La chronique littéraire / Et la victoire fut

23/03/2024 mis à jour: 05:02
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La victoire ne fut pas seulement celle des armes, mais aussi et surtout celle des idées d’indépendance, du Mouvement national, portées par des hommes et des femmes, dont de plume, épris de liberté.
La victoire fut donc au rendez-vous le 19 mars 1962, avec la promulgation du cessez-le-feu, qui mettait fin à une Guerre de libération, qui aura duré plus de sept années de lutte, couronnant une résistance ininterrompue depuis l’occupation française en 1830. 

Ce jour-là fut aussi celui des obsèques de l’écrivain Mouloud Feraoun, assassiné par l’OAS, avec ses compagnons éducateurs, le 15 mars à El Biar. Feraoun, tout comme Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib et Malek Haddad, fut parmi les fondateurs de ce qu’on nommera la littérature algérienne d’expression française. Des Algériens profondément enracinés dans leur pays, attachés à leur société et en revendiquant l’identité propre. 

Des Algériens qui auront pris la parole dans une langue que l’histoire leur a permis non seulement de parfaitement maîtriser mais aussi d’y exprimer l’âme algérienne et toute la plénitude pérenne de son identité. Des Algériens qui étaient pour l’indépendance de leur pays, unis dans une même revendication, même si les itinéraires individuels furent nuancés et la dénonciation de l’ignominie coloniale différente, du fait des tempéraments et des thématiques. 

Force, toutefois, de constater, s’il en était besoin, que le colonialisme, lui, ne s’embarrasse ni de nuances ni de tempérament, ni de langue, en assassinant aussi bien Redha Houhou, le 29 mars 1956, que Mouloud Feraoun. Car la Main rouge comme l’OAS ne discernaient aucunement entre les Algériens. La victoire du 19 Mars 1961, prélude à celle pleine et entière du 5 Juillet 1962, est aussi une victoire littéraire pour les Algériens, dont le pays recouvrait une indépendance, qui était aussi le fruit des idées et de la conscience que pouvait porter chaque œuvre littéraire produite par nos écrivains les plus en vue. 

Des œuvres qui trouvaient, le plus souvent, leur justification dans la dénonciation du colonialisme ou encore dans la peinture des conditions faites aux habitants de ce pays qui pour reprendre une citation de Feraoun «s’appelle bien l’Algérie et ses habitants des Algériens, dites aux Français que ce pays n’est pas à eux». Cette littérature algérienne, dont les héros bien algériens peuplaient les œuvres romanesques, eux qu’aucun auteur bien français ne daignait, fût-il Camus, faire figurer comme réels personnages dans ses romans. 

Ces personnages, porteurs d’un «je» algérien libre et fier, étaient une revanche sur le destin tant historique que littéraire et étaient issus d’un imaginaire propre profondément et indéniablement algérien au-delà de la langue utilisée. Une langue, qui, pour le français, s’est avérée être plus qu’un butin de guerre, selon la formule de Kateb Yacine, pour devenir une arme de guerre revendicative face au colonialisme, explicative face à l’opinion publique et argumentative dans les plaidoiries en faveur de la justesse d’une cause. 

La cause algérienne qui verra aussi sa consécration littéraire avec l’émergence d’une génération d’écrivains, celle des années 50, pétrie d’un talent reconnu et dont l’écho des plumes talentueuses résonne jusqu’à aujourd’hui. C’est dire si, à la justesse des idées développées, s’est aussi adjointe la qualité de l’écriture. Une écriture qui investira d’abord le roman, genre littéraire le plus propice à l’expression d’un nouveau monde, celui d’une Algérie affirmant son identité, en marche vers l’indépendance de sa terre. Une terre et une grande maison omniprésentes dans cette production romanesque exceptionnelle, qui marque la littérature nationale jusqu’à aujourd’hui en s’en affirmant la première expression moderne, consacrant une algérianité déniée étant par le colonialisme d’hier que l’insidieux discours de haine d’aujourd’hui. 

La victoire obtenue par les combattants de l’ALN et les négociateurs d’Evian, fut celle de tout le peuple algérien face aux troupes, aux tortionnaires et aux diplomates chevronnés, mais aussi celle de nos poèmes zakariens, de nos chants patriotiques et de nos livres, porteurs de nos convictions et de nos rêves. 

En langue française, cette littérature forte et structurée en étonna plus d’un, imbu par le paternalisme propre à la tradition française, par sa capacité à exprimer, par sa richesse à signifier et par son succès à s’affirmer foncièrement différente de la littérature française, démontrant, encore une fois, les propos de Ben Badis que cette nation n’est pas la France, ne pouvait l’être et ne voulait pas l’être. La dimension culturelle et idéologique de cette littérature algérienne, qui, enfin, émergea de la nuit coloniale, n’est pas à démontrer dans la construction de vastes courants d’opinion en Algérie et dans une certaine manière d’être soi. 

Une littérature exprimant tout l’amour que porte l’Algérien à son pays et la volonté de le bâtir à partir des idéaux hérités du Mouvement national, sans rejet ni exclusive et avec le sens critique qui sied à toute entreprise de l’esprit. Mouloud Feraoun conviendra, dans ses derniers écrits, que l’indépendance était inéluctable et que la lutte armée était la seule réponse à la violence coloniale. Mohammed Dib s’il s’est contraint à l’exil restera fidèle à ses convictions de La Grande maison et de L’Incendie, sous d’autres formes et d’autres cieux. Kateb Yacine  luttera, en révolutionnaire, contre toutes les régressions. Mammeri entamera une œuvre de longue haleine autour de tamazight. Malek Haddad taira son écriture, à son initiative, mais n’oubliera jamais que son pays était porteur de nouveaux horizons. 

De nouveaux horizons qui demeurent pour les nouvelles générations, s’abreuvant toujours à la victoire d’une affirmation nationale, celle de l’algérianité, avec toute sa richesse identitaire et sa diversité d’opinions, fruit des plus grands sacrifices et des idées les plus fécondes. 

La littérature algérienne d’expression française d’une vigueur significative, s’avère toujours ainsi, aux côtés de celle écrite en arabe et en tamazight, une opportunité créative de choix pour développer, défendre et promouvoir les belles idées, non seulement des aînés, mais aussi celles, novatrices mais toujours algériennes, des nouvelles générations d’un XXIe siècle mondialisé, dépassant toutes les frontières, y compris linguistiques.
 

Par Ahmed Benzelikha

 

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