La compagnie Rassegna a offert de réels moments de partage musical au public du TRO à Oran, un spectacle intitulé Luna LLela, prélude à une petite tournée devant concerner cette semaine autant Tlemcen (maison de la culture) que Annaba (29 avril) et Constantine (30 avril), un événement organisé en collaboration et à l’initiative de l’Institut français.
Le répertoire proposé puise dans les chants traditionnels espagnols, Italiens de la Sicile ou d’ailleurs, du sud de la France continentale (Occitanie) ou de Corse mais aussi d’Algérie ou du Maroc avec parfois des inspirations qui vont au-delà.
Un véritable patchwork musical méditerranéen avec parfois des tentatives de réellement modeler les morceaux proposés par les uns et les autres afin de leur donner un nouvel aspect ou du moins une couleur relativement commune et avec plus ou moins de réussite. La formation venue pour cette occasion comporte deux chanteuses (parmi les 5 musiciens), Carine Lotta et Sylvie Paz.
Fondateur du projet et directeur artistique, Bruno Allary le dit si bien «une bonne partie du patrimoine musical traditionnel est l’œuvre de femmes», en évoquant les reprises de certaines artistes considérées comme de grandes dames à l’instar de Lola Flores (1923-1995).
En déclarant être déjà venu à Oran pour une participation au festival du raï (au début des années 2000, sans doute en 2001), il a omis de dire dans quel conteste mais, pour ceux qui s’en souviennent, c’était justement pour accompagner à la guitare sa propre mère, chanteuse de flamenco, invitée le temps d’une prestation à une époque où le festival en question, alors organisé par Touil Nasreddine (Nasro), président d’une association de promotion de la chanson oranaise, adoptait ce genre d’initiatives incluant d’autres performances pour agrémenter les soirées estivales.
La mise sur pied de la compagnie en question se situe dans cette période-là, c’est-à-dire en 2000 et l’idée était dès le départ de créer quelque chose autour de ce qui pourrait rapprocher toutes ces traditions et la musique en est l’outil le plus indiqué. Le partage se remarque, y compris dans les instruments adoptés.
Lui-même, en plus de la guitare, adopte le mandole comme deuxième instrument apportant ainsi un son particulier et une façon de pratiquer l’instrument proche de la manière turque, cet autre pays méditerranéen situé aux confins de l’Europe.
Héritage culturel
Fouad Didi joue du violon mais son instrument de prédilection semble plutôt être le oud (luth), car les solos exécutés lorsque l’occasion lui était offerte dans le spectacle sont d’une beauté époustouflante.
Lui est issu de la tradition algérienne et par extension maghrébine dite «andalouse», un héritage culturel incontestable des populations revenues pour beaucoup d’entre elles «au bercail» après plusieurs générations, suite à leur expulsion d’Andalousie à partir de la fin du XVe siècle et qui se sont essaimées dans les grandes cités médiévales, un style certainement enrichi par les pratiques locales.
C’est lui qui va proposer un hawzi avec un texte, explique-t-il, du XXe siècle d’un parolier marocain. Ailleurs, à l’un des modes de la «nouba», il sera accompagné par un rythme de valse.
La qualité de l’échange traduit la complicité qui existe entre les membres de la troupe. Si Fouad Didi était là depuis le début, Hassan Boukerrou le percussionniste aussi. La richesse du patrimoine musical maghrébin (algérien en particulier) se traduit également par la diversité de ses rythmes conférant à ses musiciens une capacité d’adaptation hors du commun.
Le spectacle est riche de ses enchevêtrements qui font qu’une chanson sicilienne est par exemple adaptée à un rythme typiquement égyptien (dominant aussi au Moyen Orient).
A l’aise sur plusieurs registres, Hassan Boukerrou combine indifféremment cajon, charlestone, cymbales ou derbouka pour accompagner des chansons qui, dans le même esprit orienté vers l’échange, viennent même du Venezuela avec des rythmes latino comme la bossa nova, également adapté en Algérie. Bruno s’essaye au jeu rythmé typique du flamenca mais use également dans les accompagnements des harmonies et des accords de la tradition musicale typiquement européenne.
C’est ce qui transparaît aussi dans le chant quand, même si c’est rare, Carine Lotta et Sylvie Paz «accordent» leurs voix pour interpréter des certaines mélodies offrant assez d’espaces pour le genre.
Mais pour se mettre dans l’ambiance locale, vers la fin, on a forcé le trait de la couleur locale d’abord avec un titre hommage de Rainette l’oranaise, originaire de Tiaret avant de poursuivre sa carrière à Oran puis en France où Fouad l’a rencontrée et, au final, un medley chaabi avec El Hachemi Guerouabi (1938-2006) et le titre qui l’a fait connaître du grand public (El Barah) mais aussi avec l’incontournable Mhamed El Anka (1907-1978).
«La compagnie existe depuis près de 25 ans et comporte plus de membres mais, généralement, c’est en fonction du lieu où on se produit car nous avons des musiciens grecs, un spécialiste turc d’une flûte apparenté au nay, etc., mais là, comme vous avez pu le constater, le répertoire est adapté à la tradition locale», explique Bruno à l’issue du spectacle, particulièrement ému de se produire en Algérie.