Conçue au départ pour avoir un droit de regard sur la manière dont a été utilisé l’argent public par l’Exécutif, la loi de règlement budgétaire est effectuée chaque année uniquement parce qu’il s’agit notamment d’une obligation légale.
La Commission des finances et du budget de l’APN a examiné mardi dernier le projet de loi de règlement budgétaire 2019. Il s’agit ainsi de présenter la clôture de l’exercice budgétaire en référence, trois années plus tard. Il apparaît d’emblée que cette entreprise est en net décalage par rapport aux réalités d’aujourd’hui et aux besoins de projections et de prospectives.
A quoi pourrait donc bien servir de savoir si le projections durant tel exercice a tenu ses promesses et à quel taux, si les résultats sont établis trois ans plus tard, comme c’est le cas présentement dans le pays. Les lois de règlements budgétaires portent toujours sur l’année A-3. C’est-à-dire que c’est en 2022 qu’on va faire le point sur l’exercice budgétaire de 2019, et c’est en 2021 qu’on a les résultats de celui de 2018, etc.
Pourtant, tout le monde est d’accord pour souligner que cet exercice parlementaire, conçu au départ pour avoir un droit de regard sur ce qui aura été réalisé, est effectué chaque année uniquement parce qu’il s’agit notamment d’une obligation légale. A peine s’il présente un intérêt comptable. Quant au reste, cela n’offre presqu’aucune visibilité budgétaire ni au gouvernement ni encore moins aux parlementaires qui interviennent beaucoup trop tard par rapport aux besoins de réorientation par exemple des politiques publiques ou de contrôle de l’action du gouvernement.
L’exposé qui a été présenté par le ministre du Commerce, Kamel Rezig, au nom du Premier ministre et ministre des Finances, selon l’APS, fait état d’un taux de croissance économique de 0,8% en 2019 contre des prévisions de croissance de 2,6% pour cette année, soit une différence de -1,8%.
Comme il y a eu recul de croissance de -0,4% par rapport à 2018 (1,2% de croissance). Selon les chiffres fournis, le secteur des hydrocarbures a enregistré 3990 milliards DA, soit -558,4 milliards DA par rapport à l’exercice précédent (4548,8%) et -263,9 milliards DA par rapport aux prévisions de la loi de finances (4254 milliards DA). C’est dire si l’année 2019 a enregistré des contre-performances.
Le rôle de l’APN
Les prévisions du gouvernement sur les prix de référence du cours du brut qui sert de base à l’élaboration du projet de lois des finances se sont avérées infondées puisque le prix du marché s’est établi à 64,4 dollars le baril contre le prix prévisionnel de 60 dollars et contre 71,3 en 2018.
Quant au taux de change moyen, ce dernier a reculé de 2,8 DA/1 dollar passant de 116,6 DA/1 dollar en 2018 à 119,4 DA/1 dollar en 2019. Concernant le taux d’inflation enregistré en 2019, il a atteint 2% contre 4,3% en 2018 et 4,5% selon les prévisions de la loi de finances. Il est à se demander ainsi, au vu des résultats obtenus, si les leçons à en tirer n’allaient pas servir à l’examen de la situation économique actuelle ?
«En Algérie, la loi de règlement budgétaire est le troisième segment du cycle budgétaire (avec un décalage temporel) qui débute par la loi de finances initiale et éventuellement modifiée par la loi de finances rectificative en cours d’exercice. A la fin de chaque exercice, et avec un recul de 3 ans (N-3) selon les lois de finances N° 84-17 du 17 juillet 1984, la loi de règlement budgétaire arrête le montant définitif des dépenses et des recettes de l’Etat et le résultat financier qui en découle. Par ailleurs, elle décrit les opérations de trésorerie et ratifie les opérations réglementaires ayant affecté l’exécution du budget.
Elle peut en outre comprendre des dispositions sur l’information et le contrôle des dépenses publiques, la comptabilité et la responsabilité des agents. En l’état actuel des choses, la loi de règlement a une nature essentiellement comptable et informationnelle. Sa publication 3 ans plus tard après la fin de l’exercice budgétaire en considération lui ôte tout intérêt économique», souligne Abdelrahmi Bessaha, spécialiste de la macro-économie et expert au FMI.
Interrogé sur la pertinence d’une loi de règlement budgétaire telle qu’elle est conçue actuellement, l’économiste Mahfoud Kaoubi considère, lui, que des réformes doivent être opérées à ce niveau. Selon lui, «L’APN doit pouvoir créer en son sein des commissions capables d’aller jusqu’à auditionner des ministres, le directeur du Trésor et autres responsables de gestion de l’argent public juste pour voir ce qui ne va pas.
Et pouvoir dire : ‘‘Lorsque vous êtes venus le premier jour avec un projet de loi de finances, vous nous avez promis telle et telle chose, et on a voté pour telle et telle opération… Aujourd’hui, on aimerait bien statuer sur les réalisations’’. La loi de règlement budgétaire est plus un élément de contrôle qu’autre chose. C’est le sens premier de cette loi».
Au cours du débat, a rapporté l’APS, certains membres ont déploré le texte en vigueur relatif au contrôle de l’application des lois par le Parlement, lequel fixe l’année de référence pour débat à «A-3». Il en va ainsi de la mission de contrôle que l’APN n’est pas en mesure de mener en l’état actuel des choses.
«Bien sûr ! Parce que c’est une loi qui va être votée. La loi de finances est un acte d’autorisation par définition. Un acte législatif à travers lequel la population autorise l’Exécutif à réaliser un programme annuel. Il s’agit donc d’un acte d’autorisation légal et budgétaire.
Mais au-delà de l’acte d’autorisation, la loi de règlement budgétaire est là normalement pour permettre de statuer sur le degrés de réalisation du programme et de la manière avec laquelle ont été dépensées les autorisations qui ont été approuvées par l’Assemblée», explique-t-il. Et d’enchaîner : «Il faut intervenir à chaud. Seule une loi N-1 pourrait localiser les failles et déterminer les problèmes».
Les exercices 2023,2024, 2025
A l’heure où le gouvernement fait de la rationalisation de la dépense budgétaire son cheval de bataille, force est d’admettre que le problème de gestion se pose avec acuité. Des tentatives de réforme du système budgétaire – afin de consacrer la transparence – ont jusque-là tourné court.
M. Kaoubi met le doigt sur la plaie quand il affirme : «Il n’y a pas de dynamique réelle de gestion de la chose publique. On gère n’importe comment. On gère d’une manière bureaucratique et l’année prochaine on décide de mettre plus d’argent parce que cela n’a pas suffi. Pourquoi on parle de la modernisation de la gestion budgétaire ? Ce n’est pas uniquement en termes de procédures, mais en termes de système de contrôle et d’évaluation. Dans tous les pays, on rattache la dépense à des objectifs.
Mais qui contrôle ces objectifs ? L’administration ne peut pas être juge et partie. C’est pourquoi, il y a des mécanismes juridictionnels (la Cour des comptes) et des mécanismes politiques où c’est l’Assemblée populaire nationale qui doit contrôler. Aux Etats-Unis et en France, les députés s’intéressent de très près à ces questions au sein des commissions. Par exemple, une commission se saisit de la dépense du secteur de la santé ou de l’éducation pour statuer. Ou encore en matière d’impôts, voir quels moyens ont été mis en place par le ministère pour recouvrer des recettes. Le fonds de régulation aussi.
Donc, pour tout cela, il y a un travail extraordinaire à accomplir.» Dernièrement, le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, a annoncé que désormais les réévaluations qui dépasseraient les 10% du projet ne seraient pas acceptées. L’année prochaine devra être celle où le changement législatif devra induire la réforme sur le terrain.
M. Bessaha rappelle, à ce titre, que «la loi 84-17 du 17 juillet 1984 a été remplacée par la loi organique (mise en place par la Constitution de 1996) portant lois de finances du 2 septembre 2018. Cette loi devra entrer en vigueur en 2023».
«Ce décalage est important pour aider les services de l’Etat à se préparer à mettre en place des budgets-programme et d’autres nouveautés qui sont prévus à cet effet. En plus la nouvelle loi organique sur les lois de finances prévoit que les lois de règlement pour les exercices 2023, 2024, 2025 seront préparées suivant la règle N-2, tandis que la loi de règlement pour l’exercice 2026 sera préparée suivant la règle N-1.
A ce stade, les lois de règlement pourraient servir de base de projection et de préparation d’un cadre budgétaire à moyen terme crédible et de cadre de dépenses à moyen terme en cohérence avec le cadre macro-économique à moyen terme. L’Algérie disposera alors d’outils modernes de pilotage de l’économie et des finances publiques», a-t-il considéré.
Ainsi, il apparaît que la visibilité budgétaire ne peut réellement être assurée, théoriquement, qu’à l’horizon 2026. Entre-temps, l’Assemblée populaire nationale sera réduite à «déplorer» l’absence d’outils à même de lui permettre d’avoir un droit de regard sur la gestion de l’argent public. Encore faut-il que cette dernière ne souffre pas du manque de légitimité afin qu’elle puisse réellement jouer son rôle de contre-pouvoir.
Car, en vérité, la question fondamentale de contrôle par les représentants du peuple commence avec la régularité des urnes. C’est même la pierre angulaire.