La philosophie politique dans la pensée d’El Hachemi Cherif (2e partie et fin)

01/08/2023 mis à jour: 03:52
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La justice sociale imprègne tous les aspects des rapports sociaux ; elle réside dans la souveraineté réelle du peuple algérien et l’égalité de tous les citoyens devant la loi, dans le respect du citoyen et la création des conditions nécessaires à son épanouissement. Elle réside aussi dans de larges garanties sociales  : travail assuré pour tous, accès à l’enseignement, à la culture, à l’assistance médicale et au logement. 

L’application rigoureuse de principe de la justice sociale est une importante condition de l’unité du peuple, de la stabilité politique de la société et du dynamisme de son développement. Dans la pensée chérifienne, l’histoire montre que le progrès a toujours été porté par les minorités les plus volontaires et les plus audacieuses et, par ailleurs, l’islamisme et le despotisme, quant à eux, sont le signe de la dégénérescence nationale. 

Elle affiche un optimisme sincère et droit à la réalisation du progrès et de la liberté et exprime inversement un profond scepticisme à l’égard des dogmes religieux et de l’autoritarisme. Les forces islamistes et leurs alliés conservateurs ont toujours œuvré à couper le peuple algérien des éléments de la pensée progressiste et humaniste contenus dans notre patrimoine et ont continuellement entravé son auto-développement vers le progrès. De la même manière qu’ils tentent de couper le pays du patrimoine civilisationnel universel. 

Sensible à l’universalisme philosophique, l’esprit chérifien croit résolument à la validité des principes démocratiques, mais elle entend porter haut la conscience historique algérienne. Il défend un rationalisme critique qui la pousse à s’interroger sur les traits fondamentaux de l’exercice démocratique. En un mot, l’accès à la démocratie est une œuvre de conscience et elle repose non pas sur les propriétés objectives du monde réel, mais sur la perception que l’homme s’en fait. 

L’idée démocratique dans la réflexion chérifienne est bien plus que le résultat d’un projet politique. Elle est l’aboutissement  d’une accumulation historique : elle s’impose que très progressivement, elle est inégale selon les différents espaces géographiques et est régulièrement remise en cause. Et enfin, là ou elle parvient à se stabiliser, elle reste souvent incomplète. Depuis l’indépendance nationale, dans notre pays, la vie politique est marquée par la fusion du despotisme et du religieux, sous la forme d’une subordination volontaire qui condamne l’Algérie à la régression politique et sociale. Les doctrines politiques sont largement soumises aux interprétations théologiques. Représentant du modernisme et infatigable contempteur du dogmatisme religieux, l’esprit cherifien introduit un regard critique sur l’interprétation rigoriste de l’islam et croit à l’affranchissement de l’esprit vis-à-vis du dogme religieux. La solution selon El Hachemi consiste à ne plus penser la religion comme le fondement de l’ordre politique et que la modernité et la démocratie doivent être les piliers les plus solides de la société.  

Optimiste jusqu’à l’opiniâtreté, il est persuadé que le monde évolue dans le sens du progrès universel et doit s’achever dans une entité universelle, marquant la fin du fondamentalisme religieux et du despotisme. Il croit fermement que la raison et la rationalité sont la marque distinctive de ce progrès : toute l’histoire de l’humanité est portée par l’émancipation de la conscience. Enfin, selon El Hachemi, l’achèvement du progrès de la raison est bien la modernité. 

Celle-ci ne doit pas être entendue comme une finalité individuelle, mais comme une réalisation globale et comme l’épanouissement de la société algérienne dans le cadre de l’ordre universel. En élargissant la réflexion politique à la question de l’identité nationale, d’un côté, cette vision rompt ouvertement avec l’approche culturaliste qui contribue à l’érosion lente de la conception communautaire et tribale de la société nationale et de l’autre côté, elle alerte sur les dangers de fragmentation qui menacent notre pays, notre identité et notre personnalité nationale provoquée par l’influence unilatérale de la culture arabo-musulmane à laquelle on s’abreuve à l’exclusion d’autres cultures. 

Dans plusieurs textes politiques, El Hachemi explique cette domination d’abord, dans la nature impérialiste du colonialisme français qui a fait de la relation arabe-amazigh une différence ethnique et culturelle en imposant une rupture entre les deux langues et ensuite, dans l’hégémonie du système politique issu de la guerre de Libération nationale par l’intermédiaire des institutions politiques, intellectuelles et religieuses qui a sacralisé le caractère exclusif de la langue arabe aux dépens de l’amazighité, au nom de l’unité nationale, sacrifiant ainsi le patrimoine historique et la diversité qui fait son unité.   

La pensée chérifienne montre sa nette préférence pour la refondation de l’Etat et propose une réflexion approfondie sur l’organisation de la société dans ses différentes composantes. Elle projette ainsi de comprendre l’Algérie en opérant une vaste synthèse qui en explore tous ses éléments constitutifs. Son objectif est de restituer à la conscience nationale les principes fondamentaux qui commandent la marche de l’histoire et les conditions de son achèvement. L’histoire, d’après El Hachemi, est avant tout celle de la conscience qui se traduit dans un processus immanent de transformation de l’esprit et qui dépasse les intérêts particuliers et les contradictions fondamentales. En effet, l’évolution de l’Algérie doit être le résultat d’un mouvement d’idées et non d’une dynamique des structures matérielles.    
 

L’engagement politique dans l’approche chérifienne est à la fois une doctrine de l’attachement à notre histoire et une morale de l’action qui défend ardemment la modernité. Elle incarne pleinement la libre pensée rationnelle qui milite depuis des décennies en faveur du projet démocratique universel. Cette vision exprime l’amour porté à la patrie et le sens du dévouement à la collectivité nationale. Elle redonne en réalité à la société algérienne la profondeur historique et l’attachement à la raison moderne par sa vision universelle. La modernité est, pour cette raison, le gage de son unité et de son harmonie.  

El Hachemi Cherif expose dans ses analyses la nécessité de protéger l’Algérie contre tous les dangers extérieurs et intérieurs qui menacent l’unité et la cohésion de l’Etat national. Dans sa réflexion politique, l’impérialisme, l’islamisme et le despotisme tentent de mettre en péril les fondements de la nation dans ses multiples valeurs, à savoir culturelles, identitaires et historiques. 

Ce triple rejet à la fois de l’impérialisme, de l’islamisme et du despotisme l’a incité à faire le choix de la réflexion philosophique à se prononcer sur les questions nationales et internationales.  Ces choix prennent place dans une réflexion globale sur les conditions idéales de réalisation des institutions de la République dans la perspective de la refondation nationale. Il vise dans la réalité à trouver des solutions radicales pour réaliser le devenir collectif algérien et mettre fin au mouvement de déclin politico-social et moral incarné essentiellement par les  forces islamo-conservatrices et le système despotique. 

En définitif, il entend faire reposer l’ordre politique sur l’éthique, c’est-à-dire sur un ensemble de valeurs et de comportements propices à la concrétisation du projet démocratique moderne. Dans la doctrine chérifienne, l’impérialisme continue de vivre dans une grande mesure grâce au pillage des États postcoloniaux et à leur exploitation la plus impitoyable. Les formes et les méthodes ont changé, mais la nature reste la même. L’échange non équivalent, le commerce inégal et le drainage opéré par les multinationales agissent dans une seule et même direction : la dilapidation des richesses des anciennes colonies. Le capitalisme aggrave encore plus la pauvreté et la misère des uns, accroît la richesse des autres et renforcent la polarisation dans l’économie néolibérale mondiale.   

L’électoralisme dans l’analyse chérifienne conforte et renforce le système. Le long terme est ainsi sacrifié au profit du très court terme, et l’intérêt général du pays au profit de l’intérêt catégoriel. Les conséquences matérielles de l’électoralisme sont notamment néfaste au niveau politique et il n’a induit aucun changement profond des mentalités, au contraire, il a soutenu et accentué le contexte idéologique et politique du régime.   
L’incompatibilité du pouvoir et la richesse est la première règle politique, qui se dégage de l’éthique d’El Hachemi. Il dénonce l’intrusion et l’influence de l’argent dans la politique : morale proprement rentière qui stimule les égoïsmes, rétrécit l’esprit et divise les Algériens. Il fustige à cet égard les élites au régime qui atomisent le pouvoir et s’arrogent des prérogatives pour satisfaire leur intérêts personnels. 

L’oligarchie à ses yeux est doublement dangereuse. Elle suscite toutes les convoitises, dilapide les richesses nationales, valorise les comportements ostentatoires et méprise les plus humbles. Et enfin, elle attise à cet égard les tensions entre une minorité toujours plus riche et une majorité toujours plus pauvre.  
 

En définitive, la philosophie chérifienne projette une vision d’ensemble d’un univers gouverné par l’édifice moral et intellectuel sur lequel repose la société moderne, dont la pierre angulaire est la refondation politique nationale. Mais aucune personnalité, quelle que soit sa stature ou un parti politique quelque soit son influence ne sont en mesure, à eux seuls, de résoudre les problèmes globaux, concernant le devenir de l’Algérie et le choix du projet de société. La coopération à l’échelle nationale, l’interaction étroite et constructive des forces ancrées dans les valeurs modernes sont indispensables pour construire les rapports de force.   
 

Ainsi, l’alternative politique dans la pensée d’El Hachemi est dans la lutte concertée, réfléchie et puis, conditionnée incontestablement par la convergence de l’ensemble des possibilités et des forces modernes qui forgent la vie politique nationale, au niveau de l’individu, mais aussi à celui de la société toute entière. Cette démarche parviendra un temps à édifier un front politique durable et, sous l’influence de l’universalité, à bâtir un corpus idéologique dans une dynamique de la reconstruction de la société nationale.  

Mais il n’ y a absolument aucun doute, si El Hachemi Cherif  était encore parmi nous, grâce à sa conscience aiguë des enjeux, à son tempérament révolutionnaire et à sa vocation d’homme de rupture, il aurait apporté une très grande contribution à l’œuvre de redressement national, initiée et portée par le Hirak national. Il aurait sans doute compris dans quelle direction ces ruptures et changements vont s’opérer, quel en sera le contenu et quelles seront les forces motrices. 
 

Par Mustapha Hadni , Coordinateur du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) 
 

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