue et les institutions sont contre les agissements du gouvernement Dbeiba, cela reste sans véritable effet sur la réalité. Le pouvoir réel et l’argent, nerf de toute guerre, sont entre ses mains. Il est néanmoins vrai que son pouvoir sur le terrain ne dépasse pas un rayon de 50 km (autour de Tripoli), là où les milices Erradaâ de Abderraouf Kara et le régiment 444 de Mahmoud Hamza font la loi.
Des milices auxquelles Dbeiba a légué la sécurité de son gouvernement et celle de Tripoli. Et tant qu’il pourra les payer, il ne risque pas d’être dérangé. De plus et comme indiqué plus haut, la rue et les institutions libyennes actuelles ne disposent d’aucun mécanisme pour déposer Dbeiba, même s’ils jouissent d’un soutien populaire immense. Le Parlement de Toubrouk lui a déjà retiré sa confiance depuis le 21 septembre 2021, sans que cela ne lui enlève la moindre de ses prérogatives administratives et financières.
Le politologue libyen Ezzeddine Aguil pense que «le chaos actuel sert Dbeiba, surtout que les vannes de pétrole coulent à flot, ce qui constitue l’unique souci des puissances étrangères». Pour Ezzeddine Aguil, «aucune entité ne peut déposer Dbeiba, sauf si les milices qui le soutiennent font défection, comme du temps d’El Gueddafi qui a été lâché par ses fidèles». Il est certes vrai que tout peut arriver en pareilles circonstances.
Le président du Conseil présidentiel, Mohamed Younes El Menfi, pourrait être tenté par le pouvoir, lui qui venait de rencontrer Haftar à Benghazi et qui a de très bonnes relations avec Abderraouf Kara, le patron de la milice Erradaâ. Mais le profil et les liens internationaux d’El Menfi ne dépassent pas Le Caire et Abou Dhabi. Reste le désistement volontaire de Dbeiba. Difficile certes mais envisageable, si la situation se corse. Mais il n’en est pas encore là !