La nécessaire transformation de Sonatrach

23/03/2022 mis à jour: 05:03
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Dans une contribution à El Watan du 11 novembre 2019 intitulée «Libérer Sonatrach», je recommandais une ouverture plus franche et plus déterminée de la compagnie nationale à l’international. 

A cet égard, je citais plusieurs exemples de compagnies pétrolières nationales (NOCs-National Oil Companies) qui ont suivi ce chemin avec beaucoup de succès. La plus en vue et la plus dynamique dans ce domaine semble être Qatar Petroleum (QP). QP s’est associée, à hauteur de 30%, avec ExxonMobil dans le bassin de Neuquén, en Argentine, pour produire de l’huile de schiste.

 Cette initiative peut paraître anodine et circonstancielle, mais elle fait partie d’une stratégie de diversification bien pensée. QP a poussé plus loin encore son initiative en diversifiant ses alliances stratégiques avec d’autres majors. Par exemple, en s’associant à hauteur de 30% en Namibie avec Total Energies. Toujours au large de la Namibie, la société qatarie est devenue partenaire de Shell dans deux blocs d’exploration, et avec ExxonMobil à hauteur de 40% à Chypre. 

On la trouve en partenariat dans bien d’autres pays comme l’Angola (avec Shell et Total), en Afrique du Sud (avec Total), en Côte d’Ivoire (avec Total), au Kenya (avec Eni), au Mozambique (avec Eni), en Egypte (avec Shell), au Surinam (seule), dans la Guyane (avec Total), au Brésil (avec Total et Petronas-Malaisie), au Canada et aux Etats-Unis (avec ExxonMobil), au Mexique (avec Total). 

Cette longue énumération des partenariats de QP n’est pas faite pour glorifier QP. Elle est donnée pour illustrer un point important, à savoir que QP ne se limite pas qu’aux annonces faites en fanfare de Mémorandum of Interest (MOI) ou de Mémorandum of Understanding (MoU) dont semble raffoler notre chère Sonatrach. 

A l’inverse, QP a poursuivi une stratégie vigoureuse, similaire à celle adoptée par d’autres NOCs. C’est le cas de Petrobras (Brésil), Petronas (Malaisie), Pertamina (Indonésie), PetroVietnam (Vietnam), PTTP (Thaïlande) et de bien d’autres NOCs. Ces compagnies ont toujours favorisé des partenariats hors de leurs frontières nationales avec les compagnies pétrolières internationales, dites IOCs (International Oil Companies), telles ExxonMobil, Shell, BP, Chevron, Eni ou Total. Et cela, avec des résultats positifs dans la plupart des cas.

L’ironie dans tout cela, c’est que SH a depuis longtemps entamé son ouverture à l’international. Mais elle l’a fait dans la plus grande opacité, sous sa filiale internationale connue sous le nom de Sipex BV. C’est comme si la compagnie avait honte de ses activités hors de nos frontières. En effet, déjà en 2000, Sipex est présente au Pérou en tant que membre d’un consortium international comprenant Pluspetrol (27,2%), Hunt Oil Company (25,2%), SK Corporation (17,6%), Repsol YPF (10%), Tecpetrol (10%) et Sonatrach (10%). 

Ce consortium avait signé un contrat pour le développement du champ gazier de Camisea. Plus tard, Sonatrach s’est déployée à l’international, timidement et toujours sans visibilité apparente, en Libye, en Tunisie, au Mali et au Niger. Pour les mêmes raisons d’opacité, il n’est pas clair si elle s’est déployée en tant que Sonatrach ou comme Sipex BV.

Cette projection à l’international devient aujourd’hui plus que nécessaire. Mais elle est loin d’être suffisante. Certains pourraient dire que ce genre de partenariat est financièrement hors de portée de Sonatrach. La réponse à cette préoccupation se trouve dans le mode de financement adopté.

 Or, c’est le même modèle couramment utilisé dans le développement de projets dans l’amont pétrolier, à savoir formule de «Project Finance», qui pourrait être utilisé ici. Cette formule a l’avantage d’éviter le recours aux garanties des actionnaires. Un mode de financement que j’ai eu à très bien connaître tout au long de ma carrière au sein de la SFI (Société financière internationale). Une formule qui consiste à utiliser la dette à travers un Special Purpose Vehicle (SPV), où la dette est souvent sans recours. 

Ce qui veut dire que ce n’est pas l’Etat qui s’endette mais le projet SPV avec une variété de garanties. Sans oublier que ce genre d’investissement à l’international non seulement génère des dividendes substantiels en devises, mais contribuera à résoudre le problème de notre production nationale aujourd’hui en déclin ; et c’est là un enjeu critique pour l’Algérie.

La transition énergétique bouleverse des règles du jeu sur le marché mondial de l’énergie

Depuis les cinq dernières années, les diverses pressions exercées sur les compagnies pétrolières commencent à avoir un impact réel sur l’économie mondiale de l’énergie. Une évolution qui se matérialise déjà par le changement de l’identité des majors qui passent de compagnies «pétrolières» vers celle de compagnies «énergétiques». Ainsi, en 2021, la compagnie française Total change de nom pour devenir Total Energies. Bien avant Total, dès 2018, Statoil avait annoncé éliminer le mot «oil» de son nom pour se rebaptiser désormais Equinor. 

Même volonté affichée par BP pour se définir désormais «Beyond Petroleum» et non plus British Petroleum. Shell, pour sa part, annonce une nouvelle stratégie pour accélérer sa transformation en fournisseur de produits et services énergétiques net-zéro émission. Toutes ces compagnies visent une neutralité carbone aux horizons 2030/2050. Même les deux majors ExxonMobil et Chevron, qui jusqu’à récemment semblaient résister à la pression de la transition énergétique, commencent à donner des signes d’inflexion de leur vocation. 

Pas plus tard que ce mois de janvier 2022, ExxonMobil annonce son ambition d’atteindre l’objectif net-zéro ou neutralité carbone à l’horizon 2050. Côté NOCs, certaines changent aussi leurs noms. C’est le cas de Qatar Petroleum qui devient Qatar Energy. 

Ces changements de nom sont accompagnés d’engagements fermes pour transformer ces opérateurs en fournisseurs d’énergies renouvelables, reflétant ainsi une nouvelle stratégie parfaitement claire, centrée sur la transition énergétique. Ainsi, Shell, Total Energies et BP ont obtenu récemment les droits pour développer des parcs éoliens au large de l’Ecosse.

L’hydrogène vert apparaît comme une opportunité exceptionnelle pour les énergies renouvelables

La production d’hydrogène est un autre élément-clé qui entre de plus en plus dans les partenariats récents entre grands acteurs de l’industrie pétrolière, tel celui récemment conclu entre S-OIL et Aramco. 

C’est l’hydrogène dit «vert», produit en divisant l’eau en ses deux composants à l’aide d’électricité provenant de sources d’énergies renouvelables. Cette nouvelle source est de plus en plus considérée comme un carburant du futur pour réduire les émissions de carbone. Les recherches récentes ont permis la mise au point d’un nouveau processus de génération d’hydrogène à partir d’eau de mer en utilisant l’énergie solaire ; une avancée qui ouvre la voie à une nouvelle source d’énergie durable.

 Beaucoup moins onéreuse que les méthodes existantes de fractionnement de l’eau qui reposent sur une eau hautement purifiée, très chère à produire. L’hydrogène est donc là et toutes les tendances indiquent qu’il deviendra un élément-clé dans l’énergie renouvelable du futur. 

Sonatrach a la possibilité de développer de vrais atouts pour réussir la transition énergétique

Pour amorcer une nouvelle stratégie centrée sur une transition énergétique, Sonatrach devra impérativement se transformer structurellement. Cette transformation structurelle doit être le résultat d’une volonté politique ferme pour s’engager explicitement dans une stratégie globale de transition énergétique. Dans ma dernière contribution à El Watan, j’insistais sur le besoin de hisser SH au niveau des majors du secteur en se déployant et en se projetant de façon résolue à l’international. J’insistais particulièrement sur l’indispensable refonte de la gouvernance de la compagnie et sur la nécessité de l’autonomisation de son Conseil d’administration (CA). Je signalais le besoin d’assurer la continuité et la stabilité dans sa gestion pour éviter de changer de PDG pratiquement tous les ans. Cela passe par un profond changement dans la culture d’entreprise. 

Pour cela, Sonatrach a besoin de se libérer de l’ingérence étouffante de la tutelle pour avoir une liberté d’action suffisante. Bien entendu, la tutelle peut avoir plus que son mot à dire à travers le conseil d’administration pour influencer les décisions stratégiques prises par Sonatrach. 

Cette «libération» de Sonatrach ne fera que renforcer sa position aux yeux de ses partenaires étrangers. Et, de grâce, évitons l’inutile amalgame, et dire clairement à ce propos que la libération ou l’autonomisation de Sonatrach n’est nullement synonyme de prélude à sa privatisation. Répétons qu’il s’agit de renforcer le rôle et l’image de la Sonatrach sur le marché mondial de l’énergie. Une condition indispensable pour réussir ses objectifs stratégiques.

 Le renforcement du CA pourrait s’accompagner d’autres mesures opportunes : renforcer la fonction de PDG, élargir le CA à des administrateurs indépendants, dissocier les fonctions de PDG et du président du CA. Il s’agit fondamentalement de laisser Sonatrach innover et agir avec une autonomie compatible avec les exigences du marché mondial de l’énergie. 

Pour conclure, il est de plus en plus urgent de s’engager de façon franche et claire dans un débat entre spécialistes sur ces questions. Car il s’agit d’un enjeu national et le besoin d’un débat sur la stratégie de la transition énergétique est donc vital.Dans cette perspective, on pourrait mettre en débat plusieurs possibilités. 

Par exemple, est-il envisageable d’aller vers la fusion de Sonatrach-Sonelgaz pour former une nouvelle entité, de préférence avec un nouveau nom qui exclut l’usage de Sona-ceci ou Sona-cela ? Pourquoi ne pas inclure dans cette entité la nouvelle société mixte Shems. 

On pourrait aussi aligner les activités de cette nouvelle unité le long des chaînes de valeur axées sur le marché et parmi d’autres questions stratégiques inclure la perspective pour cette nouvelle unité d’envisager la co-localisation ou couplage électrolyseur-centrale solaire pour améliorer la rentabilité du couplage. Ouvrons donc ce débat ! Il est plus qu’urgent pour la sauvegarde de la souveraineté nationale. 

Ahmed Kebaïli , Spécialiste des questions pétrolières
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