La chronique littéraire / Fateh Boumahdi : une plume audacieuse !

18/03/2024 mis à jour: 06:57
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Fateh Boumahdi appartient à une nouvelle génération de jeunes romanciers algériens post-décennie noire. Né en 1998, cette période traumatisante pour le peuple algérien n’en est pas moins présente. 

Il la porte en lui de manière inconsciente et par ce qu’il en sait à posteriori. Cette sinistre période surgit donc par à-coups dans un texte dont ce n’est pas du tout le sujet. 

Ce troisième roman de Fateh Boumahdi Et si mon père avait une âme d’enfant m’interpelle à plus d’un titre dans la mesure où le romancier ouvre les fenêtres et les portes en grand, où il apporte une bouffée d’oxygène dans le contexte d’une société algérienne qui renvoie une image où la tradition reste fortement présente. Précisément, ce roman de cent cinquante pages révèle que la cinquième génération de romanciers algériens, dont Fateh Boumahdi fait désormais partie, apporte la preuve que la tradition et les tabous peuvent voler en éclats grâce au texte littéraire. 

Certaines scènes d’ordre intime sont décrites de façon directe avec force détails, certaines scènes sexuelles s’insèrent sans que ce soit vulgaire, sans que cela relève de l’indécence ou du voyeurisme. Ainsi, il me semble que c’est ce volet d’une écriture franche qui distingue ce jeune romancier. L’intrigue suit son cours sans qu’on ait, comme dans certains textes, un cours d’histoire sur l’Algérie. De toute évidence, il n’y a pas d’investigation sur les lieux décrits ; les événements évoqués pour contextualiser le récit surviennent sans lourdeur. Il n’y a pas de volonté à montrer et à inclure un arrière-plan sociologique des personnages en présence. 

En fait, Fateh Boumahdi exprime plutôt des sentiments, des états d’âme, des blessures, des joies et des plaisirs aussi. Il évoque surtout une quête, une quête de soi. La question que le lecteur peut se poser légitimement est : est-ce que ce roman autofictionnel ? Le ressenti que l’on peut avoir repose sur la conviction qu’il y a certainement des éléments de la vie de l’auteur, d’expériences vécues qui s’expriment, car il est vrai que tout romancier révèle souvent une part de son être et de sa psychologie dans ses textes. Le tour de force est que l’on passe d’un «ressenti à un autre, d’un état d’âme à un autre». 

Le roman Et si mon père avait une âme d’enfant raconte par le biais d’un récit pour le moins original la «relation / non-relation» d’un jeune homme de trente-six ans dont le père absent fut désespérément absent. La thématique abordée est celle du manque, celle de l’absence, celle de l’enfant abandonné, et ceci parle sans aucun doute à beaucoup de lecteurs et de lectrices.

 Le récit est écrit avec une sensibilité à fleur de peau, surtout que le roman s’ouvre sur la mort de la mère d’un cancer du sein, ce qui laisse le personnage principal en total désarroi. Le poétique se mêle souvent aux scènes du quotidien d’un jeune homme algérois à la fois désemparé et sûr de lui, dur, méfiant et crédule à la fois. Le style et la sensibilité du romancier apparaît comme dans cette description d’une scène de rue dans la ville d’Oran, sur le boulevard du Front de mer, qui me semble intéressante à citer : «Ils ont l’air amoureux… Flagrant même ! 

Le drapeau national flotte au-dessus de leurs têtes. Nous sommes loin de la décennie noire. Même si aujourd’hui, il reste quelques résidus au creux des mentalités de certains individus. J’aime cette scène de vie. Je sors mon téléphone et j’immortalise ce moment intime et national à la fois.» Voilà un style, une écriture que l’on retrouve tout au long de ce court roman. 

Les deux personnages principaux de ce roman de Fateh Boumahdi sont attachants :  le personnage autodiégetique, le personnage de l’artiste Saïd B. qui va tout faire en termes d’intrigue pour libérer le jeune homme de ses interrogations, de ses peurs, de ses angoisses, de ses traumatismes, et cela grâce à Lalla Badra l’Oranaise. Le romancier aurait gagné à développer certains personnages en termes de profondeur de caractère et de personnalité. Néanmoins, ce texte au style Françoise Sagan est à lire en ce mois de Ramadhan, pour une leçon de vie.

 

Par Benaouda Lebdaï 

Professeur d’université et chroniqueur littéraire

 

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